Plusieurs maires du Sénégal ont pris l’initiative de changer le nom des rues, avenues ou boulevards de leur commune. Au profit notamment des personnalités historiques, culturelles, politiques…de leurs terroirs. Cette tendance est en vogue dans une grande partie des collectivités territoriales du pays. C’est le cas à Fatick, Ziguinchor, Rufisque ou dans la commune de Dakar-Plateau.
Plusieurs rues de Dakar, en particulier dans le quartier du Plateau, ont été renommées pour honorer des figures emblématiques sénégalaises, dans le cadre d’une démarche de décolonisation et d’affirmation identitaire. Le 13 septembre 2025, le Conseil municipal de Dakar Plateau, animé par une volonté commune et unifiée, a approuvé à l’unanimité cette décision empreinte de mémoire et de respect des figures emblématiques de notre histoire et de notre identité. Ainsi, la rue Jules Ferry devient rue Serigne Mountakha Mbacké et la rue Ferdinand Foch porte désormais le nom de Jean Alfred Diallo.
De l’autre côté, la rue Joseph Joffre est rebaptisée rue Ibra Binta Guèye Mbengue et la rue Félix Faure porte désormais le nom de Serigne Babacar Mansour Sy. De même, la rue Albert Calmette change pour devenir rue Ousmane Tanor Dieng et la rue François Henry Laperrine devient rue Momar Ngom. Quant à la rue Sadi Carnot et l’avenue Jean Jaurès, elles portent respectivement les noms d’Imam Matar Sylla et de Thierno Seydou Nourou Tall. Enfin, le boulevard de la Libération est honoré du nom d’Abdoulaye Wade. Selon Alioune Ndoye, cet acte traduit une volonté profonde d’enraciner nos espaces urbains dans la reconnaissance de nos héros et modèles, afin que chaque pas dans Dakar Plateau devienne un rappel vivant de nos valeurs partagées et de notre engagement collectif pour un avenir plus juste et digne. Ainsi, précise-t-il, dans un hommage vibrant à la richesse de notre héritage culturel, historique et spirituel, les noms des rues de sa commune se voient honorés et renouvelés pour mieux refléter la grandeur des hommes qui ont façonné notre destin collectif.
Une nouvelle ère
D’après lui, les artères jadis nommées sous d’anciennes références s’inscrivent désormais sous les noms porteurs de valeurs, d’engagement et de lumière, en une heureuse pléiade dont chaque unité incarne une inspiration pour notre présent et notre avenir. «Nous célébrons autant les grandes figures disparues ayant durablement marqué notre peuple, à l’image du général Jean Alfred Diallo, chef d’état-major de notre armée dans les premières années de notre jeune République, Ibra Binta Guèye Mbengue, notable lébou qui reçut Serigne Touba en départ d’exil au Penc de Thièdem, et l’imam Matar Sylla, plus grand chef religieux de son temps dans la presqu’île du Cap-Vert, imam ratib et cadi pendant 47 ans et ayant construit, avec ses propres moyens, la première mosquée de Dakar (celle de la rue Moussé Diop), que les figures qui, aujourd’hui, inspirent les générations et solidifient notre ancrage culturel», dit l’édile.
Selon Djiby Diakhaté, sociologue et enseignant-chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop (Uacd) de Dakar, cette pratique est une aubaine parce qu’elle contribue à la réconciliation des populations avec leurs traditions, leurs coutumes et leur histoire de manière générale. D’après lui, ces espaces reflétaient les identités coloniales plus que nos réalités. Pour lui, cette décision des autorités de Dakar Plateau est une reconquête de l’espace qui a une signification culturelle et morale et va réveiller chez les populations leurs sentiments d’appartenance. « Si nous voulons développer nos territoires, il nous faut l’implication des populations. Pour ce faire, il faut que les populations deviennent les véritables propriétaires de ces espaces. En procédant ainsi, nous avons donné aux populations plus de force et de reconnaissance. Et à partir de ce moment, elles peuvent s’impliquer activement dans les politiques locales de développement afin de participer à la transformation quantitative et qualitative de leur localité », explique-t-il.
Fiers de leurs terroirs
Avec cette nouvelle donne, une rupture avec le modèle classique s’impose. Pour mieux impulser une nouvelle dynamique de développement à la base, il faut nécessairement l’implication de toutes les parties prenantes, y compris les organisations communautaires de base, les chefs coutumiers, etc. Cette approche des autorités locales de Dakar, avec le changement des noms de rues, s’inscrit dans une perspective de reconquête du cadre spatio-temporel afin de réconcilier la population avec son histoire et son identité culturelle.
Pour M. Diakhaté, cette action du maire de Dakar Plateau s’arrime avec la territorialisation des politiques publiques, conduisant ainsi à une meilleure implication des populations et à une meilleure appropriation de la chose publique. Ce type d’activité, dit-il, doit faire tache d’huile parce que le développement doit, à son avis, être pensé à partir de la base et beaucoup d’autres élus locaux doivent suivre cet exemple. « C’est une façon de donner plus de contenus à la décentralisation parce qu’en réalité le développement sera exécuté au niveau des localités de l’intérieur, pas seulement à Dakar. Cela permettra aux habitants de ces localités de l’intérieur du pays d’être fiers de leurs terroirs et sentir le besoin d’y rester et d’œuvrer pour le développement de ces espaces. Ceci renforcera forcément le lien entre l’acteur et le terroir », fait savoir le sociologue qui insiste sur l’implication de tous les acteurs sur ces genres de processus, notamment les populations, en tenant compte de leurs expressions de besoin par des échanges et consultations.
Bada MBATHIE


