Dans son nouvel ouvrage Covid-19 au Sénégal : communications, engagements communautaires et jeux d’acteurs, le professeur Amadou Ndiaye plonge dans les coulisses de la gestion de la pandémie. Entre communication officielle, réactions populaires et stratégies des différents acteurs, il décortique les dynamiques sociopolitiques qui ont marqué cette crise sans précédent. Son analyse révèle les tensions entre rationalités, la faible synergie entre l’État et les communautés. Il propose des pistes pour un système de santé plus inclusif et plus résilient.
Le souvenir de la pandémie de Covid-19 reste vivace dans les mémoires. Entre angoisse, solidarité et contestations, le Sénégal a vécu, comme le reste du monde, une crise sanitaire sans précédent. À l’heure actuelle, si l’actualité évènementielle nationale nous y replonge davantage à travers une gestion financière nébuleuse révélée par des rapports d’audit, le professeur Amadou Ndiaye emprunte le chemin de l’analyse en disséquant les engagements et les jeux d’acteurs en présence lors de cette épidémie. Dans son dernier ouvrage Covid-19 au Sénégal : communications, engagements communautaires et jeux d’acteurs, publié chez L’Harmattan en juillet 2025, il livre une lecture méthodique et fouillée de la gestion de cette crise, en s’appuyant sur une revue minutieuse de la presse en ligne et des réactions des officiels et des citoyens.
Ancien directeur d’école supérieure, aujourd’hui enseignant-chercheur à l’Université Amadou Mahtar Mbow (Uam), docteur vétérinaire et docteur en socio-économie, le professeur Amadou Ndiaye n’en est pas à son premier essai. Mais avec cet ouvrage, il se fait témoin et analyste d’une époque où le Sénégal a dû jongler entre impératifs sanitaires, contraintes sociales et gestion politique. L’ouvrage de 480 pages s’apparente à une fresque analytique de la gestion sénégalaise de la pandémie. Suivant un travail académique rigoureux, l’auteur structure son analyse en trois grandes parties : la première décline le cadre théorique et opératoire du risque, la deuxième revient sur la dimension sociopolitique de la crise sanitaire et la troisième, axée sur la dimension médico-sanitaire, passe au peigne fin les contributions des médecins, statisticiens, ingénieurs et communicants. De fait, l’auteur distingue deux registres de communication durant la crise : l’un sociopolitique, l’autre médico-sanitaire. « Du côté politique, trois moments se dessinent : une phase préliminaire de mobilisation, une deuxième de prise en main, puis un relâchement marqué par la lassitude des populations », explique-t-il.
Une gestion technocratique contestée
Sur le plan sanitaire, il décrit également « une communication offensive, suivie d’une communication défensive, avant de devenir erratique face aux incertitudes de la pandémie ». Ainsi, après avoir rigoureusement analysé les postures des acteurs, l’auteur conclut que la communication officielle, portée par le président de la République et le gouvernement, d’abord centrée sur la notion de risque, a rapidement basculé vers une communication de crise. Pour Amadou Ndiaye, cette réalité a mis en lumière la difficulté des autorités à maintenir une cohérence dans leur discours, confrontées à la rapidité de l’évolution du virus et aux réactions parfois imprévisibles des citoyens. Partant, l’un des apports majeurs de l’ouvrage réside dans l’étude des interactions entre les différents protagonistes : autorités politiques, corps médical, guides religieux, société civile et scientifiques.
« Fondamentalement, le jeu d’acteurs est régi par des positionnements déterministes et des stratégies de patrimonialisation », souligne M. Ndiaye. Selon lui, derrière les discours officiels se cachent des rivalités de ressources, de légitimité et de pouvoir. Une dimension sociopolitique de la crise reflétée par les tensions autour de la fermeture des mosquées, de la vaccination et surtout des enterrements de victimes de la Covid-19, qui ont suscité des résistances communautaires.
Le poids des réalités sociales
« La douleur s’est intensifiée pour certaines familles à qui l’on a refusé la dignité des rituels funéraires », écrit-il, posant la question de l’humanité dans la gestion d’une crise (voir pages 123 à 156). En filigrane, l’auteur interroge la technostructure de la gestion de crise. A-t-elle suffisamment intégré la dimension culturelle et émotionnelle ? A-t-elle sous-estimé l’impact des mesures sur la cohésion sociale et sur la confiance des citoyens ? « Les institutions qui, d’avance, détruisent les chefs », écrivait François Mauriac en 1967, une citation que Ndiaye mobilise pour éclairer le déclin de l’autorité politique face à la pandémie. « Pour éviter toute inversion de valeurs, certains se sont montrés agressifs pour récupérer leurs malades ou leurs morts », note Ndiaye, citant Christophe Castaner : « L’émotion est au-dessus du droit. »
Au-delà du diagnostic, l’ouvrage esquisse des pistes de réforme. L’auteur plaide pour « un système de santé innovant, interdisciplinaire et inclusif », capable d’associer les spécialistes des affections chroniques aux dispositifs de gestion des crises épidémiques. Il appelle également à la mise en place d’une « veille socio-communication transdisciplinaire » pour mieux intégrer l’instantanéité des réseaux sociaux et la réactivité des internautes.
Un travail de mémoire
À travers cette production, Amadou Ndiaye assume une double ambition : documenter un moment historique et ouvrir le débat sur l’avenir. « Cet ouvrage peut, à la limite, prétendre être un mémoire de presse utile ou un document de travail pour ceux qui s’intéressent à la gestion du risque et de la crise », précise-t-il avec modestie. Pour le chercheur, il s’agit avant tout de rendre hommage aux morts, aux malades et aux multiples acteurs engagés dans la lutte. « Ici, au Sénégal, les experts, les religieux, les soignants et les citoyens ont tous pris part à la gestion, chacun avec ses moyens et ses contradictions », écrit-il. Une leçon d’humilité et de complexité qui, selon lui, doit nourrir les futures réponses collectives. En définitive, « Covid-19 au Sénégal se présente comme un miroir des tensions, des solidarités et des maladresses d’une nation face à l’épreuve ». En revisitant le cas sénégalais de la gestion de la pandémie, le professeur Amadou Ndiaye entend ainsi « offrir une contribution précieuse à la réflexion globale sur la gestion des crises sanitaires. Dès lors, l’auteur gage que son ouvrage intéressera autant les étudiants que les chercheurs et praticiens des politiques publiques de santé. Ces derniers « pourraient trouver des éléments utiles à l’exercice de leurs professions respectives et/ou à l’amélioration des interactions multidisciplinaires pendant une période spécifique », a écrit le professeur à l’avant-propos du livre.
Par Souleymane WANE