Le directeur de cabinet du président de la Commission de l’Union africaine (Cua), Mohamed El-Amine Souef, de passage à Dakar, a bien voulu répondre à nos questions. Le diplomate comorien a dirigé la mission de l’Union africaine en Somalie et travaillé pendant longtemps au sein de missions onusiennes au Mali (Minusma) et au Soudan (Unamid). Il revient sur les solutions de l’Ua aux crises africaines, aux médiations et à leurs résolutions. Il n’occulte pas la place qui devrait revenir à l’Afrique pour un poste de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.
Comment voyez-vous l’Union africaine et la médiation dans les crises africaines ?
Les Africains ont largement démontré leur capacité à résoudre leurs propres problèmes. L’Afrique a connu de nombreuses situations de crise, mais elle a aussi prouvé qu’elle pouvait trouver en elle-même les solutions. Je parle d’expérience : je viens d’un pays, les Comores, qui a longtemps été marqué par des coups d’État et des crises institutionnelles. Grâce à l’intervention et à la médiation de l’Union africaine, la stabilité a été rétablie. Cela fait maintenant 20 ans que nous ne parlons plus de crises aux Comores —un véritable succès africain. De même, en Somalie, où j’ai représenté l’Union africaine pendant trois ans, nous avons vu l’impact concret de l’action africaine. Depuis l’intervention de l’Union africaine, en 2007, dans un pays alors considéré comme un «État effondré», la Somalie a retrouvé un gouvernement fonctionnel et engagé dans la reconstruction. Ce redressement, encore fragile mais réel, est avant tout le fruit de la solidarité africaine. Aujourd’hui, le principal défi reste la coordination des efforts. Trop souvent, les médiations se multiplient sans cohérence : plusieurs envoyés spéciaux, facilitateurs ou acteurs extérieurs interviennent avec des approches différentes. Prenons le cas du Soudan : il ne suffit pas de demander aux Soudanais de s’entendre sur leur avenir, il faut aussi que les médiateurs eux-mêmes adoptent une position commune, une ligne claire et concertée. Vous savez, les Africains ont fait beaucoup de choses. Les Africains ont montré leurs preuves, leurs capacités à résoudre les problèmes. Il ne faut pas que X aille miroiter telle communauté et dire que vous êtes les meilleurs et que vous pouvez… Non. Nous pensons que le message doit être un message unifié. L’Union africaine, comme le président de la Commission l’a si bien dit récemment, s’il y a des intervenants, ce sont des valeurs ajoutées. Mais ils ne pourront jamais se substituer à la place des Africains.
Donc, l’Union africaine est à fond pour les opérations africaines, mais surtout pour les solutions africaines aux causes africaines ?
Absolument ! Nous l’avons montré, nous l’avons prouvé déjà au Darfour avec la Mission de l’Union africaine au Soudan (Amis), active dans la région du Darfour, au Soudan, entre 2005 et 2007. Nous l’avons prouvé au Mali où, avant l’arrivée de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la Stabilisation au Mali (Minusma), il y avait la Mission internationale de Soutien au Mali sous conduite africaine (Misma) qui avait joué un rôle important. Au Darfour, même chose avant la Minuad (une opération hybride Union africaine-Nations unies au Darfour). Et puis, en Somalie, comme nous l’avons vu, depuis 2007, c’est grâce aux forces africaines qui sont là qu’il y a une paix relative. Non seulement en Somalie, mais dans toute la région de la Corne de l’Afrique.
Vous appelez à faire preuve d’audace par rapport à la résolution des crises. Qu’est-ce que vous entendez exactement par-là ?
Oui. Vous savez, nous, Africains, ce qui nous importe aujourd’hui quand on parle de l’Agenda 2063, ce sont les questions de paix et de sécurité. La Zone de Libre-échange, le développement durable, les grands projets… Rien ne peut se faire sans la paix et la sécurité. Mais, les autres partenaires, certainement qu’ils ont des préférences, certainement qu’ils ont des intérêts, certainement qu’ils veulent intervenir parce qu’on veut faire du business, voire autre chose. Alors que pour les Africains, l’Afrique sera là pour nous et nous serons toujours là pour le continent. Ceci étant, il faut avoir une vue d’ensemble, une approche holistique pour pouvoir résoudre ces problèmes. Et nous savons que tout est lié. Les autres, ils peuvent regarder un seul angle, car c’est cet angle-là qui les intéresse.
Nous, il n’y a pas qu’un seul angle qui nous intéresse. Vous parlez aussi d’opportunités en temps de crise. En quoi peuvent-elles consister ?
Effectivement, les périodes de crise sont aussi des moments d’apprentissage. Si l’on observe des pays comme la Somalie ou la République démocratique du Congo, on constate qu’ils traversent des difficultés, mais recèlent également d’immenses opportunités. Ces crises révèlent souvent les richesses dont regorge le continent, attirant ceux qui cherchent à en tirer profit. Face à cela, l’Afrique doit désormais définir clairement ses priorités et défendre ses propres intérêts. Nous disposons de ressources précieuses, notamment de nombreux minéraux. Il ne s’agit plus de laisser d’autres décider à notre place, mais d’exploiter ces richesses en recherchant les marchés les plus avantageux pour nos économies et nos populations. Plusieurs pays ont déjà emprunté cette voie. Au Mali, par exemple, ceux qui exploitaient les ressources nationales doivent, aujourd’hui, négocier avec les autorités locales. C’est cette souveraineté économique et stratégique que nous devons renforcer à l’échelle du continent.
Vous appelez aussi à ce que l’Afrique puisse faire entendre sa voix dans la gouvernance mondiale. À l’heure où on parle de changements aux Nations unies, quelle est votre position là-dessus ?
Aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, le monde évolue vers un nouvel ordre international. Le multipartisme et le multilatéralisme redessinent les équilibres mondiaux, dans un contexte marqué par les guerres, les tensions économiques et les barrières tarifaires. Dans cette dynamique, l’Afrique ne doit plus être considérée comme un simple terrain d’expérimentation ou un dépotoir où l’on déverse armes et munitions. Cette époque doit appartenir au passé. Le continent africain sait désormais ce qu’il veut. C’est pourquoi, au sein du G20, notre priorité sera de placer le développement au cœur des discussions. Mais, au-delà de cela, l’Afrique doit aussi revendiquer sa juste place sur la scène internationale, notamment au Conseil de sécurité des Nations unies, avec des sièges permanents et un droit de veto, afin de faire entendre sa voix. Compte tenu de son poids démographique et de son potentiel, l’Afrique représente un grand continent appelé à jouer un rôle majeur. En tirant les leçons du passé et en valorisant ses ressources encore sous-exploitées, elle dispose, aujourd’hui, d’une occasion unique pour transformer ses atouts en véritables leviers de croissance et d’influence mondiale.
Propos recueillis par Ibrahima Khaliloullah NDIAYE

