Pendant des décennies, les relations entre la France et ses anciennes colonies africaines ont suivi un schéma bien rodé : une influence politique, économique et militaire de Paris en échange d’un soutien diplomatique et d’une certaine stabilité des élites locales. Ce système, souvent qualifié de “Françafrique”, a longtemps façonné le paysage politique du continent. Mais aujourd’hui, un vent de souverainisme souffle sur l’Afrique, bousculant les équilibres établis. De plus en plus de pays réclament une coopération débarrassée des héritages du passé, plus diversifiée et véritablement « gagnant-gagnant ».
Ces dernières années, la contestation de l’influence française a pris de l’ampleur, notamment en Afrique de l’Ouest. Des manifestations anti-françaises ont éclaté au Mali, au Burkina Faso et au Niger, souvent accompagnées d’appels au départ des bases militaires françaises. Ce rejet s’explique par plusieurs facteurs : une exaspération face à la persistance des liens économiques inégaux, une défiance à l’égard des interventions militaires jugées inefficaces, et un sentiment d’ingérence politique mal perçue. Les coups d’État successifs au Sahel ont accéléré cette dynamique. Les nouvelles autorités militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont explicitement remis en cause les accords de défense avec Paris et se sont tournées vers d’autres partenaires comme la Russie ou la Chine. La récente expulsion des troupes françaises du Niger en est l’illustration la plus marquante. Autre point de friction majeur : le franc CFA. Héritage direct de la colonisation, cette monnaie, utilisée par 14 pays africains, est de plus en plus critiquée pour son lien avec le Trésor français, perçu comme une entrave à l’indépendance économique des États africains. Malgré les réformes annoncées en 2019 avec la transformation du franc CFA d’Afrique de l’Ouest en “Eco”, le changement tarde à se concrétiser. Ce retard alimente les accusations de néo-colonialisme et renforce le sentiment que la France freine l’émancipation monétaire du continent. Le franc CFA : un symbole contesté Face à ce rejet croissant, de nombreux pays africains militent pour une diversification de leurs partenaires. La Chine, la Russie, la Turquie et les pays du Golfe ont su s’engouffrer dans la brèche, proposant des alternatives économiques et militaires à l’influence française. Pékin, par exemple, s’impose comme un acteur incontournable avec ses investissements massifs dans les infrastructures, tandis que Moscou s’illustre par son soutien militaire, notamment via le groupe Wagner. Pour ces pays africains, l’objectif est clair : ne plus dépendre d’un seul partenaire, mais créer une coopération plurielle où chaque alliance est évaluée en fonction de son apport réel au développement national. Cette approche pragmatique rompt avec la relation exclusive longtemps entretenue avec la France. Conscient de cette mutation, l’Élysée tente de redéfinir sa politique africaine. Emmanuel Macron a multiplié les discours appelant à un « partenariat repensé », basé sur le respect mutuel et l’écoute des aspirations africaines. Il a annoncé la fin des bases militaires permanentes, plaidé pour une plus grande autonomie des États partenaires et tenté de promouvoir des relations économiques plus équilibrées. Mais ces annonces peinent à convaincre.
Beaucoup y voient un simple habillage rhétorique qui ne remet pas en cause les intérêts stratégiques de la France en Afrique. Pour reconstruire un lien de confiance, Paris devra démontrer par des actes concrets qu’elle est prête à traiter ses anciens partenaires comme de véritables égaux, et non comme des dépendances L’Afrique entre dans une nouvelle ère où la souveraineté nationale devient un leitmotiv central. Ce mouvement ne signifie pas un rejet total de la France, mais une exigence de relations fondées sur le respect des intérêts africains. Pour Paris, l’enjeu est de s’adapter à cette nouvelle donne sous peine d’être définitivement marginalisé. Si la France accepte de jouer le jeu d’un partenariat authentiquement « gagnant-gagnant », en renonçant à ses réflexes paternalistes et en misant sur des coopérations plus équitables, elle pourra encore compter parmi les partenaires de premier plan du continent. Mais si elle s’accroche aux schémas du passé, l’histoire risque de se répéter : l’Afrique poursuivra sa marche vers l’émancipation, avec ou sans elle.
Sidy DIOP