Juriste de formation, homme politique de conviction, le président de la Commission des lois, de la Décentralisation, du Travail et des Droits humains à l’Assemblée nationale, Me Abdoulaye Tall, est l’une des figures marquantes de la 15ᵉ législature. Du greffe au barreau, puis à l’hémicycle, le porte-parole et secrétaire aux relations extérieures du parti Pastef, titulaire d’une maîtrise en droit des affaires et d’un Dea en droit des migrations internationales, s’est toujours imposé comme un défenseur acharné de la cause des autres…
«Du prétoire à l’hémicycle, maintenant…». À peine lui a-t-on balancé cette boutade que Me Abdoulaye Tall, trouvé dans son bureau sobre de l’Assemblée nationale, sursaute de son siège. Il écarquille les yeux, les sourcils froncés. Le député et président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale répond avec une colère feinte : « Non ! Je n’ai pas quitté le tribunal. Je continue de cumuler les fonctions de député et d’avocat ». Si Me Tall cumule les deux, ce n’est pas parce que son travail de parlementaire relève d’une sinécure. Au contraire, dit-il.
« Le plus difficile commence », ajoute-t-il. Car, argue-t-il : « Je considère qu’on a un État à construire. Je ne parle même pas d’un État à reconstruire, parce qu’on nous a tellement entretenus dans des manipulations, des contre-vérités et dans ce qu’on appelle du tape-à-l’œil, pour nous faire croire qu’on avait un État debout. Que tout marchait, que tous les clignotants étaient au vert. Or, il a suffi que le pouvoir en place fasse trois mois pour se rendre compte qu’en réalité, tout ce qu’on a vendu comme rêve aux Sénégalais ne l’était pas ».
Et bien qu’il trouve le passif lourd, le parlementaire ne compte pas pour autant ranger sa toge d’avocat – même si sa mère aurait préféré le voir en blouse blanche. Oui, Madame Tall rêvait de voir son fils devenir médecin, alors que ses anciens professeurs du lycée Demba Diop de Mbour lui avaient suggéré de faire de la littérature, bien qu’il excellât dans les matières scientifiques. Mais la passion qu’il nourrit pour l’avocature, surtout sa propension à défendre les autres, l’y a conduit.
D’ailleurs, son plus que patron, Me Birahim Guèye, en est fortement convaincu. En effet, défendre son prochain semble être un sacerdoce pour Me Tall. Raison pour laquelle l’ancien chargé des revendications du Syndicat des travailleurs de la justice (Sytjust) a quitté le greffe pour le barreau – surtout pour avoir plus de liberté dans ce combat. « Avec l’avocature, on a cette liberté de conquérir et de défendre les citoyens », théorise celui qui a été convaincu dans cette nouvelle aventure par son ex-collègue greffier, Me Bassirou Diouf.
« Je lui suggérais tout le temps de faire le barreau pour avoir plus de liberté, surtout politiquement », témoigne l’auxiliaire de justice, avec qui Me Tall partageait la même chambre durant leur stage de greffier au tribunal de Kaolack, en 2007. Cependant, le chemin a été fastidieux pour l’avocat politicien ces dernières années, puisque sa liberté d’avocat a été menacée. Il a été convoqué maintes fois devant le conseil de discipline du Conseil de l’Ordre des avocats. Des remarques ou des reproches ? La robe noire les prend aujourd’hui avec philosophie. « Il était question de me protéger pour éviter certains excès », justifie-t-il. Mais aujourd’hui, la robe noire est loin de s’en plaindre, dès lors qu’il est « quitte avec sa conscience », parce que convaincu de « défendre la vérité ». Et c’est pour cette défense acharnée de la vérité qu’il n’a pas rechigné à son investiture sur la liste des députés de la 15ᵉ législature.
Me Tall pense que la mission parlementaire lui confère plus de marges de manœuvre : « Il s’agit de défendre les institutions, l’administration et même la République », théorise-t-il. C’est pourquoi il rit lorsqu’il entend parler de « majorité mécanique » : « l’opinion ne voit que ce qui se passe en plénière. Si vous aviez la possibilité d’assister aux travaux des commissions, vous auriez même le sentiment que les députés de la majorité sont de l’opposition, parce qu’on ne se fait pas de cadeau. Je vous assure que je n’ai jamais vu une législature aussi qualitative que la 15ᵉ », révèle l’ancien greffier – et non moins « futur maire de Mbour », comme le rêvent « 90 % des populations » de la Petite-Côte.
