Le commerce de compléments alimentaires devient lucratif au Sénégal. Avec la forte demande, des grandes surfaces ainsi que des vendeurs en ligne se sont mis dans le créneau, menant une concurrence déloyale aux pharmaciens. Cependant, ces produits ne sont pas sans danger. Un dosage incontrôlé, une conservation mal maîtrisée peuvent créer beaucoup de dégâts sanitaires, malgré la publicité vantant les bienfaits de ces produits.
Dakar fleurit de boutiques qui proposent à une clientèle particulièrement féminine des compléments alimentaires. Leur vente se fait également sur les réseaux sociaux avec un grand matraquage publicitaire, menant ainsi une concurrence déloyale aux pharmaciens. En cette matinée du mardi 28 janvier, un vent frais souffle sur la capitale sénégalaise. Les gens vaquent tranquillement à leurs préoccupations. Au populeux quartier Grand Yoff, des pharmacies ont déjà ouvert leurs portes. Des malades, accompagnants et autres personnes à la recherche de médicaments entrent et sortent. Cependant, ni les préposés à la vente, ni les pharmaciens qui officient dans ces officines ne sont disposés à répondre à nos questions. Ils semblent s’être passés le mot. Ici, c’est motus et bouche cousue.
Un peu plus loin, à Castors, précisément sur l’Avenue Bourguiba, à la pharmacie du « Front de Terre », les occupants semblent être plus disponibles. Vendeur en pharmacie depuis 1996, Youga Fall Dieng soutient que les compléments alimentaires que propose leur officine sont autorisés. Selon lui, les produits sont bien conservés dans le respect des règles médicales et hygiéniques qui ne font courir aucun risque aux consommateurs. Témoin de la discussion, le délégué médical, Lazare Coly de l’agence Mawapharma, de passage pour proposer ses produits, confie que les compléments alimentaires ne font que renforcer l’immunité. Il donne l’exemple des lutteurs qui consomment ces produits pour se procurer une masse musculaire. Pour lui, les compléments alimentaires ne sont pas nocifs. Cependant, précise-t-il, il faut les prendre avec précaution. Car, souligne-t-il, en cas d’excès, ils peuvent poser des problèmes à la personne.
De l’autre côté de l’Avenue Bourguiba, en face de la Cité des Eaux, se trouve la pharmacie « Elhadj Ibrahima Niasse». La pharmacienne, Dr Cathy Boula, nous fait un exposé assez exhaustif sur ces produits. Elle fait ressortir des nuances entre les compléments alimentaires et les médicaments proprement dits. Selon la praticienne, les compléments alimentaires viennent apporter un plus dans l’organisme et permettre à un malade de retrouver ses forces. « Par exemple, on prescrit à beaucoup de personnes de la vitamine C dans le traitement de la grippe. C’est parce que leur système immunitaire est un peu fragilisé à cause du virus de la grippe.
On ajoute cette vitamine en complément pour pouvoir stimuler le système immunitaire pour ne plus avoir les symptômes de fatigue. Quand on donne un complément alimentaire à un patient, c’est à but thérapeutique pour aider la personne qui se sent mal », explique cette professionnelle du médicament.
Dr Boula renseigne qu’il y a des compléments alimentaires qui stimulent le système immunitaire. C’est le cas du zinc, de la vitamine E, entre autres. D’autres, ajoute-t-elle, agissent au niveau du système nerveux central. C’est pour les patients qui ont l’humeur un peu faible ou qui sont dépressifs. Selon la pharmacienne, l’usage de ces compléments comble un déficit que nous n’avons pas dans le corps. Et dans une situation pareille, indique-t-elle, on peut donner des compléments alimentaires à base de magnésium. « Souvent, quand on se sent déprimé, on prend du chocolat. Parce que le chocolat stimule une hormone qu’on appelle la dopamine. La dopamine est accompagnée du magnésium. On prend des choses riches en magnésium, en potassium. C’est la raison pour laquelle en médecine et même en pharmacie, on conseille ces médicaments. Il y a beaucoup de compléments alimentaires qui sont conseillés par rapport au besoin du patient », fait-elle savoir.
Dr Cathy mentionne qu’il y a également des compléments alimentaires que les gens prennent pour stimuler l’appétit. Mais là aussi, déplore la pharmacienne, beaucoup de gens prennent certains médicaments qui leur sont proposés sur les réseaux sociaux qu’ils confondent souvent aux compléments alimentaires. C’est le cas de la cyproheptadine. Elle explique qu’à la base, ce dernier est un médicament destiné à autre chose. Un de ses effets indésirables, c’est de stimuler l’appétit. Donc, beaucoup l’utilisent pour ses effets indésirables, c’est à dire pour stimuler leur appétit. A en croire la pharmacienne, cela n’a rien de mauvais. Mais le problème, c’est qu’un abus peut avoir des effets négatifs sur la santé.
