Le ministre de la Santé et de l’Action sociale fait, dans cet entretien, un diagnostic de son département. Dr Ibrahima Sy est d’avis que « le système de santé du Sénégal est plus ou moins résilient ». Cependant, il reconnait que la gouvernance doit être revue pour atteindre une souveraineté sanitaire. Il invite aussi les syndicats au dialogue afin de trouver un pacte de stabilité sociale.
Entretien
Que pensez-vous de l’annonce d’une grève générale les 2 et 3 janvier 2025 par la Fédération des syndicats de la santé (F2S) ?
Le ministère de la Santé et de l’Action sociale n’a jamais rompu le dialogue avec les organisations syndicales, surtout celles qui travaillent avec lui. Je les ai reçues, au moins, à trois reprises depuis ma nomination pour discuter de leurs revendications qui datent de plus de 10 ans et qui n’avaient pas été jusqu’ici satisfaites par les anciens régimes. Nous avons demandé un peu de répit pour réfléchir sur cette plateforme afin de voir ce qui est possible de faire maintenant, et ce qui doit attendre, le temps que les finances publiques aient une meilleure santé pour voir comment les satisfaire. Les syndicalistes sont en contact permanent avec mon collègue de la Fonction publique qui est en train de mener les discussions. En tout cas, en ce qui nous concerne, nous sommes à leur écoute. Si le gouvernement ne donne pas pour l’instant une satisfaction à leurs revendications, c’est parce que les ressources sont vraiment limitées. Aussi, la situation que nous avons héritée au ministère est caractérisée par une dette extrêmement importante. Ce n’est pas que nous ne prêtons pas une oreille attentive aux revendications dans le secteur de la santé, mais la situation est telle que nous aurions bien voulu avoir un pacte de stabilité sociale de 3 ans pour travailler et remettre le budget du ministère au beau fixe pour répondre aux revendications des syndicats.
En novembre dernier, vous aviez fait un diagnostic situationnel du secteur de la santé qui a révélé de nombreuses anomalies. Y a-t-il eu des corrections ? Nous avons demandé à la direction de la solde de procéder à l’arrêt du paiement des salaires pour les agents concernés afin d’y voir plus clair. Quelques-uns d’entre eux se sont manifestés. Le ministère des Finances et du Budget avait prévu de nous faire parvenir la liste de ces personnes qui se sont manifestées. Et pour les autres, depuis deux mois, il n’y a pas eu de réclamation. Nous continuons à travailler sur cette question. Il se trouve que ce sont des agents identifiés, et rien n’empêche que nous demandions un ordre de recette parce que durant tout ce temps, ils n’ont pas travaillé pour le ministère de la Santé.
Le Sénégal est-il en règle par rapport à la contribution statutaire au budget de l’Organisation mondiale de la santé (Oms) ?
Les contributions statutaires correspondent aux droits d’adhésion payés chaque année par les États membres, sur la base du budget approuvé par le conseil de direction. La contribution des États membres permet de renforcer la résilience financière de l’Oms, de mieux planifier la mise en œuvre de sa stratégie et de répondre aux crises. Les avantages sont nombreux. Elle permet par exemple au Sénégal de renforcer son positionnement stratégique international, ce qui augmente notre leadership et notre visibilité. Mais aussi son engagement comme pierre angulaire d’un financement flexible et prévisible de système de la santé, etc.
Le Sénégal est redevable d’un montant estimé à 173.619 dollars américains soit 104.670.130 FCfa répartis comme suit : 80.390 de dollars pour 2024-2025 ; 93.229 de dollars de 2020 à 2023. L’Oms avait adressé une correspondance au ministère de la Santé via le ministre des Affaires étrangères pour lui rappeler ses obligations. Les inconvénients du non-versement d’un pays membre de sa contribution statutaire peuvent entraîner le retrait du droit de vote lors des assemblées de l’Oms. Pour rappel, le Sénégal s’était fait suspendre de son droit de vote à la 73e assemblée mondiale de la santé tenue du 9 au 14 novembre 2020. Il y a aussi la non-acception de candidatures de ressortissants de ce pays à un poste de responsabilité au sein des organes dirigeants de l’Oms; le non-bénéfice des subventions de l’Oms et des politiques initiées par cet organisme. Ce retard dans les contributions statutaires n’entraine pas des pénalités, mais une perte d’avantages et de bénéfices. Heureusement, à notre arrivée, nous avons payé deux années d’arriérés de 2020 à 2022.
Aujourd’hui, quelles sont les urgences à régler au ministère de la Santé ?
La première urgence, pour moi, c’est de relever le plateau technique médical. Parce que la prise en charge des malades dépend des services des hôpitaux ou structures de santé. Et cela demande un personnel qualifié, une aide au diagnostic, mais aussi un bon système d’information et d’orientation. Nous devons améliorer la prise en charge. Il y a aussi la question du matériel et des équipements qui est assez importante. Nous avons trouvé une situation où des hôpitaux avaient du mal à fonctionner parce que, à chaque fois, ce sont des pannes de scanner, d’Irm ou de radiothérapie.
