Enseignant à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Pr Mamadou Yaya Diallo est spécialiste en droit international. Il revient, dans cet entretien, sur la reconnaissance de l’État de Palestine par certains pays et ses conséquences.
Qu’est-ce que la reconnaissance de la Palestine comme État change concrètement dans l’équilibre diplomatique mondial ?
La reconnaissance internationale est un acte unilatéral par lequel un État reconnaît l’existence d’un État ou l’effectivité d’un gouvernement. Elle est un acte discrétionnaire de l’État et apparaît comme un instrument de légitimation de l’action menée par la Palestine depuis des décennies pour se voir accorder le statut d’État.
Cette reconnaissance va entrainer des transformations structurelles des relations entre la Palestine et les États qui l’ont reconnue. Les relations diplomatiques et consulaires régies respectivement par la Convention de Vienne du 18 avril 1961 et celle du 24 avril 1963 pourront se développer. Ce qui offrira à la Palestine une plus grande légitimité internationale. Ses relations bilatérales et multilatérales seront sans doute améliorées.
Comment cette reconnaissance reconfigure-t-elle les rapports de force au Moyen-Orient, notamment vis-à-vis d’Israël, de l’Arabie saoudite et de l’Iran ?
La reconnaissance de la Palestine par la communauté internationale lui permet de renforcer la coopération bilatérale et multilatérale. Elle pourra amener Israël à prendre en compte la nouvelle donne et à redéfinir ses rapports avec le nouvel État.
Toutefois, on remarquera que les relations entre l’Arabie saoudite et la Palestine ne connaitront pas une nouvelle tournure. En effet, la politique étrangère saoudienne est proaméricaine et donc sensible à la défense des intérêts des États amis des États-Unis, Israël en particulier. L’Iran, menant, depuis longtemps, une politique très favorable au peuple palestinien, continuera à appuyer et à soutenir le nouvel État tant du point de vue économique, politique que diplomatique. Ce renforcement de la coopération irano-palestinienne pourra susciter l’hostilité et la désapprobation des États-Unis et d’Israël.
Quel rôle jouent les grandes puissances (États-Unis, Chine, Russie et l’Union européenne) dans l’évolution de cette dynamique ?
Les États-Unis, soucieux de préserver l’excellence des relations bilatérales construites avec Israël, ont exprimé leur hostilité à l’idée de reconnaître à la Palestine le statut d’État. Mais nous espérons qu’avec l’évolution des relations internationales et la multiplication des reconnaissances, les États-Unis et Israël finiront par reconnaître la Palestine. Les positions des États ne sont pas figées. Elles sont tributaires des alternances qui se réalisent à la tête de l’État, du contexte international et des enjeux économiques, politiques et diplomatiques.
Quant aux autres puissances, leur reconnaissance de la Palestine pourra motiver les États récalcitrants et favoriser l’apparition d’un consensus sur la nécessité de prendre en compte le droit du peuple palestinien à disposer de lui-même et sur la légitimité de son aspiration à un statut d’État conformément au droit international.
Pourquoi certains pays reconnaissent-ils la Palestine et d’autres refusent ? L’influence des États-Unis est-elle déterminante là-dessus ?
La reconnaissance internationale est un acte de souveraineté que l’État produit de façon discrétionnaire. En conséquence, les États qui refusent ont le droit de le faire, conformément au droit international. Seulement, ces refus peuvent être justifiés par le souci de ménager la susceptibilité des États-Unis qui font d’Israël un allié historique dont ils défendent les intérêts en recourant très souvent au Soft Power des moyens de pression intelligents comme le refus de délivrer des visas et des menaces de suspendre la coopération bilatérale.
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À cet égard, nous pouvons rappeler la menace américaine de sanctionner les États membres de l’ONU qui avaient décidé de voter pour la résolution de l’Assemblée générale condamnant le transfert de l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem, lequel transfert a été décidé par Donald Trump lors de son premier mandat. En raison de cette menace brandie par les États-Unis, l’Assemblée générale de l’ONU avait enregistré 34 abstentions. Ce qui montre que la protection des intérêts stratégiques découlant de la coopération bilatérale amène certains États, notamment les plus pauvres, à privilégier une lecture réaliste du droit international et non une approche technico-formelle du droit sacralisant la souveraineté de l’État.
Dans quelle mesure la reconnaissance de la Palestine peut-elle servir d’outil de politique étrangère pour certains États, notamment du Sud global ?
La reconnaissance de la Palestine par les pays du Sud peut contribuer à renforcer la coopération bilatérale avec les États occidentaux qui ont reconnu le nouvel État. Elle leur offre une plus grande visibilité et une légitimité internationale favorisées par le contexte actuel marqué de l’augmentation des reconnaissances internationales et par les violations massives des droits des Palestiniens.
L’État palestinien remplit-il réellement les critères classiques de l’État (territoire, population et gouvernement organisé) ?
Oui, la Palestine remplit les critères classiques pour devenir un État. Certes, elle n’a pas recouvré la totalité de son territoire. Mais l’existence de l’État n’est pas tributaire de la taille de sa population.
Quel est le poids du droit international (résolution de l’ONU, CIJ, principe d’autodétermination) dans ce débat ?
Le droit international, en tant que droit au service de la protection des droits de l’homme, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et de la pacification des relations internationales, a contribué de façon significative à la libération des peuples opprimés et à l’accession à la dignité d’État de mouvements de libération nationale. L’Assemblée générale a produit la résolution 1514 portant sur l’octroi de l’indépendance aux peuples coloniaux.
Plus tard, précisément le 30 juin 1995, la Cour internationale de justice a, dans l’affaire du Timor oriental, considéré que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est une norme erga omnes opposable à la communauté internationale. Dans l’affaire palestinienne, l’Assemblée générale a adopté, le 18 septembre 2024, une résolution « exigeant qu’Israël mette fin, sans délai, à sa présence illicite dans le Territoire palestinien occupé, qui constitue un fait illicite de caractère continu engageant sa responsabilité internationale, et ce au plus tard 12 mois après l’adoption de la présente résolution ».
L’Assemblée générale a, en outre, exigé qu’Israël restitue les terres et autres « biens immobiliers », ainsi que tous les biens saisis depuis le début de l’occupation en 1967, et tous les biens et actifs culturels confisqués aux Palestiniens et aux institutions palestiniennes. La résolution exige également qu’Israël permette à tous les Palestiniens déplacés pendant l’occupation de retourner dans leur lieu d’origine et de réparer les dommages causés par son occupation.
Cette résolution fait suite à l’avis consultatif rendu par la Cour internationale de justice, en juillet 2024, dans lequel la Cour a déclaré que la présence continue d’Israël sur le Territoire palestinien occupé « est illégale » et que « tous les États ont l’obligation de ne pas reconnaître » cette occupation qui dure depuis des décennies. Récemment, le 12 septembre 2025, l’Assemblée générale s’est prononcée en faveur d’un État palestinien excluant le Hamas. Il convient, enfin, de rappeler l’avis consultatif rendu par la CIJ sur la construction du mur sur le territoire palestinien occupé en 2004.
Elle y affirmait que, même pendant les conflits, les Palestiniens avaient le droit d’aller et de venir (respect du droit international des droits de l’homme à l’occasion des conflits armés). Elle a poursuivi en reconnaissant que la construction du mur est illégale et que les États avaient l’obligation de ne pas prêter main-forte à une telle situation sous peine de voir leur responsabilité internationale engagée, conformément au droit international.
Propos recueillis par Oumar NDIAYE et Daouda DIOUF