De gros risques pour les femmes
« Comme c’est un médicament en vente libre, sur les réseaux sociaux, on voit que tout le monde essaie de conseiller l’usage de compléments alimentaires pour stimuler l’appétit. Et ce qu’on constate souvent c’est la distribution de compléments alimentaires autres que des stimulants d’appétit sur ordonnance. Des sportifs en consomment également parce qu’ils veulent prendre du poids. Ceux qui ne font pas de sport en prennent et se retrouvent souvent avec une masse de graisse et non de muscle. Le plus souvent, ce sont des gens qui ont simplement entendu parler ou vu quelque part ces produits pour les prendre. Ce sont certes des médicaments qu’on peut donner sans avis ni ordonnance. Mais derrière, on essaie de discuter avec le patient et de l’orienter », clarifie Dr Boula. Par rapport au circuit, Dr Cathy Boula révèle qu’en officine déjà, les pharmaciens commandent leurs médicaments aux grossistes répartiteurs que sont : Ubipharm Sénégal, Duopharm, Laborex et Sodipharm. Selon elle, ces établissements suivent le circuit normal pour avoir l’autorisation de livrer tout médicament acheté par les officines.
Concernant les produits que prennent les femmes pour grossir ou avoir des formes généreuses, Dr Cathy Boula informe qu’il s’agit de stimulants d’appétit. Le hic, selon elle, c’est que beaucoup de ces femmes ne savent pas comment les prendre. « Quand tu stimules l’appétit, tu ne sais pas quelle partie du corps va grossir. Tout dépend de la morphologie de la personne. Ce sont des compléments alimentaires, mais qui ne doivent pas être pris n’importe comment », souligne-t-elle. La pharmacienne estime qu’il faut que les gens fassent la différence entre le complément alimentaire et le médicament. « Dans la définition du médicament, différents paramètres sont pris en charge : le côté thérapeutique, préventif, la modification pharmacologique.
Fausse publicité sur les réseaux sociaux
La cyproheptadine est un médicament. En revanche, il y a des compléments alimentaires comme le Ginseng que les femmes prennent la plupart du temps pour grossir », développe Dr Boula. Elle soutient qu’il y a une fausse publicité sur les réseaux sociaux concernant les médicaments et les compléments alimentaires. « On te dira que quand tu prends tel médicament tu vas grossir, alors que tous les organismes ne réagissent pas de la même façon. Aussi, on peut avoir une stimulation de l’appétit, mais on ne grossit pas comme on le souhaite. On peut même devenir obèse, parce que quand on stimule l’appétit, on mange ce que l’on veut et n’importe comment. Ainsi, on peut consommer assez de sucre, manger assez gras et courir le risque de contracter des maladies chroniques comme le diabète ou l’hypertension artérielle. Ça c’est un risque majeur », a-t-elle détaillé.
Pour les femmes qui prennent des médicaments pour développer leurs formes, Dr Boula indique qu’on voit souvent leur ventre grossir. Si on se fie à elle, ces produits sont en réalité des médicaments et se prennent sous avis médical. « Le médicament ne se prend pas sur une longue durée à moins que cela soit pour un traitement chronique », souligne-t-elle. Et le comble, alerte Dr Boula, c’est que ces personnes ne se limitent pas à prendre une seule molécule, un seul complément alimentaire, mais elles font des mélanges. C’est ce qui explique, selon elle, qu’on constate aujourd’hui qu’il y a beaucoup de cas de dialyse, d’insuffisance rénale à cause de la consommation de ces produits de façon exagérée. Elle insiste sur le fait que les compléments alimentaires sont destinés aux personnes qui sont dans le besoin. « Tout le monde n’en a pas besoin, sauf qu’avec la publicité dans les réseaux sociaux, on est en train de dériver. Ce que les gens doivent comprendre, c’est que la limite entre le médicament et le poison est très étroite. Il suffit simplement que la dose soit changée ou que le conditionnement soit mal fait. Rien qu’en étant en contact avec le soleil, la position des molécules peut changer. Les médicaments qui étaient inoffensifs deviennent offensifs pour la personne. Donc, il faut toujours demander l’avis d’un médecin », conseille la pharmacienne Cathy Boula.
Elle se veut catégorique pour la santé des populations « les compléments alimentaires et les médicaments doivent s’acquérir dans les pharmacies. Parce qu’on est sûr de la chaîne de conditionnement, on sait que le principe actif qui se trouve dans ce médicament est bel et bien à l’intérieur dans le sachet ». En plus, soutient-elle, on est sûr de la provenance des médicaments qui sont achetés chez les grossistes et enregistrés chez l’administrateur sénégalais. « Le meilleur moyen pour acheter un complément alimentaire, insiste Dr Boula, c’est de se rapprocher d’une pharmacie».
Samba DIAMANKA