Au Sénégal, le débat sur l’adoption du bulletin unique aux élections se pose depuis toujours. Toutefois, son application divise. Dans tous les cas, le bulletin unique permet de faire des économies.
Une enveloppe de 11 milliards 664,5 millions de FCfa. C’est le montant consacré à l’impression des 348 millions de bulletins de vote et autres documents de propagande (affiches et professions de foi) au profit des 41 listes retenues pour les élections législatives anticipées du 17 novembre prochain. Un montant qui serait drastiquement réduit si le Sénégal avait adopté le bulletin unique pour l’organisation de ses scrutins. C’est pour cette raison certainement que le débat sur l’adoption de ce bulletin revient sans cesse à chaque fois que le Sénégal s’apprête à organiser une élection. « La question du bulletin unique est un épouvantail des questions électorales depuis plus d’une décennie au Sénégal », rappelle l’expert électoral Ndiaga Sylla selon qui ce format est utilisé dans certains pays africains dont le Gabon, le Congo-Brazzaville et le Togo. M. Sylla d’expliquer : « On avait fait des simulations à travers une étude de l’Union européenne en 2015 et un recueil de contributions citoyennes avec l’Ong 3D en 2019. Elles avaient indiqué qu’on pouvait économiser près de trois milliards de FCfa si on adoptait le bulletin unique. Ce dernier permet également de simplifier les opérations électorales puisque l’électeur gagne en temps de vote et le décompte des voix s’effectue de manière plus rapide ».
D’après le spécialiste, le bulletin unique, soumis à des critères d’identification (prénoms et nom ; titre du parti ou entité indépendante ; effigie et symbole), permet aussi de lutter contre l’achat de conscience lors des élections. « Même si le prix unitaire du bulletin unique peut être plus cher que les bulletins de vote traditionnels, en raison des mesures de sécurité (hologrammes, techniques d’infographie), ce dispositif permet de lutter contre le clientélisme politique. Les bulletins de vote actuels favorisent le marchandage de voix en poussant les électeurs à rapporter les bulletins des formations concurrentes en contrepartie d’une récompense », fait savoir Ndiaga Sylla. Et d’ajouter : « Le bulletin unique présente l’avantage de mettre en valeur des images et des symboles qui, dans une société comportant une large frange d’analphabètes, contribuent au renforcement du choix des citoyens ».
Serigne Thiam, enseignant-chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), a le même point de vue. Pour lui, le bulletin unique peut garantir la sincérité d’un scrutin dans la mesure où il permet de prévenir les possibilités d’achat de conscience par la technique des bulletins retournés par les votants.
« Le Sénégal est une vieille démocratie avec une culture en matière de vote très avancée. Le problème du bulletin unique est assez complexe. La classe politique ne s’est jamais accordée sur ce point, mais elle gagnerait à exploiter cette piste », pense Djibril Gningue, de la Plateforme des acteurs de la société civile pour la transparence des élections (Pacte). Tout comme ce dernier, Moundiaye Cissé, de l’Ong 3D, estime que le bulletin unique, loin de constituer un recul démocratique, permet d’établir un équilibre. Pour ces spécialistes, il répond aux principes d’équité et reflète une vitalité démocratique. De son côté, Mamadou Sy Albert, journaliste et analyste politique, pense que le bulletin unique ne peut avoir une incidence majeure sur les élections. « Les Sénégalais savent voter ; ils maîtrisent les mécanismes du vote. C’est, peut-être, au niveau des hommes politiques que la différence se fait sentir, car ceux qui sont plus connus à l’échelle nationale ou dans les départements auront plus d’avantages avec l’usage du bulletin unique », estime-t-il.
Matel BOCOUM et Mamadou Makhfouse NGOM