Rencontré à Dakar, début septembre, en marge du Forum africain des systèmes alimentaires 2025, Dr Paulin Basinga a également participé à New York au Gala Goalkeepers awards de la Fondation Gates dont il est le directeur Afrique. Le médecin rwandais, successeur du sénégalais Cheikh Oumar Seydi, revient, dans cette interview, sur les actions de la Fondation Gates dans la recherche scientifique, la santé et le développement sur le continent africain.
Quelles sont la mission et les priorités de la Fondation Gates en Afrique ?
L’Afrique a accompli des progrès remarquables au cours de la dernière génération, et la mission de notre Fondation est de soutenir cette dynamique en investissant dans des priorités définies et menées par les Africains eux-mêmes, afin de nous rapprocher de la réalisation des Objectifs de développement durable. Nous travaillons aux côtés des gouvernements, d’organisations locales et internationales et des communautés, en mobilisant l’expertise scientifique pour renforcer le leadership national.
Sur l’ensemble du continent, nos priorités incluent la lutte contre les décès évitables de mères et de nouveau-nés, la protection des jeunes générations contre les maladies infectieuses mortelles, et la sortie de la pauvreté pour des millions de personnes.
Nous collaborons également étroitement avec différents pays pour aligner nos actions sur leurs objectifs nationaux de développement, notamment dans les domaines de la santé maternelle et infantile, de la nutrition, de la vaccination et de l’agriculture, y compris le soutien aux petits exploitants agricoles. Le principe directeur de toutes nos actions est d’investir dans les priorités africaines, afin de garantir un progrès durable, ancré et conduit localement.
Parlant de maladies infectieuses mortelles, pensez-vous que l’éradication du paludisme sera bientôt possible sur le continent ?
Cette année encore, le continent a prouvé que l’élimination de maladies infectieuses est possible. Le Niger est devenu le premier pays africain à éliminer l’onchocercose, ou la cécité des rivières, un jalon historique qui illustre ce qu’il est possible d’accomplir grâce à un leadership fort, de la persévérance et des outils adaptés. Au cours des 25 dernières années, des progrès similaires ont été réalisés contre d’autres maladies majeures. La mortalité liée à la tuberculose a chuté de 45 %, sauvant environ 63 millions de vies, et l’accès élargi à un diagnostic plus rapide et à des traitements améliorés permet à des pays comme l’Afrique du Sud de se rapprocher de leurs objectifs d’élimination de la tuberculose. Dans la lutte contre le paludisme, les avancées ont également été considérables, mais pour éliminer cette maladie, nous devons conjuguer innovations audacieuses et renforcement des systèmes de santé. Des percées récentes, comme le vaccin R21/Matrix-M, les moustiquaires et insecticides de nouvelle génération, ainsi que de meilleurs traitements, élargissent les possibilités, et ce sont des scientifiques africains qui mènent ces travaux. Ici même, la science progresse à un rythme rapide, nous rapprochant plus que jamais d’outils révolutionnaires de nouvelle génération. Cela inclut la recherche sur des technologies prometteuses comme le forçage génétique (« gene drive »), qui pourrait offrir une solution décisive là où les outils actuels atteignent leurs limites. Le Cap-Vert, l’Ile Maurice et l’Algérie ont déjà été certifiés exempts de paludisme par l’Organisation mondiale de la santé, un accomplissement remarquable sachant que l’Afrique supporte encore environ 95 % des cas mondiaux et 96 % des décès liés au paludisme en 2021. L’éradication est la seule solution durable. À la Fondation Gates, nous travaillons avec des scientifiques, des gouvernements et des communautés africaines pour accélérer le développement et la distribution équitable des outils de nouvelle génération, tout en renforçant les systèmes de santé capables d’atteindre les zones les plus reculées et les plus touchées.
Chaque étape franchie nous rappelle que l’élimination est possible, et qu’un monde
sans paludisme est à portée de main. Avec des investissements soutenus à long terme, de l’innovation et un leadership communautaire fort, nous pouvons faire en sorte que la prochaine génération grandisse à l’abri des maladies infectieuses les plus meurtrières d’aujourd’hui. Notre objectif est de faire de l’éradication des maladies infectieuses une réalité pour la génération à venir.
Au Sénégal, depuis quelques années, la Fondation Gates soutient l’Institut Pasteur de Dakar dans la production de vaccins. Où en est ce partenariat ?
