La question de l’offre et de la demande de soins de santé en zone frontalière est un indice d’une importance capitale, eu égard aux mouvements des populations. C’est à la quête de plus de compréhension de cet indice que s’attèle le projet « Shegas », conçu pour « l’Élaboration de stratégies pour coordonner ces offres et demandes » entre le Sénégal et la Gambie. Ce projet, mené par des universitaires et des chercheurs, révèle qu’il y a plus de Sénégalais qui vont en Gambie pour des soins de santé que de Gambiens au Sénégal.
Plus de Sénégalais vont en Gambie pour des soins que de Gambiens habitant dans la même zone frontalière, au Sénégal. Ils sont dix contre trois Gambiens, selon Dr Mariame Diallo de la Medical center institute (Gambia) qui a procédé, hier, au cours d’un atelier de « Cartographie multicritères », à la restitution de l’étude du projet « Shegas » sur « l’élaboration de stratégies pour coordonner l’offre de soins de santé entre la Gambie et le Sénégal ». Un projet qui « s’inscrit dans une perspective assez large de mobilité et de migration », explique le Pr Mouhamadou Sall de l’Institut de population, de démographie et de la santé reproductive (Ipdsr). La question discutée et impliquant des chercheurs gambiens et sénégalais est « un défi pressant pour les prestataires de soins de santé et les décideurs politiques dans les pays à revenu faible et intermédiaire puisqu’il s’agit d’adapter les systèmes de santé à la mobilité de la population ». « En 2024, la mobilité mondiale de la population a atteint plus d’un milliard, l’Afrique représentant 10 % des migrants internationaux. La plupart des migrants africains restent sur le continent, l’Afrique de l’Ouest accueillant 8,4 millions de migrants, soit 2,8 % de sa population. 90 % des migrants ouest-africains viennent des pays voisins, ce qui montre les mouvements régionaux importants pour des raisons économiques et sociales. Malgré cela, il reste difficile d’estimer précisément les migrations internes et transfrontalières », a déclaré le Pr Sall, rappelant que les deux entités sénégalo-gambiennes constituent un même peuple. Il a dénombré 216.000 Sénégalais établis en Gambie contre 275.000 habitants de ce pays au Sénégal. Avec des « mouvements de populations intenses ».
Dr Diallo note que les populations qui traversent l’une ou l’autre frontières sont de « tous âges et de différents groupes ethniques ». L’étude a révélé également que ce sont des Sénégalais démunis qui vont en Gambie, alors que les populations gambiennes sont plutôt aisées. Ils traversent les frontières pour des raisons économiques, a-t-elle souligné. Ces Gambiens viennent à Dakar, allant au-delà des structures établies dans les zones frontalières. Elle a appris que sur le financement, les patients sénégalais qui vont en Gambie paient le double de ce que les Gambiens qui viennent au Sénégal paient : 949 FCfa contre 499 FCfa. Aussi, les « raisons de la mobilité ont évolué avec le temps par rapport au manque de soins de santé, le fait d’avoir un parent, les affections stigmatisantes », selon Dr Diallo. Elle a convoqué la perception de l’efficacité des soins et des médicaments.
L’étude, impliquant l’Ipdsr, le département de Sociologie de l’Ucad, la « London school of hygiene for tropical medicine », le Mrc « Unit Gambia », est revenue sur les accords bilatéraux et la collaboration entre les deux États qui sont souvent « vides ». Ou encore la nécessité d’une « harmonisation des informations sanitaires » eu égard aux difficultés de suivi des patients avec des adresses et numéros de téléphone incorrects et une « coopération assez limitée ». « Il n’y a pas d’accord formel pour l’harmonisation des informations de santé, même si les deux pays utilisent des plateformes numériques », a révélé le Dr Mariama Diallo.
Pour le Pr Tidiane Ndoye, du département de sociologie, il est impératif d’accompagner, de faciliter les déplacements des populations frontalières, en créant un cadre pour continuer les relations séculaires ». Le Pr Sall a rappelé la « civilisation (actuelle) du risque » avec plus de zoonoses à l’avenir. Faisant allusion aux récentes pandémies de Covid-19 et d’Ebola. Ce qui devrait inciter les États à mieux prendre en charge la question de l’offre et de la demande de soins dans les zones frontalières avec de « meilleures stratégies prenant en compte un paradigme systémique qui identifie plusieurs facteurs à la fois ».
Ibrahima Khaliloullah NDIAYE