Dans une interview accordée, hier, dimanche 15 juin, au journal « Le Soleil », Hassan Asgari, ambassadeur de la République islamique d’Iran au Sénégal, a dénoncé l’attaque « barbare » et « illégale » d’Israël contre les installations militaires et nucléaires iraniennes dans le cadre de l’opération « Rising Lion » lancée dans la matinée du vendredi 13 juin. Pour le diplomate, cette agression brutale contre la souveraineté d’un pays constitue un précédent dangereux pour l’ordre international ainsi que la stabilité et la paix au Moyen-Orient.
Monsieur l’ambassadeur, votre pays subit, depuis vendredi 13 juin, une attaque militaire de la part d’Israël qui a pris pour cibles des installations nucléaires et de hauts gradés de l’armée. Pouvez-vous faire le point sur la situation ?
Depuis la matinée du vendredi 13 juin, le régime sioniste a violé l’intégrité territoriale et la souveraineté nationale de l’Iran en lançant des attaques aériennes et des tirs de missiles sur plusieurs quartiers résidentiels à Téhéran et dans des dizaines d’autres villes, ainsi que sur certains sites nucléaires. Ces frappes ont entraîné la mort de civils innocents, de commandants de haut rang du corps des Gardiens de la Révolution ainsi que de scientifiques spécialisés dans la recherche nucléaire. En outre, des centaines de femmes et d’enfants ont été tués. Aussi, plus de 300 femmes, enfants et personnes âgées ont été blessés. Des infrastructures économiques ont également été attaquées et bombardées par l’armée israélienne. Cette agression constitue une violation manifeste de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Iran, mais aussi une violation grave de la Charte des Nations unies. Je peux vous assurer que, sur la base du droit à la légitime défense, les forces armées de la République islamique d’Iran répondront avec force à cette agression du régime sioniste. Je voudrais également rappeler que la République islamique d’Iran est engagée et déterminée à protéger sa souveraineté nationale, sa population et sa sécurité et qu’elle reste prête à recourir à son droit légitime de représailles.
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu a justifié cette attaque par la menace existentielle que représenterait un Iran doté de la bombe atomique. Quelle est votre réaction face à cette déclaration ?
Cette question a toujours été au cœur de la politique de Benyamin Netanyahu, et ce, depuis deux décennies. Il faut savoir qu’avec Netanyahu, nous faisons face à un dirigeant dangereux qui refuse de travailler à la paix et à la sécurité au Moyen-Orient. Il a bâti sa carrière politique sur le narratif d’une menace nucléaire iranienne imminente. Il a franchi toutes les lignes rouges en matière de politique internationale. Cette politique agressive envers ses voisins a conduit à la destruction de la bande de Gaza, à la mort de centaines de journalistes et de travailleurs humanitaires ainsi qu’à la destruction d’hôpitaux et de mosquées. Au cours des 20 dernières années, l’Iran a, selon toutes les instances internationales – notamment l’Agence internationale de l’énergie atomique (Aiea), dans 16 rapports – respecté ses engagements. L’Iran a affirmé renoncer à l’arme nucléaire et son Guide suprême a décrété une fatwa dans ce sens. Nous voulons uniquement maîtriser cette énergie nucléaire pour développer notre industrie et notre agriculture. Le régime israélien prétend attaquer l’Iran à cause de son programme nucléaire, alors qu’il possède lui-même près de 200 ogives nucléaires et n’est même pas membre du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (Tnp). Il n’a donc aucune légitimité dans cette action.
Le président américain Donald Trump et son secrétaire d’État, Marco Rubio, ont déclaré que les États-Unis n’ont pas pris part à cette attaque israélienne, qu’ils considèrent comme une action unilatérale de l’État hébreu. Que vous inspirent ces déclarations ?
Sur cette question, le gouvernement iranien attend seulement des États-Unis qu’ils fassent preuve de bonne foi en condamnant cette agression contre l’Iran et ses installations nucléaires. La coordination entre Israël et les États-Unis, au moment où se déroulaient des pourparlers de paix entre l’Iran et les États-Unis, nous laisse quelque peu perplexes. Il faut savoir que l’Iran a été attaqué en plein milieu de négociations avec les États-Unis, à Oman. Nous avions déjà tenu cinq rounds de pourparlers indirects, sous médiation omanaise, et le sixième round était prévu aujourd’hui (Ndlr : dimanche 15 juin 2025) à Oman. Le régime sioniste, afin d’empêcher tout accord, a mené cette attaque militaire. Par ailleurs, nous sommes conscients que les actions agressives d’Israël contre l’Iran n’auraient pu avoir lieu sans une certaine coordination ou un accord tacite avec les États-Unis. Dans le cas contraire, les États-Unis auraient demandé à Israël de cesser ses attaques.
