À Saré Kanta, dans la commune de Thiéty (région de Kolda), deux femmes victimes de fistules obstétricales ont accepté de se confier sur l’enfer qu’elles ont vécu, notamment l’isolement social subi dans l’entourage familial. Mais après leur guérison complète, elles ont repris une vie normale. Elles sont même devenues des agents de mobilisation sociale auprès de l’Ong Tostan, pour sensibiliser sur la fistule obstétricale.
KOLDA – Saré Kanta est un village situé à une cinquantaine de kilomètres de la ville de Kolda. Il est niché au cœur de la commune de Thiéty. Sous un soleil de plomb, les pas de danse improvisés et les chants traditionnels des femmes du village résonnent et rythment la matinée. Dès l’entrée, les moteurs des véhicules attirent la curiosité des riverains, particulièrement des enfants et des femmes. Cet accueil chaleureux est réservé à la délégation de l’Ong Tostan, venue rendre visite à ses partenaires : d’anciennes victimes d’une maladie encore largement méconnue en milieu rural — la fistule obstétricale. Cette dernière « est une communication anormale entre le vagin et la vessie et/ou le rectum ». Elle résulte « d’un travail prolongé et difficile, généralement en l’absence de soins obstétricaux de qualité ». Provoquant « une fuite d’urine et/ou de matières fécales par le vagin », elle entraîne « souvent des problèmes de santé chroniques, un isolement social, et une pauvreté », explique-t-on. Cette visite dans ce village peul, peuplé de quelques centaines d’habitants, est l’occasion pour deux femmes de se confier sur leur vie avec cette maladie et après qu’elles ont été traitées et guéries.
La fistule obstétricale touche particulièrement les femmes victimes de grossesses précoces, celles de petite taille, etc. Elle survient, le plus souvent, au moment de l’accouchement, après un travail prolongé.
Isolement social
Les conséquences de cette pathologie sont nombreuses, aussi bien au plan sanitaire que sociale. Elles sont parfois douloureuses, car les victimes subissent un drame humain doublé d’une exclusion sociale. Une fois atteinte, la femme dégage une odeur nauséabonde due à l’écoulement incontrôlé d’urines ou de matières fécales. Ainsi, elle ne peut plus fréquenter personne. C’est ce qu’ont vécu deux femmes que nous avons rencontrées à Saré Kanta. Elles se nomment Sény Mballo et Hothia Mballo. Ces deux dames aux parcours similaires ont accepté de témoigner. « Il arrive qu’on soit malade sans même savoir ce dont on souffre », confie Sény.
En neuf mois de grossesse, elle n’avait jamais consulté un médecin. Lors de l’accouchement de son cinquième enfant – le dernier – elle a développé une fistule. Son calvaire a commencé. « Je sentais mauvais. Je ne pouvais plus fréquenter les gens. Je restais dans ma chambre toute la journée. Tout le monde me fuyait », raconte-t-elle. Pour lui donner à manger, on envoyait un enfant. Le plat était ensuite destiné aux animaux, personne ne voulait que ses enfants y touchent. Pire, son mari l’a abandonnée. « Il m’a accusée d’infidélité, disant que c’était la cause de ma maladie », narre-t-elle, la mine triste.
Contrairement à Sény, Hothia a bénéficié du soutien indéfectible de son mari, malgré le regard accusateur des voisins. « Après le cas de Sény, on a expliqué à mon mari que c’était une maladie curable. Il m’a accompagnée jusqu’à ma guérison », témoigne-t-elle avec un sourire retrouvé. Mais elle aussi a souffert de l’isolement. «Je ne faisais plus aucune activité. Pourtant, avant, j’étais très active avec les femmes du village», ajoute-t-elle. Une seule intervention chirurgicale a suffi à la guérir. Sény, elle, en a subi deux.
Le soutien salvateur de Tostan
Heureusement, l’Ong Tostan, engagée pour l’élimination de la fistule en zone rurale, est arrivée à temps. « Un jour, j’étais chez moi quand des collaborateurs de Tostan sont passés pour sensibiliser. C’est en ce moment-là que j’ai compris ce dont je souffrais exactement », se souvient Sény. Grâce à l’appui de son beau-fils enseignant, elle bénéficie d’une prise en charge complète. Puis, ce fut le tour de Hothia. «Tostan nous a profondément soutenues», affirme-t-elle.
Après la guérison, il restait la question de la réintégration sociale. Là encore, Tostan était présente. Sény témoigne que l’Ong les a encadrées pour reprendre leurs activités génératrices de revenus et renouer avec la communauté. Sans rancune, elles affirment avoir pardonné. « Ils ne savaient pas ce qu’était la fistule », soutient Sény. Aujourd’hui, toutes deux sont devenues des ambassadrices de la lutte contre la fistule obstétricale dans la commune de Thiéty et au-delà. Agents de mobilisation sociale, elles parcourent les villages pour repérer de nouveaux cas et orienter les victimes vers Tostan. « On nous appelle de partout. Lors des réunions sur la fistule, nous sommes invitées », affirme Hothia. Ces femmes, autrefois rejetées, sont aujourd’hui des figures d’espoir. Elles peuvent compter sur l’appui des radios communautaires. Penda Danso, animatrice et agent de Tostan s’indigne encore de l’exclusion des femmes fistuleuses.
Elle milite activement pour la vulgarisation du slogan de Tostan : «La dignité humaine pour tous ». Tostan déploie sur le terrain des équipes de 2 à 5 personnes, qui interviennent dans les langues locales pour expliquer aux communautés tout ce qui concerne la fistule, de la prévention à la prise en charge, en passant par la détection.
Kolda reste, aux côtés de Kédougou, Sédhiou et Tambacounda, l’une des régions les plus touchées. Mais le travail acharné de Tostan contribue à réduire progressivement le nombre de cas.
Le 23 mai, marque la Journée mondiale pour l’élimination de la fistule obstétricale – une occasion de rappeler l’importance d’aller à la rencontre des victimes pour faire tomber les tabous.
Des croyances ancestrales persistantes …
En milieu rural, les croyances et pratiques ancestrales demeurent tenaces. À Saré Kanta, les accouchements à domicile sont encore très fréquents. « Ce n’est que récemment, après avoir constaté les conséquences de la fistule, que quelques femmes acceptent d’aller à l’hôpital. Mais même celles qui y vont ne respectent pas toujours leurs rendez-vous », explique Sény Mballo. Il en résulte des accouchements de mort-nés et des complications graves comme la fistule. Pire encore, une croyance largement répandue dans la zone affirme qu’il est impossible d’avoir un enfant après une intervention chirurgicale de la fistule. « Ce sont souvent les conjoints ou le voisinage qui dissuadent les femmes d’aller à l’hôpital. Parfois, cela leur est fatal », déplore Sény. Et d’ajouter: « Récemment, deux femmes ont refusé l’opération. Elles sont mortes le même jour. » Malgré cela, Sény et son équipe ne baissent pas les bras. Elles s’emploient à changer les mentalités, une communauté.
Par Tidiane SOW (Correspondant)