Instituée par l’article 99 de la Constitution sénégalaise de 2001, la Haute Cour de justice (HCJ) est régie par la loi organique n° 2002-10 du 22 février 2002. Placée sous la présidence du premier président de la Cour suprême, elle est composée de huit membres, tous juges titulaires élus par l’Assemblée nationale. Cette juridiction de privilège demeure cependant rarement sollicitée depuis 1960.
Hcj, une promesse électorale
« Si Pastef remporte les prochaines législatives, la Haute Cour de justice sera mise en place afin de pouvoir juger les responsables du régime précédent ». Cette annonce a été faite le 8 octobre 2024 par El Malick Ndiaye, devenu président de l’Assemblée nationale. Dans un contexte politique tendu, la proposition de créer cette haute cour, réitérée lors de la campagne législative par Ousmane Sonko, le Premier ministre et leader du parti Pastef, a ravivé le débat autour de la reddition des comptes et de la responsabilité des élites politiques. Pour lui, les précédentes élections du 17 novembre ne sont pas simplement un exercice démocratique, mais un tournant décisif pour asseoir une majorité parlementaire solide, capable de mettre en place la fameuse Haute Cour de justice.
« La mise en place de cette juridiction, selon lui, permettrait de poursuivre toute personne impliquée dans des détournements de fonds publics, une démarche qui vise à satisfaire une revendication populaire de transparence et de justice. »
Aujourd’hui, soit un peu moins d’un mois après l’installation de la nouvelle législature, les nouvelles autorités ont pris une décision de taille allant dans le sens de concrétiser cette promesse électorale.
Organisation et missions
Selon la loi organique l’instituant, les membres de la Haute Cour de justice devront être installés un mois après l’installation de la nouvelle Assemblée nationale. Installés le 2 décembre dernier, les parlementaires membres de ce tribunal sont élus ce samedi 28 décembre au cours d’une séance plénière.
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Cette cour, privilège de juridiction, juge le président de la République en cas de haute trahison et les membres du gouvernement coupables de crimes ou délits dans l’exercice de leurs fonctions. Elle est ainsi présidée par le plus haut magistrat de l’ordre judiciaire du Sénégal, à savoir le premier président de la Cour suprême (Mahamadou Mansour Mbaye). Son suppléant est le président de la Chambre pénale de ladite Cour, lit-on dans l’exposé des motifs portant projet de ladite juridiction. Elle compte également huit juges titulaires et leurs suppléants qui sont des députés élus par leurs pairs.
Même si dès leur élection, les juges titulaires et leurs suppléants prêtent serment devant l’Assemblée nationale, ils peuvent, toutefois, être récusés s’ils sont des parents ou alliés d’un accusé jusqu’au sixième degré en ligne collatérale.
Le Ministère public, quant à lui, est assuré par le procureur général de la Cour suprême, dont le suppléant n’est autre que le premier avocat général de la juridiction suprême.
Une commission d’instruction auprès de la Haute Cour de justice est créée et sera présidée par le premier président de la Cour d’appel de Dakar, suppléé par le premier président de la Chambre d’accusation de la même Cour. Le service du greffe est assuré par le greffier en chef de la Cour suprême, suppléé en cas d’empêchement par le greffier de la Chambre pénale de ladite Cour.
Macky Sall, une cible possible ?
Au Sénégal, la Haute Cour de justice, une institution rarement sollicitée depuis l’indépendance, pourrait bientôt se retrouver au cœur d’une affaire sans précédent. Pour la première fois de son histoire, elle pourrait être amenée à juger un ancien président de la République, en la personne de Macky Sall. Cette perspective soulève de nombreuses questions sur le fonctionnement, la légitimité et l’indépendance de cette juridiction. En effet, bien avant l’annonce officielle, des voix autorisées se sont déjà élevées au sein du nouveau gouvernement pour menacer l’ex-chef d’État de poursuites.
Dans un entretien exclusif avec Le Soleil digital, Aminata Touré, Haut représentant du président Bassirou Diomaye Faye, a affirmé que l’ex-chef de l’État devait être traduit devant la Haute Cour de justice pour, dit-elle, répondre de ses actes.