L’Institut Pasteur de Dakar (Ipd) est un pilier de l’innovation en santé publique en Afrique, avec une longue expérience dans la recherche, le développement et la fabrication de vaccins, notamment contre la fièvre jaune, protégeant ainsi des millions de personnes en Afrique et dans le monde. Ces dernières années, la Fondation Gates a collaboré avec l’Ipd pour renforcer la production existante de vaccins et faire progresser de nouvelles technologies afin de préparer l’Afrique aux défis sanitaires futurs. Un premier soutien, d’un montant de plus de 5 millions de dollars américains, a permis à l’Ipd de rénover son usine de production de vaccins contre la fièvre jaune pour répondre aux normes de préqualification de l’Oms. Ce soutien initial s’est ensuite élargi à la mise en place de capacités de production d’Arn messager (ArNm) à Dakar. Les scientifiques de l’Ipd ont déjà réalisé des avancées, notamment dans la recherche sur le tout premier candidat vaccin à ArNm du Sénégal contre la fièvre de la Vallée du Rift. Ce sont des étapes encore précoces, mais essentielles, vers l’objectif à long terme de bâtir un écosystème vaccinal durable et dirigé localement en Afrique. Le rôle de la Fondation reste catalytique, apportant financement, expertise technique et capacité de mobilisation, tandis que la vision et le leadership demeurent entre les mains de l’Ipd. L’objectif commun est de permettre à l’Afrique de développer ses capacités scientifiques, réglementaires et industrielles pour répondre rapidement aux épidémies et assurer la pérennité des programmes de vaccination de routine. Nous avons également soutenu l’autorité de régulation sénégalaise, l’Arp, dans l’obtention du niveau 3 de maturité (ML3) de l’Oms pour les médicaments, et nous continuons à l’accompagner vers ce même niveau pour les vaccins. Cette étape est cruciale pour permettre à l’Arp d’exercer une supervision efficace de la production de vaccins de l’Ipd, au bénéfice de l’Afrique et du reste du monde.
Il circule souvent de fausses informations sur les vaccins et sur les objectifs de la Fondation Gates. Comment luttez-vous contre cette désinformation ?
La désinformation constitue un défi majeur pour tous les acteurs de la santé mondiale et du développement, mais aussi pour les familles et les communautés. Car elle risque d’éroder la confiance dans les solutions mêmes qui sauvent des vies et améliorent la santé, le bien-être et les perspectives économiques. Notre approche consiste à travailler avec des partenaires qui garantissent l’accès à une information précise, transparente et diffusée en temps utile. Cela signifie soutenir les gouvernements, les institutions de santé et les organisations communautaires pour qu’ils partagent les faits de manière pertinente et adaptée aux publics qu’ils servent. En définitive, la meilleure réponse à la désinformation, c’est l’impact visible. Lorsque les communautés constatent les bénéfices des vaccins, d’une meilleure nutrition ou de systèmes agricoles renforcés, la confiance s’installe naturellement. Elle grandit quand les familles voient moins d’enfants tomber malades et davantage de mères survivre à l’accouchement. Ces progrès visibles parlent d’eux-mêmes.
Bill Gates a annoncé que sa Fondation mettrait fin à ses activités d’ici à 2045. Qu’en est-il exactement ?
Comme vous le savez peut-être, Bill Gates a annoncé, en mai dernier, un engagement historique, au cours des 20 prochaines années, que la Fondation investira 200 milliards de dollars, soit environ le double de ce qu’elle a dépensé au cours des 25 dernières années, afin d’accélérer les progrès en matière de santé mondiale et de développement. Notre priorité restera les domaines où notre impact peut être le plus fort, réduire la mortalité infantile, éradiquer ou éliminer les maladies infectieuses et sortir encore davantage de personnes de la pauvreté.
Fixer une date de fin reflète notre conviction que les progrès durables doivent, en fin de compte, être dirigés et assumés par les gouvernements et les communautés eux-mêmes. La philanthropie vient en appui, comme un levier complémentaire aux solutions publiques qui sauvent des vies. Notre objectif désormais est de maximiser l’impact de chaque dollar investi et de chaque partenariat, pour que les 20 prochaines années soient encore plus transformatrices que les 25 précédentes.
Propos recueillis par Omar DIOUF