Bien qu’il déclare « incompréhensibles » certaines décisions du Conseil constitutionnel, le député Amadou Ba, du Pastef, souligne que sur presque 140 décisions du nouveau Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, il n’y a que trois alinéas qui sont déclarés contraires à la Constitution. Toutefois, il précise dans un entretien accordé au Soleil, que ce Règlement a été l’œuvre collective de tous les groupes parlementaires et donc qu’il n’y avait pas une volonté de s’en prendre à la magistrature.
Contrairement à la sollicitation des parlementaires sénégalais, de convoquer les magistrats à l’Assemblée nationale pour les commissions d’enquête, le Conseil constitutionnel a indiqué dans sa décision rendue vendredi que la disposition « n’est pas contraire » à la Constitution. Cependant, il émet des réserves d’interprétation.
« On interprète cette disposition comme disant qu’un magistrat, pour assister aux commissions d’enquête, doit le faire volontairement. Un magistrat n’a pas besoin de l’autorisation de la justice. Les ministres de la justice, ils le font volontairement. Il ne faut pas que ce soit pour une instance en cours ou pour une instance déjà jugée. Théoriquement, il vide la convocation des magistrats de tout contenu, ce qui est bizarre par ailleurs. Et ça va à rebours de ce qui se fait dans tous les autres pays », explique le député Amadou Ba.
Une « pratique courante » dans toutes les grandes démocraties
Dans un entretien téléphonique accordé au Soleil, le juriste rappelle qu’il y a moins de trois semaines en France, dans l’affaire Bétharram, le Premier ministre a été auditionné par la commission d’enquête et que tous les magistrats qui avaient connaissance de l’affaire à l’époque ont été auditionnés. Sur ce, il affirme que c’est une « pratique courante » dans toutes les grandes démocraties.
« Et pourtant, personne ne dit que c’est une violation de la séparation des pouvoirs. Je rappelle que, par ailleurs, sur presque 140 décisions, il n’y en a que trois alinéas qui sont déclarées contraires à la Constitution. En plus, ce qui est important de savoir aussi, c’est que ce Règlement intérieur nouveau est l’œuvre collective de tous les groupes parlementaires. Ça a été voté à l’unanimité. Donc il n’y a pas une volonté de caporalisation de la justice. Il n’y avait pas une volonté de s’en prendre à la magistrature », a-t-il relevé.
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D’après ce député de la majorité présidentielle, le Conseil constitutionnel, en rendant cette décision, s’appuie sur la séparation des pouvoirs. À ce propos, il relève que, sur le principe de la séparation des pouvoirs, le magistrat peut convoquer, entendre un ministre, le magistrat peut entendre un député.
Donc, il trouve « incongru qu’un député ne puisse pas entendre un magistrat. Surtout que c’est pour le service public de la justice, pas pour des affaires en cours, mais le service public de la justice. Donc, en disant que oui, il y a une réserve d’intérêt. »
« La justice, c’est un service public »
Poursuivant, il dit : « Il ne censure pas, il ne dit pas qu’on ne peut pas le faire, il dit qu’on ne peut pas l’obliger. C’est à condition. À condition qu’il soit volontaire. En ce faisant, disons qu’on est à la merci des magistrats, quand bien même il s’agisse d’une question de service public de la justice. Parce que le champ de compétence du Parlement, c’est vraiment le contrôle de l’action du gouvernement et l’évaluation des politiques publiques. La justice en fait partie. La justice, c’est un service public ».
Pour lui, qu’ils ne puissent rien faire contre les magistrats, montre qu’il y a « une sorte de suspicion » qu’on souhaite caporaliser la magistrature, alors même qu’ils ont pris les meilleures garanties possibles et que, par ailleurs, ça se fait partout dans tous les pays.
« Et dire que le Sénégal va faire exception sur cette question-là ne semble pas être une preuve de bonne santé démocratique. Néanmoins, je pense qu’il y a des dispositions qui nécessitent, me semble-t-il, une révision de la Constitution. Parce que l’autre élément qui l’a censuré, de façon totalement incompréhensible cette fois-ci, c’est la radiation d’un député. Le texte constitutionnel n’est absolument pas clair», a-t-il déploré.
Le Conseil imprécis sur la radiation d’un député
Sur cette question, le juriste précise que le Conseil constitutionnel indique qu’un député définitivement condamné peut être radié de l’Assemblée. Mais il ne précise pas pour quel délit. Or, dans leur texte, les députés ont dit que la condamnation n’est définitive que lorsque la condamnation entraîne une perte des droits civiques. « Mais on a essayé juste de préciser. Il dit non, on restreint le champ de l’article 60 de la Constitution », déplore-t-il.
Un autre point déploré par le député-juriste, c’est le fait que le Conseil constitutionnel ait considéré qu’il n’était pas possible pour le président de l’Assemblée nationale de requérir la force publique pour obliger quelqu’un à participer ou à assister aux auditions des commissions d’enquête. Car le Conseil considère que c’est la justice, le pouvoir judiciaire, qui est le gardien des libertés et qu’en permettant cette faculté.
Ainsi, le député Amadou Ba note que, face à cette situation, il est possible pour le Président de l’Assemblée de demander une nouvelle lecture du règlement intérieur afin de mieux expliquer les dispositions censurées par le Conseil constitutionnel ou de les réécrire dans le sens ordonné par le Conseil.
Mariama DIEME