« Il faut que j’entretienne cet espoir que les Mbourois nourrissent envers moi », dit avec confiance le transfuge du mouvement Nacel (Nouvelle alliance citoyenne pour l’émergence et la légalité). Le porte-parole de Pastef depuis 2017 est loin d’être un néophyte en politique. Lors de la présidentielle de 2012, il était membre de la coalition « Taxaw Tem », dirigée par le Pr Ibrahima Fall. C’est après sa démission qu’il a été repéré par Ousmane Sonko, avec le président de l’Assemblée nationale, El Hadj Malick Ndiaye. Le syndicaliste d’alors n’a pas hésité à franchir le pas. Un choix qu’il dit ne pas regretter, car Pastef, dont le bureau politique s’est déplacé lors du décès de son père et de son petit frère, est une famille pour lui. Et en Ousmane Sonko, il retrouve un autre Ibrahima Fall, de par « sa vertu, son intégrité, mais également sa droiture ».
Des qualités que ses amis lui reconnaissent aussi. « Me Tall, c’est un homme entier et fidèle en amitié. Il est intègre, et c’est un homme de conviction sur le plan politique », confie Me Diouf. « Son frère, qui était bien placé dans l’ancien régime, ne cessait de lui demander de le rejoindre, mais il déclinait », ajoute son ami. Cependant, derrière ce sens aigu de l’intégrité, Me Tall est connu pour être très taquin. À la barre du tribunal comme au pupitre de l’hémicycle, il mène les débats avec fermeté, technicité et humour – au point parfois d’agacer ses adversaires. « Même quand il évoque les textes, il y met une dose d’humour. Je lui fais souvent le reproche : je lui dis qu’il a été choisi pour sa technicité, mais c’est sa nature », se plaint son ex-collègue, qui lui reproche aussi sa fougue.
« C’est son seul défaut. Je ne sais même pas si c’est un défaut, car lorsqu’il défend un client, elle l’amène à ne reculer devant aucun moyen juridique pour gagner le procès », ajoute Me Guèye. Mais Abdoulaye Tall confie ne pas s’en rendre compte, même s’il accepte la critique, de même que les railleries fréquentes sur les réseaux sociaux. En revanche, il ne saurait tolérer le mensonge et l’injustice : « Avec le mensonge, on peut déclencher une troisième guerre mondiale. Avec l’injustice, on a vu ce que le Sénégal a vécu : près d’une centaine de morts et plus d’un millier d’arrestations », fulmine le député, également ulcéré par la calomnie.
« Il n’y a pas de plus grande chose qu’on puisse offrir à quelqu’un que le respect et la considération. J’aime le respect et la considération. Mais j’aime aussi le travail », dit l’avocat, décrit comme une bête de travail. « Depuis 2013, je n’ai pas pris de congés. Quand ma femme me le reproche, je lui dis que je m’ennuie quand je ne travaille pas », confie le Mbourois, qui, pourtant préférait souvent la plage à l’école. En effet, il a grandi à Mbour Téfess, un quartier de pêcheurs où celui qui se réclame « Lébou de milieu » a appris la pêche, la lutte, et a terrassé plus d’un adversaire du haut de ses 1m80.
En tant que Halpular « de sang et d’ethnie », ce quadragénaire féru de fondé (bouillie de mil) et de riz au poisson regrette de ne pas parler la langue de ses parents. Il trouve néanmoins consolation en entendant ses enfants la parler, grâce à son épouse. Tout comme il rêve de parler le pular, Me Tall rêve d’une justice qui soit : « le dernier rempart de nos libertés, le mur de lamentation de notre peuple. Notre combat est de faire en sorte que la justice soit ce qu’elle doit être. C’est à cette justice que nous aspirons. Il va falloir que nos espoirs puissent se réaliser, car on ne joue pas avec une justice ».
Fatou SY