Enterré dans la maison familiale, la sépulture du premier député-maire de Sédhiou côtoie celle de son grand-père paternel, Samba Aïssata Bâ, lui aussi premier chef de village de Sédhiou. Des visiteurs, des élèves qui veulent savoir plus sur l’existence de cet enseignant, homme politique fidèle compagnon de Mamadou Dia se recueillent sur sa tombe.
Sédhiou – Né à Saré Yoba (actuelle région de Kolda) en 1905, Ibou Diallo est déclaré officiellement à Sédhiou, 10 années après. Très tôt, il perd son père, mais cela ne l’empêche pas qu’il soit admis à l’école française de Sédhiou. Comme les enfants des collaborateurs des colons de l’époque, il bénéficie de beaucoup de privilèges. Il est envoyé à l’école primaire supérieure de Saint-Louis, puis à l’école Blanchot et enfin à l’école normale William Ponty où il obtient un diplôme de fin d’études. Ibou Diallo devient instituteur. En 1933, il sert d’abord à Bessir puis à Thiobon (Bignona). Après deux ans de service, Il retrouve sa terre natale Sédhiou pour être directeur de l’école Plateau, actuelle école El Hadj Dembo Coly, jusqu’en 1952. « Il a formé beaucoup de cadres de cette région dont Balla Moussa Daffé », affirme Bintou Diallo, fille d’Ibou Diallo. A la fin de la deuxième guerre mondiale, il entre dans la politique et s’engage dans les rangs de la Section française de l’internationale ouvrière (SFIO). Il gravit les postes de responsabilité politique. Plus tard, Ibou Diallo rejoint le Bloc démocratique sénégalais (Bds) dont il devient l’un des premiers militants influents. En mars 1949, il crée à Sédhiou, en compagnie d’Emile Badiane (Bignona) et Victor Diatta (Oussouye), le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC). Dépité du manque de soutien de sa candidature en 1951, à l’assemblée de l’union française, il démissionne du comité exécutif du Bds, en octobre 1953, pour consacrer tous ses efforts au développement du Mfdc. Premier Président de l’assemblée de la Casamance puis premier député-maire de Sédhiou, lors du congrès du Mfdc, à Bignona, en juin 1954, Ibou Diallo prône un rapprochement avec le Bds ; ce qui aboutit à la création d’un comité de coordination des deux mouvements, en février 1956 à Ziguinchor. Ibou Diallo est élu un mois après sénateur du Sénégal à Paris.
Déchu de son poste de ministre
Il est ensuite nommé ministre délégué auprès du président de la République, puis ministre de la Santé et des affaires sociales, en 1961. Mais l’arrestation 1962 de son ami et compagnon politique Mamadou Dia, pour tentative de coup d’Etat va donner un coup d’arrêt à sa carrière politique. Ibou Diallo est démis de ses fonctions de ministre de la Santé et déchu des responsabilités politiques au sein du l’Union progressiste sénégalaise (Ups). Remplacé par Dembo Coly, lui aussi originaire de Sédhiou, il est affecté comme directeur d’école à Fatick. Cette nomination de Dembo Coly va exacerber la tension au sein des tendances politiques de l’époque à Sédhiou. Considéré comme un véritable animal politique, Ibou Diallo reconstitue sa base sous la bannière du Parti du regroupement africain-Sénégal (Pra) plus tard. Il est ensuite élu député de l’Ups devenu Parti socialiste (Ps). Il reprend la mairie de Sédhiou jusqu’à sa mort, le 17 octobre 1971. Dans cette ville, malgré le temps, son empreinte est toujours visible. En tant que premier député-maire, il fut le véritable architecte de la modernisation de la commune. On lui attribue la mise en place des premières routes pavées de Sédhiou et l’installation du premier générateur électrique ; des initiatives pionnières qui ont transformé le quotidien des habitants et posé les jalons du développement urbain. Son action ne se limitait pas aux infrastructures ; elle était ancrée dans une volonté de structurer et d’équiper une ville en pleine émergence.
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« Un sac de riz pour qu’il l’élimine »
La vie de Ibou Diallo a toujours été émaillée de faits mystiques. « Si ce n’était pas la protection de ses proches, mais aussi de grands érudits, Ibou Diallo allait peut-être mourir plus tôt, car l’animosité en politique était extrême à l’époque », disent des notables ayant vécu son temps. « Je me rappelle l’année où les opposants avaient payé un nervi pour l’assassiner au cours d’un meeting qu’il tenait à Kolda. Mon grand-père Malang Sané, dernier descendant de Dianké Waly est intervenu. Il portait ce jour un chapeau rouge pour le protéger. Celui à qui on avait donné sac de riz pour qu’il l’élimine est tombé, il est mort après », témoigne Binta Diallo. Ibou Diallo était dépeint comme un homme généreux. « Il organisait les caravanes pour ramener les étudiants au bercail à la fin de l’année », témoigne Aminata Diallo. Son domicile était ouvert à tout le monde. Sa résidence n’était pas clôturée. « Mon père ne voulait jamais s’isoler avec sa famille. On préparait en grande quantité et chacun avait sa place dans la maison. Les gens venaient de partout pour manger, de nuit comme de jour », confie Bintou Diallo. « Il n’avait peur de rien », dit-elle, avant d’ajouter : « Il était bien né ». Il repose depuis 1971 dans la cour familiale, une situation qui s’explique par la tension politique qui régnait à l’époque. « L’adversité était rude et mes oncles avaient eu des échos que des gens allaient vandaliser sa tombe ; ils ont pris la décision de l’enterrer ici », explique Bintou Diallo.
Son héritage perdure, notamment à Sédhiou où le lycée porte son nom ; un hommage à l’homme qui a tant donné pour l’éducation et le développement de sa terre natale. Son parcours incarne la figure du leader local devenu homme d’État, dévoué à la prospérité de sa communauté et à l’avancement de son pays. Le « Lion de Pakao » reste dans les mémoires comme un visionnaire et un infatigable serviteur public dont l’œuvre continue d’inspirer. Chaque année, des élèves visitent sa tombe afin d’en apprendre davantage sur la vie de cet homme qui était à la fois fin éducateur et politique.
J. S. BASSENE (correspondant)