Cela dit, nous n’avons pas constaté d’attaques en provenance des bases américaines. C’est pourquoi nous n’avons pas ciblé les bases américaines dans la région. Nous souhaitons que les États-Unis prennent conscience des conséquences de cette attaque qui, selon moi, pourrait conduire à une troisième guerre mondiale.
Beaucoup de spécialistes estiment que le gouvernement de Netanyahu a déclenché cette attaque pour détourner l’attention de ses difficultés internes et de la situation dans la bande de Gaza. Partagez-vous cette analyse ?
Nous partageons entièrement cette analyse. Nous sommes face à un régime dirigé par Benyamin Netanyahu qui, confronté à une opposition interne – avec la tentative de dissolution de la Knesset (Ndlr : Parlement israélien) – et à de graves difficultés dans la bande de Gaza, a décidé de créer une diversion en s’attaquant à la République islamique d’Iran. À travers cette agression, il cherche à faire taire la contestation interne. Des élections anticipées étaient prévues en Israël dans les semaines à venir, mais Netanyahu, pour se maintenir au pouvoir, a déclenché cette attaque, espérant ainsi éviter la tenue du scrutin et échapper à une possible incarcération en raison des nombreuses affaires de corruption à son encontre. Dans la bande de Gaza, il est incapable de détruire le Hamas qui résiste toujours. Face à ces difficultés, il a décidé de commettre un génocide dans l’enclave palestinienne en utilisant des bombes au phosphore et des bombes perforantes, causant la mort de 60.000 civils.
Malheureusement, les organisations internationales ont été incapables d’arrêter cette machine de guerre ; ce qui a conduit à cette nouvelle agression contre l’Iran.
Qu’attendez-vous de la communauté internationale face à cette attaque israélienne ?
En tant que membre fondateur de l’Organisation des Nations unies, l’Iran espère que tous les pays du monde condamneront l’agression israélienne qui constitue, selon moi, un précédent dangereux pour l’ordre international et la sécurité régionale. Par ailleurs, l’Onu et les grandes institutions internationales ont déjà condamné cette attaque barbare. Plusieurs pays de la région ont également exprimé leur condamnation. Même si de nombreux pays musulmans ont déjà réagi, nous espérons que l’Organisation de la coopération islamique (Oci) adoptera une position ferme pour dénoncer cette offensive contre l’Iran. Nous attendons de l’Onu qu’elle prenne ses responsabilités pour empêcher de telles attaques contre la paix et la sécurité internationales.
Que souhaitez-vous du gouvernement et du peuple sénégalais dans cette crise ?
Nous saluons la solidarité du peuple sénégalais ainsi que de ses autorités depuis le déclenchement de l’attaque israélienne. J’ai reçu de nombreux messages de soutien de Sénégalais qui ont dénoncé cette agression du régime sioniste.
Par ailleurs, le Sénégal, pays à 95 % musulman et membre de l’Oci, occupe une place particulière dans le cœur des Iraniens. Nous espérons qu’une réaction officielle du gouvernement sénégalais ne tardera pas à condamner ouvertement cette attaque barbare du régime sioniste.
L’Iran envisage-t-il de mettre en œuvre le blocus du détroit d’Ormuz pour faire pression sur les pays occidentaux et forcer Israël à cesser son agression ?
L’objectif de ce régime criminel est de s’attaquer aux intérêts économiques de l’Iran. Je peux vous affirmer que si l’agression continue, cette option n’est pas à exclure. Nous disposons de nombreux moyens de riposte, mais nous n’en sommes pas encore là. Le détroit d’Ormuz est un couloir maritime stratégique pour de nombreux pays de la région, notamment pour le transport de produits énergétiques et alimentaires. Nous œuvrons actuellement à garantir la sécurité dans cette zone.
Existe-t-il un risque de contamination radioactive à la suite des frappes israéliennes contre les sites nucléaires ?
Nous accordons une grande importance à la sécurité de nos installations nucléaires. Attaquer des installations nucléaires civiles est totalement illégal selon le droit international. Le régime sioniste ne respecte pas les recommandations de l’Aiea qui interdit formellement toute attaque contre les centrales nucléaires. L’attaque contre la centrale de Natanz a suscité des inquiétudes, mais les dégâts n’ont pas entraîné de hausse anormale du taux de radioactivité ni de contamination radioactive. Jusqu’à présent, nos équipes techniques ont veillé à assurer la sécurité de ces sites.
Interview réalisée par Mamadou Makhfouse NGOM (texte) et Pape SEYDI (photo)