À Guinguinéo, dans le cœur agricole du Saloum, souffle un vent inédit de leadership féminin. Depuis dix ans, toutes les femmes préfets passées à la tête de ce département ont gravi les échelons pour devenir gouverneurs de région. Hasard heureux ou mérite reconnu, la petite ville jadis ferroviaire s’impose désormais comme un tremplin pour l’ascension des femmes administratrices civiles.
Guinguinéo… Son nom résonne encore dans la mémoire ferroviaire du Sénégal. Jadis carrefour animé de la voie ferrée, la ville abritait de multiples gares où se croisaient voyageurs, commerçants et produits agricoles. Aujourd’hui, les rails sont presque silencieux, le sifflement des locomotives n’est plus qu’un souvenir, et le département avance au rythme lent de ses marchés hebdomadaires et de ses récoltes saisonnières. Troisième département de la région de Kaolack, Guinguinéo est entouré de plaines rizicoles, de champs d’arachides et de palmeraies clairsemées. L’entrée de la ville est marquée par de grands baobabs, sentinelles séculaires, et par des pylônes électriques de haute tension qui la traversent comme une cicatrice moderne. Ici, la vie est calme, parfois trop calme, et les défis du développement se lisent dans le manque d’infrastructures, l’état précaire des routes et l’exode des jeunes.
Pourtant, sous cette apparente torpeur, Guinguinéo cache une particularité : depuis dix ans, ses préfets femmes ne connaissent pas de plafond de verre. Une fois passées ici, elles s’envolent vers des responsabilités plus grandes. La préfecture de Guinguinéo est devenue, malgré elle, une rampe de lancement. Avant même les préfets, une autre femme a marqué de son empreinte l’autorité dans le département : Rokhaya Daba Diouf. Élue maire en 2014, ancienne conseillère municipale puis adjointe au maire, elle s’est imposée dans un univers longtemps réservé aux hommes. Devenue aussi député, elle a prouvé que la voix des femmes pouvait compter dans la gouvernance locale. Son ascension a ouvert un champ symbolique. Dans une ville longtemps réputée conservatrice, voir une femme diriger les affaires communales a bouleversé les codes et préparé, d’une certaine façon, l’accueil des femmes préfets qui allaient suivre.
Seynabou Guèye, l’éclaireuse
Le 4 février 2015, le décret présidentiel tombe : Seynabou Guèye est nommée préfet du département de Guinguinéo.Jeune administratrice civile, déjà aguerrie par son passage à Guédiawaye, elle débarque dans cette ville au charme discret mais aux attentes nombreuses. Les habitants se souviennent encore de son style : rigoureuse, méthodique, mais proche des populations. Elle sillonnait les communes rurales, visitait les champs, s’entretenait avec les notables et les jeunes. « Elle n’avait pas peur de descendre sur le terrain, de se salir les chaussures », confie-t-on à la préfecture. Son mandat dure quatre ans et trois mois. Le 13 mai 2019, la nouvelle prend de court le monde : Seynabou Guèye est promue gouverneur de Fatick. Une ascension rapide, qui fait la fierté des habitants de Guinguinéo.
Ndèye Guénar Mbodj, la rigoureuse
Le même jour où Seynabou Guèye est promue, une autre femme prend le relais : Ndèye Guénar Mbodj, jusque-là préfet de Fatick. Son style diffère. Plus réservée, moins expansive, elle incarne une autorité tranquille, presque silencieuse. Mais derrière cette discrétion se cache une efficacité redoutable. Elle gère avec fermeté les dossiers agricoles, les tensions foncières et les urgences sociales.
Pendant trois ans, elle porte les couleurs de Guinguinéo. Puis, le 14 juillet 2024, sa carrière prend un nouvel envol : elle est nommée gouverneur de Louga. Une fois encore, Guinguinéo confirme sa réputation de terre bénite.
Ngoné Cissé, la stratège
Le 8 novembre 2023, un nouveau préfet arrive : Ngoné Cissé. Issue d’une génération montante d’administratrices, elle apporte un souffle plus jeune et une approche moderne de la gestion territoriale. Durant son court passage, elle mise sur la concertation. Elle travaille étroitement avec les collectivités locales, les organisations de femmes et les jeunes. En moins d’un an, elle est à son tour promue : gouverneur de Fatick. Une ascension fulgurante, qui confirme l’étrange destin des femmes préfets passées par Guinguinéo. Depuis le 8 octobre 2024, une nouvelle figure incarne l’autorité administrative à Guinguinéo : Marième Pouye Anne.
Femme discrète mais déterminée, elle sait que son poste est un tremplin, mais aussi un lourd fardeau. « Les populations de Guinguinéo sont très attachantes. Mon objectif, c’est le service. Je veux laisser une empreinte positive. Pour moi, la plus grande réussite d’une autorité est sa réputation », confie-t-elle. Dans cette ville, les défis qui l’attendent sont colossaux. Il s’agit d’abord de la sécurité, car Guinguinéo n’a pas de poste de police mais seulement trois brigades de gendarmerie pour douze communes. Une fragilité inquiétante face à la montée de la délinquance. S’agissant des infrastructures de l’État, la plupart des services déconcentrés logent dans des maisons conventionnelles, inadaptées à leurs missions. Concernant le développement local, l’agriculture souffre du manque d’équipements modernes, les routes d’accès sont dégradées et les jeunes s’exilent.
Par Babacar Guèye DIOP et Marie Bernadette SÈNE