J’ai souvenance de ce conseil d’un enseignant, boute-en-train devant l’Éternel, qui estimait qu’il fallait se garder de choisir sa future épouse un jour de fête. Et ça, il le disait sans rire ! Son argumentaire était simple : le jour de fête, la sueur ne dégouline pas du visage des demoiselles comme cela pourrait être le cas les jours ordinaires. Et là encore, c’est pour celles qui sont aguerries aux tâches domestiques. Notre enseignant suggérait aux jeunes prétendants une visite surprise chez leur petite amie, un jour ordinaire, à l’heure où les ménagères établissent leurs quartiers entre le lavoir et la cuisine, pour se faire une idée du profil de la future maîtresse de leur maison.
Ce n’était pas encore le temps du fast-food ou de la « cuisine » par commande électronique qui expose ses victuailles sur toutes les plateformes numériques. C’était encore le temps où les cordons bleus vantaient la saveur de leur main, pour reprendre une formule imagée en langue wolof. C’était le temps où la fille s’échinait à maîtriser l’art culinaire, le nettoyage des habits et l’entretien d’une maison, balai en main. Une manière de faire ses armes pour éviter de perdre le passage de grade une fois sous le toit conjugal. En cas de défaillance, c’était une lettre à remettre aux parents par le colis (humain) retourné à son expéditeur, la maman.
Ce scénario de la honte se disait dans les chaumières pour inviter les futures mariées à maîtriser les tâches domestiques, et je ne sais pas pourquoi ! C’était le temps où tout était presque vrai, tout était naturel, la gloire comme la honte. Tout se mesurait à l’aune d’une certaine authenticité et d’une capacité à surmonter les épreuves et à relativiser les succès tant la vie peut jouer des tours à cause de la précarité qui la caractérise. La réalité elle-même ne se soumettait pas au maquillage autant qu’aujourd’hui. La vérité sans fard peuplait les humbles demeures dans la solidité des liens de parenté et de voisinage, dans l’humilité des patriarches et le dévouement des continuateurs de leur œuvre. Il y avait quelque chose d’authentique en la bienveillance et en la colère de chacun. Et maintenant ? C’est simple : je passe le savon à la vérité et tout est faussement plus clair ; je prends la boule et la masse me visite.
Les fabriques de rondeurs pullulent et les peaux blanches s’affichent sous une âme noire. Le make-up, roi de la transformation physique spectaculaire, contamine maintenant les comportements ! Ces usines à cosmétiques sont tenues par des alchimistes qui rivalisent de coquetterie, si bruyamment. Cette « chirurgie » inesthétique et si atypique explose les audiences des live sur les réseaux sociaux. Ne feignons pas l’ignorance ! Un évènement social en vue ? C’est le changement de teint express, plus rapide qu’un coup de pinceau de maître sur la toile.
La garde-robe, les cils et les ongles représentent l’attirail du faux pour donner du relief au « grand jour ». L’invitée, en concurrence avec elle-même, surclasse la reine du jour, qu’elle soit mariée ou récemment sortie de la maternité. Bijoux et sacs, fièrement exhibés, font le job. Le Sénégal, à ce rythme, deviendra l’un des pays où l’on bat les records de transformation physique par des moyens loin d’être conventionnels. Bien sûr, notre village planétaire expose, dans sa vitrine, des nez, des mentons ou des poitrines reliftés.
Être bien dans sa peau signifie une grosse tentation du paraître. Sous les flashes des photographes comme sous les yeux des témoins d’une de ces parades du clinquant, le spectacle mondain pousse à des extrêmes vertigineux. Le récit de la gloire d’un jour justifie tous les supplices à faire subir à la peau ou simplement à l’organisme. Les « pharmaciennes » de la mue rapide créent, par leur cocktail, une nouvelle génération d’égéries des officines de beauté les exposant à des pathologies fatales à la peau, voire… Ce phénomène a pris de l’ampleur, dépassant les timides tentatives de faire un mix de deux ou trois produits pour devenir une calamité physique au cœur des communautés. Les promotrices sont devenues des stars du web. Leurs shows sont très suivis et leur phrasé commenté dans les salons et dans la rue.
Elles sont des symboles d’une certaine réussite sociale. Sont-elles cependant les seules coupables ? La forte exposition des nouveaux canons de beauté est un produit d’appel. Dans ce sens, cette fièvre de la transformation physique interroge surtout notre relation au paraître, au-delà de la controverse plaçant sous les feux de l’actualité des vendeuses de « mélanges » cosmétiques douteux. Le culte du superficiel (pour les poses de différents objets), et de l’apparence (pour le changement de teint), crée une sorte d’addiction fatale. Il s’agit d’un cercle vicieux qui mène au pire comme pour tous les abus. Ce n’est pas la peau qui est malade ; c’est la tête qui fonctionne au silicone et le cœur à la substance chimique. Une certaine idée de la beauté promeut l’extravagance en chassant le naturel en matière d’esthétique. Hélas, dans le domaine de la transformation physique, le naturel ne revient pas (facilement) au galop ! Le jour où le sujet à cette addiction voudra revenir à sa nature, sa beauté ne sera qu’un fossile au cœur des décombres du temps et de la chimie.