Longtemps perçue sous un prisme purement religieux, la retraite spirituelle du daaka de Madina-Gounass a fait l’objet d’une lecture inédite vendredi dernier au siège de l’institut. À l’invitation de l’Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN), l’historien Abderrahmane Ngaïdé et le Dr Seydi Djamil Niane ont exploré les racines historiques et sociopolitiques de cet événement majeur du calendrier confrérique, révélant les tensions mémorielles, ethniques et foncières qui le sous-tendent.
Sous les auspices de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan), le Pr Abderrahmane Ngaïdé et le modérateur, le Dr Seydi Djamil Niane, ont essayé de redimensionner la manifestation sous un angle original en convoquant un pan de l’histoire de la région de Kolda. Prenant le Dr Niane au mot, le Pr Ngaïdé a d’emblée souligné qu’effectivement la retraite est collective. D’où la disparition de « l’individu au profit de la collectivité ». « Dans l’histoire de l’Islam, nous avions des retraites individuelles. Or pour le daaka, il s’agit d’une retraite collective même si chacun a une expérience unique du daaka », fera remarquer le Dr Niane. La piste ainsi dégagée permettait au Pr Ngaïdé, tout en se penchant sur l’histoire et l’héritage, de procéder à des digressions.
Auteur de l’ouvrage « L’esclave, le colon et le marabout : le royaume peul du Fuladu de 1867 à 1936 », l’universitaire exhortera ses jeunes collègues à s’intéresser davantage à l’histoire de la région. Dans la continuité de ses travaux et pour encore percer les mystères de la localité. Surtout pour apporter des « solutions aux conflits », en référence à celui opposant les Peuls Gabounké et les Peuls originaires du Fouta-Toro dont est issu l’initiateur du « daaka ». Pour lui, il n’est point « possible de parler du daaka sans comprendre l’histoire de la région de Kolda ». Une histoire qui s’est étirée sur une période temporelle relativement courte ne permettant pas de créer une « histoire harmonieuse ». Mais il a retenu que le Fouladou du roi Moussa Molo, né en 1867, a été fondé sur la « quête de la liberté ». Contre toute forme de domination ou d’aliénation. Même si Moussa Molo a signé un protocole avec les colons qui ont aussi noué des relations avec les hommes religieux pour développer des cultures de rente.
Foncier et politique
« La colonie a encouragé la venue de marabouts. C’est ainsi qu’Aladji Aliou Thiam, de mère gabounké et de père foutanké, est venu de la Guinée-Bissau. Aladji Mamadou Seydou Bâ est venu du Fouta en 1927 en disciple du premier nommé. Aladji Mamadou Seydou Bâ dira que le souhait du marabout est qu’il remplace son maitre Thiam à son décès. Ce qui n’a pas eu l’approbation de tout le monde. Il quitte donc Madina El Hadji pour migrer ailleurs dans la zone », a expliqué le Pr Ngaïdé. C’est pour consolider la communauté qu’Aladji Mamadou Seydou Bâ a pensé à l’organisation de la retraite spirituelle, a encore soutenu le conférencier. Aussi, il a noté un « conflit foncier » dans le conflit. Appelant à « dé-taboutiser » les sujets pour les aborder dans leur aspect scientifique ».
Appelant à « privilégier la mémoire de l’histoire et d’avoir un autre regard sur les lacunes », il s’est interrogé sur la « fracture étant entendu que le daaka devait être une élimination progressive de l’individualité au profit de la collectivité ». D’où la nécessité d’éliminer « les lectures ethniques ». Une piste de résolution du conflit serait, selon lui, de voir « comment ramener l’esprit et le gain du daaka à l’urbain ». Ou encore faire de la retraite spirituelle, un « transformateur de notre « citadineïté » puisque c’est extrêmement important pour la stabilité du sud du Sénégal ». Et aux chercheurs, il indiquera que la « région de Kolda mérite toute votre attention ». Au nombre des leçons apprises, le Pr Abderrahmane Ngaïdé le « jeu politique » des acteurs. Il a ainsi rappelé que la première communauté rurale dans l’escarcelle du Parti démocratique du Sénégal (Pds) naissant de Abdoulaye Wade est bien celle de Madina-Gounass, lors des élections de 1978.
Le choix d’aborder la question du daaka sous l’angle du conflit a été, en réalité, un « choix assumé ». Dans son raisonnement se dessine « l’importance des conflits qui permettent une régulation des conflits ». D’ailleurs, pour le modérateur Niane, s’il « n’y avait pas eu de conflits, l’Islam ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui ». Encore que « le retrait des hommes pour le daaka est fait pour le bonheur des femmes et des enfants qui restent au village ».
Ibrahima Khaliloullah NDIAYE