L’urgence pour moi, c’est d’investir pour avoir un personnel de santé qualifié. Mais aussi sur tout ce qui est aide au diagnostic, amélioration du système de gouvernance, de management dans nos établissements de santé, de sorte que tout ce qui est information, orientation, accueil, prise en charge soient facilités. Nous savons que c’est un véritable problème. Ce qui bloque ou fait peur aux populations, c’est le coût de l’accès aux soins. Il a été beaucoup décrié. Je pense que si nous voulons réduire ce coût, il va falloir améliorer notre carte hospitalière avec beaucoup plus d’hôpitaux, de centres de santé, etc. Ce qui va avec une augmentation du personnel de santé de qualité. Cela se fera si les Sénégalais acceptent de contribuer à l’effort de soins. Contribuer à l’effort de soins, c’est adhérer à l’assurance. Au Sénégal, seulement 52% de la population ont une couverture sanitaire. Cela veut dire que 48% n’en disposent pas, ce qui correspond à peu près à 9 millions de Sénégalais.
Si chacun d’entre eux accepte de donner 10.000 FCfa par an, ce qui correspond à 800 FCfa par mois, nous allons couvrir tous nos besoins en soins de santé. Cela signifie que nous pouvons aller dans un hôpital ou un centre de santé, nous faire prendre en charge pour des frais de ticket modiquses, et que nous pouvons payer seulement 1/5 du coût global et avoir tout un paquet de services offerts. C’est moins coûteux pour les ménages et les patients, et c’est faisable. Cette politique de santé est facilitée par la collaboration avec le ministère de la Famille et des Solidarités qui gère la couverture sanitaire universelle (Csu). L’assurance doit être rattachée à cette couverture sanitaire universelle. Mais ce qui pourrait accélérer tout ce processus, c’est la digitalisation. Quand le dossier du patient est digitalisé, on pourra relier les données de la structure sanitaire avec celles de la Csu. De ce fait, celui qui a une assurance pourra se soigner, et la structure sanitaire envoie la facture et l’Agence de couvertures sanitaire universelle (Csu) qui paie. Cela va améliorer la gouvernance. Voilà une urgence absolue. Et cela va rejoindre une autre priorité qui est la souveraineté pharmaceutique sur laquelle nous sommes en train de travailler. Il y a un autre volet lié à la prévention des maladies non transmissibles.
Que faut-il pour un système de santé résilient et une souveraineté sanitaire ?
Il faut revoir la gouvernance du système de santé. Nous avons une pyramide sanitaire qui est composée de ce que l’on appelle la santé de base, qui gère tout ce qui est soins de santé primaire, et la santé de référence, qui gère les soins hospitaliers. Et aujourd’hui, si nous voulons une résilience, nous avons besoin de savoir si notre carte sanitaire est à jour ou non. Parce que s’il y a des urgences sanitaires, il faut un dispositif pour répondre à l’alerte. Ce qui expliquera notre capacité de résilience. Et l’autre question liée à la résilience sanitaire, c’est la disponibilité de laboratoires au Sénégal. Il faut que nous développions notre réseau de laboratoires pour que partout au Sénégal, nous puissions faire des prélèvements, des analyses, avoir des résultats à temps réel surtout, en période d’épidémie. C’est ce qui va permettre d’améliorer notre système de surveillance. La résilience sanitaire va aussi avec un bon système de surveillance épidémiologique. Dieu merci, au Sénégal, nous avons un bon maillage territorial en matière de surveillance épidémiologique de sorte que quand il y a de nouvelles maladies qui émergent, nous ferons une détection très précoce. Il y a également la question des ressources humaines de qualité.
Sur ce point, notre problème, c’est la capacité d’absorption du personnel formé. Nous avons plus de médecins spécialistes formés. Pour moi, le personnel de santé est l’un des piliers quand on parle de souveraineté sanitaire, de résilience du système de santé. Il faut avoir des gens bien formés, capables de faire le travail médical qu’il faut. L’autre volet, c’est le fait d’avoir un dispositif comme le Centre d’opération d’urgence sanitaire qui nous permet de réagir en cas d’épidémie ou de pandémie. Nous avons également des dispositifs comme l’Institut Pasteur de Dakar (Ipd), l’Institut de recherche en santé, de surveillance épidémiologique et de formations (Iressef), le Service des maladies infectieuses et tropicales (Smit), le Centre international de recherche et de formation en génomique appliquée et de surveillance sanitaire (Cigass).
Ces dispositifs ont des potentialités pour aider le système de santé à être résilient. Globalement, nous avons un système qui est plus ou moins résilient. Le problème, c’est la difficulté que nous avons pour investir afin d’améliorer notre carte sanitaire pour gérer le problème des déserts médicaux. Je donne l’exemple de l’hôpital de Kaffrine qui est de niveau 2. Si nous regardons la carte sanitaire, nous dirons que c’est une structure qui devait être établie. Mais la question c’est de savoir si nous avons tous les services qui correspondent à un établissement de santé de niveau 2 pour fonctionner et offrir les services auxquels les populations attendent ? Quand on parle de souveraineté sanitaire, ce sont toutes ces questions qu’il faudrait mettre en avant.
Le gap ens personnel de santé est décrié par les syndicats. Qu’en est-il vraiment ?
Du fait d’un retard accusé dans les recrutements du Msas depuis plus de 11 ans, les besoins en ressources humaines pour combler le gap en personnels de santé sont évalués à 18.947 agents pour la période 2025-2029. Selon les années, il faut 4.042 agents en 2025, 3.968 agents en 2026, 3.718 agents en 2027, 3.685 agents en 2028 et 3.661 agents en 2029 pour satisfaire les besoins en ressources humaines. Ces besoins en personnels de santé sont pour l’instant hors de portée du budget national, mais le ministère de la Santé et de l’Action sociale est en train de travailler à des solutions alternatives pour absorber une partie des gaps à travers divers projets et programmes de santé à négocier auprès des partenaires techniques et financiers.
Recueillis par Serigne Mansour Sy CISSÉ