Reconnaissance de la Palestine, tensions en France, solidarité entre communautés : Fodé Sylla, figure de la lutte contre le racisme, livre son analyse sans détour. Pour lui, ce geste diplomatique ouvre une voie possible vers une paix durable et rappelle l’importance d’un combat commun contre toutes les discriminations.
La France vient de reconnaître officiellement l’État de Palestine. En tant qu’ancien président de SOS Racisme, quel regard portez-vous sur cette décision historique et ses implications pour la paix au Proche-Orient ?
La reconnaissance de l’État de Palestine par la France est un geste historique qui s’inscrit dans un mouvement international plus large, comme en témoigne la position de pays comme l’Espagne, l’Irlande et la Norvège. Cette décision n’est donc pas un acte isolé, mais une réponse à une exigence de longue date pour une paix durable. Et la conférence s’est ouverte avec l’Arabie Saoudite à côté du président français Emmanuel Macron, de l’Arabie saoudite et a déclaré que « le temps de la paix est venue ». Je salue l’engagement du président français et des nombreux pays arabes qui vont reconnaitre l’Etat palestinien à leur tour.
Elle offre une perspective politique concrète à la solution à deux États, qui est le seul chemin viable vers une paix juste et durable. Loin d’être un acte de vengeance ou de sanction contre Israël, c’est au contraire une étape essentielle pour une coexistence pacifique.
Pensez-vous que cette reconnaissance peut avoir des répercussions positives ou au contraire attiser des tensions dans le contexte français actuel ?
Le contexte actuel est indéniablement difficile, marqué par les drames du 7 octobre et la crise humanitaire à Gaza. Bien que la reconnaissance de la Palestine puisse sembler risquée, je suis convaincu qu’elle est nécessaire et constructive.
Ce n’est qu’en reconnaissant les souffrances des deux peuples que nous pourrons nous concentrer sur l’objectif ultime : la sécurité d’Israël et le droit à l’autodétermination de la Palestine. En fait, une alliance politique et économique durable entre ces deux États a le potentiel de transformer toute la région et d’en faire l’une des plus prospères au monde.
Le Sénégal, votre pays, a toujours été en première ligne à l’ONU sur la question palestinienne. Comment analysez-vous ce rôle historique de la diplomatie sénégalaise, et que peut-elle apporter aujourd’hui au dialogue pour une paix durable ?
Le Sénégal a toujours été un acteur de paix et un médiateur précurseur dans ce conflit, défendant de longue date la solution à deux États. La preuve de cet engagement ? Depuis 1975, le pays préside le Comité des Nations Unies pour les droits inaliénables du peuple palestinien, ce qui témoigne de sa position de responsabilité diplomatique. On ne peut pas non plus oublier l’initiative de médiation menée par le président Léopold Sédar Senghor en 1971, juste après la guerre des Six Jours. Le Sénégal a ainsi fait preuve d’une grande clairvoyance, en cherchant à apaiser ce conflit avant qu’il ne s’enlise.
SOS Racisme est née d’une lutte commune contre le racisme et l’antisémitisme. Avec la montée des crispations identitaires, comment peut-on réactiver cet esprit de solidarité entre communautés en France ?
Mon engagement contre le racisme et l’antisémitisme est absolu. En tant qu’ancien président de SOS Racisme, j’ai toujours fait mien ce principe. Je me souviens de l’avertissement de Frantz Fanon : « Quand vous entendez parler d’un juif, tendez l’oreille, on parle de vous ». Cet engagement est d’autant plus pertinent aujourd’hui que les actes de haine se sont multipliés en France, touchant à la fois les communautés juives et musulmanes, comme d’autres communautés. Il est crucial de retrouver l’unité qui caractérisait SOS Racisme à son apogée. Je me rappelle l’époque où des militants de toutes les origines et de toutes les convictions s’associaient contre le racisme et la haine. C’est cette approche qui nous permettra de combattre efficacement toutes les formes de discrimination.
En tant qu’ancien député européen, quel message pour les générations futures ?
Aux jeunes générations, je voudrais dire que l’action collective et pacifique fonctionne. La reconnaissance de la Palestine en est la preuve vivante, elle est le fruit de décennies de mobilisation citoyenne. L’histoire nous a d’ailleurs montré que c’est la persévérance qui a fait tomber la ségrégation aux États-Unis ou l’apartheid en Afrique du Sud. Malgré la montée des populismes et les inégalités persistantes, je reste profondément optimiste. En France, le métissage et le brassage culturel n’ont jamais été aussi forts. Les jeunes issus de l’immigration ont aujourd’hui un accès inédit à l’éducation et aux plus hautes fonctions. C’est la preuve que les valeurs d’ouverture et de diversité sont bien plus puissantes que les replis identitaires.
Propos recueillis par Aliou Ngamby NDIAYE