« Il est le principal responsable des événements qui ont coûté la vie à des Sénégalais lorsqu’il a tenté de reporter l’élection présidentielle. Rien que pour cela, il devrait être poursuivi par la Haute Cour de justice », a-t-elle confié.
D’autres responsables du parti au pouvoir ont abondé dans ce sens. Fadilou Keïta, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), avait lancé une charge virulente: « On a les moyens de lui faire payer ; on va lui faire payer ! Il a fait des choses extrêmement graves, qui sont là.
La documentation est là. Les personnes avec lesquelles il dealait sont là. Les gens qu’il a pu sacrifier sont là ; et ce sont des gens qui vont témoigner contre lui, ce sont des gens qui vont sortir des documents probants contre lui ! »
Mais de telles accusations soulèvent la question cruciale de la définition de la « haute trahison », seul motif pour lequel un président peut être jugé, selon l’article 101 de la Constitution.
Alors, peut-on réellement juger l’ancien chef de l’État ? « On ne peut pas juger Macky Sall pour des actes qu’il aurait commis à l’occasion de l’exercice de ses fonctions », a répondu l’ex-ministre de la Justice Ismaila Madior Fall. « Le président de la République bénéficie d’un principe d’irresponsabilité », a ajouté le constitutionnaliste, invité le 3 novembre dernier à l’émission « Grand Jury » de la RFM. « La responsabilité ne peut être exceptionnellement envisagée qu’en cas de haute trahison », selon le juriste. C’est l’article 100 de la Constitution qui le dit. Cela signifie qu’il faut des faits considérés comme constitutifs de haute trahison. Il faut qu’il y ait une instruction qui confirme que ces faits sont constitutifs de haute trahison », a détaillé le professeur de droit public.
De son côté, l’enseignant-chercheur Mouhamadou Ngouda Mboup, de l’Université Cheikh-Anta-Diop, a tenu à apporter un éclairage, dans un article consacré au sujet par le magazine Jeune Afrique. Selon lui, « ni la Constitution ni la loi organique sur la Haute Cour de justice ne la définissent précisément. Autrement dit, il reviendra aux députés de le faire ». Il ajoute qu’« un mensonge d’État pourrait s’avérer constitutif de la haute trahison ; en l’occurrence, la falsification du taux d’endettement ou du niveau du PIB ».
La composition même de la Haute Cour de justice pose question. Elle sera constituée de huit juges titulaires et huit juges suppléants, élus parmi les membres de la nouvelle Assemblée nationale.
Les cas Mamadou Dia, Idrissa Seck…
L’histoire de la Haute Cour de Justice est marquée par un précédent hautement symbolique et controversé : le procès de Mamadou Dia et de ses compagnons, consécutif à la tentative de coup d’État survenue le 17 décembre 1962.
Le 13 mai 1963, le président Mamadou Dia, pour lequel aucune circonstance atténuante n’avait été retenue, est condamné à perpétuité et déporté dans une enceinte fortifiée à Kédougou. Ses coïnculpés, Ibrahima Sarr, Valdodio N’Diaye, Joseph M’Baye et Alioune Tall, respectivement anciens ministres de l’Intérieur, des Finances, du Commerce et de l’Information, sont condamnés à vingt ans de détention criminelle, et Alioune Tall est frappé de cinq ans d’emprisonnement et de dix ans d’interdiction de séjour. Ce fut le verdict à l’issue d’un procès pour « tentative de coup d’État », dont la défense est assurée par Mes Robert Badinter et Abdoulaye Wade. Dia est emprisonné à Kédougou de 1963 à 1974, date à laquelle il sera gracié par le président Léopold Sédar Senghor, puis amnistié en 1976. L’ancien président du Conseil et ses compagnons ont été traduits devant cette juridiction pour y répondre de leur tentative de coup d’État survenue le 17 décembre 1962.
