Comme dans toutes les guerres, celle qui oppose l’Ukraine à la Fédération de Russie a engendré des prisonniers. Pour la gestion de ses détenus russes, Kiev s’emploie, autant que faire se peut, à respecter la Convention de Genève qui régit cette question.
C’est un endroit tenu secret, quelque part dans l’ouest de l’Ukraine. La sensibilité l’exige. Il faut montrer patte blanche pour y entrer. Pour en sortir aussi. Bienvenue à la maison d’arrêt des prisonniers de guerre. Andy, appelons-le ainsi, un des responsables de l’institut pénitentiaire, nous rappelle les règles du jeu : ne pas filmer les responsables, ne pas filmer ou interroger les détenus sans leur consentement, ne prendre des photos qu’à l’intérieur.
Il insiste : filmer ou photographier uniquement l’intérieur, pour éviter que l’ennemi ne puisse localiser précisément la prison. Andy rappelle également le comportement à adopter envers les prisonniers. Puis il explique : « C’était une prison russe durant la Seconde Guerre mondiale. Lorsque la Russie a envahi notre pays, nous avons jugé nécessaire de la rouvrir. »
À l’intérieur du site, une petite église se laisse découvrir. Une courette la sépare du bâtiment principal, où les détenus ont leur premier contact avec les services administratifs. Il y a une salle d’urgence médicale où ils peuvent être examinés si nécessaire, puis direction la salle voisine, où leurs effets personnels sont gardés.
Chaque détenu reçoit son kit
En retour, ils reçoivent le kit du détenu : deux tenues, deux paires de bottes et le nécessaire de base. Ensuite, ils peuvent prendre un bain dans une autre salle avant d’enfiler leurs nouveaux habits. La visite se poursuit par un couloir menant vers un mini-stade omnisport. Sur les murs, des tableaux retracent l’histoire de l’Ukraine.
« Nous avons une histoire qui nous est propre », souligne Andy, qui rappelle que la Convention de Genève oblige les pays à bien traiter les prisonniers de guerre. Le stade est aménagé pour permettre aux détenus de pratiquer le sport de leur choix. De là, on peut lire en grandes lettres blanches, sur le toit du dortoir situé en face, PW : le sigle anglais de Prisoner of War (prisonnier de guerre).
Dans cette dernière bâtisse, plusieurs salles font office de dortoirs. Elles sont très bien aménagées. En plus d’un lit et d’une chaise, chaque prisonnier dispose d’une petite commode pour y ranger ses affaires. Sur certaines, quelques livres sont rangés. Ici, les prisonniers disposent d’une bibliothèque où ils peuvent en emprunter. Il y a aussi une salle de télévision et une autre dédiée aux jeux, où ils peuvent s’adonner aux échecs.
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Le sous-sol du dortoir fait office de bunker, où les prisonniers peuvent se réfugier en cas d’alerte au bombardement. Au rez-de-chaussée, on trouve un petit hôpital avec quasiment toutes les spécialités. Il y a également une salle d’hospitalisation. Ce matin, ils sont deux détenus de type caucasien. En plus du sport et des loisirs, les détenus travaillent à l’intérieur de la prison.
Ils peuvent s’occuper de quelques tâches manuelles, comme renforcer les haies, fabriquer des chaises ou confectionner des sapins de Noël. Ils peuvent aussi participer au nettoyage. Quel que soit le travail choisi, ils sont rémunérés en fin de mois. Ce pécule leur permet d’acheter, à la boutique de la prison, des effets personnels. Car ils sont nourris et blanchis.
Des prisonniers de plusieurs nationalités
D’ailleurs, les repas sont préparés par les prisonniers eux-mêmes, organisés en brigades tournantes. La prison dispose de sa propre boulangerie et d’un petit restaurant. Les prisonniers de guerre ne sont pas tous russes. Il y a, précise Andy, plusieurs autres nationalités, mais tous sont titulaires d’un passeport russe. Ici, chaque prisonnier a son histoire. Beaucoup, en quête d’un avenir meilleur, ont cédé à l’appât du gain. D’autres sont victimes de leur ignorance, ayant signé des documents sans en comprendre le contenu. Certains, emprisonnés en Russie pour des délits ou des meurtres, ont vu leur peine échangée contre un engagement dans l’armée russe.
Très peu sont là par conviction. Il y a Richard, le Sierra-Léonais, qui a fui son pays après un « différend avec un vice-ministre de l’Intérieur ». Amad, un Égyptien qui vivait aux Émirats et se définit comme un « bad boy ». Hassan, son jeune compatriote, étudiant un peu naïf.
Koffi, le Togolais, grièvement blessé. Shathuri, le Sri-Lankais désespéré. Igor, l’Ukrainien de Donetsk, ancien détenu, qui a pris les armes contre son propre pays. Ils ont tous reçu une formation militaire accélérée. Malheureusement, ils ont été capturés quelques jours ou semaines après leur arrivée sur le front. La plupart des Africains ont été recrutés par des agents.
Mais aujourd’hui, leur seule préoccupation est claire : « Si des échanges de prisonniers ont lieu, que nous soyons considérés comme des Russes et non comme des étrangers. Nous avons tous un passeport russe, car on ne peut pas faire la guerre sans ce document », tonnent-ils en chœur, non sans regretter leur sort. Pour combien de temps encore ? En attendant, ils apprécient les conditions de leur détention.
Par Aly DIOUF (Envoyé spécial en Ukraine, Pologne et République Tchèque)