Rappel des faits : Pour éviter de se soumettre à une motion de censure déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale par un député, M. Théophile James, et soutenue par près des deux tiers de ses collègues, qui lui demandaient de se retirer, M. Dia avait fait occuper l’Assemblée par des éléments de la gendarmerie le jour où le vote devait avoir lieu. Il avait ensuite fait arrêter plusieurs députés, occupé la radio, cerclé le palais de M. Senghor, président de la République, et tenté de s’adresser au pays. La fidélité de l’armée au chef de l’État permit à ce dernier, après quelques heures de flottement, de faire échec à la tentative de coup d’État. Dans l’après-midi du même jour, les députés signataires de la motion de censure se réunissaient au domicile de M. Lamine Gueye, président de l’Assemblée, et votaient la motion à la majorité légalement requise, ainsi qu’une réforme provisoire de la Constitution permettant à M. Senghor, en attendant l’institution d’un régime présidentiel, de cumuler ses pouvoirs de chef de l’État avec ceux de chef du gouvernement. Dès la nuit suivante, les quelques éléments armés fidèles à l’ancien président du Conseil faisaient leur soumission. Le lendemain, celui-ci et ses principaux complices étaient arrêtés.
Mamadou Dia et ses quatre coïnculpés ont été appelés à répondre devant la justice pour leur rôle dans les événements de décembre 1962. Les charges retenues contre eux par la commission d’instruction diffèrent cependant pour chacun d’eux, selon la nature et le degré de leur participation à l’affaire. Principal accusé, l’ancien président du Conseil, Mamadou Dia, est poursuivi pour atteinte à la sûreté intérieure de l’État, arrestations arbitraires et recours à la force armée afin d’entraver l’application de la loi. Son principal collaborateur, Ibrahima Sarr, fait face aux mêmes accusations. En revanche, les charges retenues contre Valdodio Ndiaye, Joseph Mbaye et Alioune Tall, bien qu’importantes, sont jugées moins sévères.
M. Dia ne sera libéré qu’après plusieurs années de prison dans les bagnes du régime socialiste. Il en sortira malade et affaibli, ce qui précipitera quasiment la fin de sa carrière politique.
Idrissa Seck et le rebondissement politico-judiciaire de 2005
En 2005, l’affaire politico-judiciaire qui pourrait déstabiliser le Sénégal et divise jusqu’au parti du président Abdoulaye Wade a connu un nouveau rebondissement le 3 août de cette année, avec le renvoi en justice de l’ancien Premier ministre Idrissa Seck (de novembre 2002 à avril 2004) pour malversations financières.
Dans la soirée, l’Assemblée nationale a adopté, par 69 voix contre 35 sur 120 députés, un acte d’accusation envoyant M. Seck ainsi que le ministre de l’Habitat, Salif Bâ, devant la Haute Cour de justice pour « graves irrégularités dans le processus de conclusion de marchés publics » dans le cadre de travaux à Thiès, ville située à l’est de Dakar, dont M. Seck est maire. Seize députés, qui siégeront dans la juridiction compétente pour juger les membres du gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions, n’ont pas pris part au vote.
Emprisonné pendant près de sept mois entre 2005 et 2006, il a finalement été libéré en février 2006 à la faveur d’un non-lieu partiel. M. Seck bénéficiera d’un non-lieu total en mai 2009.
Une juridiction en sommeil
Aussitôt après l’affaire dite des chantiers de Thiès, la Haute Cour de justice est tombée dans l’oubli. Mais elle a été réactivée le 25 avril 2014 par les députés de la 12e législature en séance plénière. Ils ont élu huit des leurs et leurs suppléants, comme le dispose la loi organique l’instituant.
« La Haute Cour de justice sera là pour tout le monde ; et ceux qui ont été choisis comme juges prendront en charge les dossiers en ayant comme seul arbitre leur conscience », avait déclaré Modou Diagne Fada.
Et de préciser que « ce n’est pas seulement les ministres libéraux qui seront jugés par cette cour. Même les ministres socialistes, ainsi que ceux de l’Alliance pour la République, peuvent se retrouver sur le banc des accusés ».
Depuis lors, aucun acte concret n’a été posé.
Par Salla GUEYE