À quelques mètres, un camion décharge ses bovins, lourds et agités. La poussière se soulève en nuage, couvrant tout d’un voile ocre. Modou Fall, président de la section des éleveurs de Dakar, supervise le déchargement, sa casquette vissée sur la tête.
« Au niveau des frontières, un travail intense est fait. Aucun camion ne transporte un animal malade, c’est la consigne. Les chauffeurs, à Kayes notamment, sont sensibilisés. On leur dit de ne pas trop s’aventurer dans les foirails de mouton ou de vaches », informe-t-il. Dans une allée latérale, les marchands s’affairent. Leurs visages sont burinés par le soleil et les années. Pathé Sow, vendeur de bovins depuis trente ans, s’appuie sur sa canne de bois, le regard perdu dans les bêtes. « Nos animaux viennent du Mali, du Burkina Faso. Ils ne sont pas vaccinés. On les prend et on les vend. Mais la maladie dont on parle, la fièvre, n’est pas encore arrivée au Sénégal », dit-il, les yeux rivés sur un potentiel client. Haussant les épaules, il soupire, puis lâche, d’une voix basse.
« Franchement, je pense que cette maladie n’existe pas. Je ne connais personne qui a eu le coronavirus. » Tel un mot d’ordre, ses collègues s’approchent pour répéter la même phrase. Mais Idy Ka objecte : « Les éleveurs doivent être attentifs aux consignes des autorités. Nous ne connaissons rien à la santé. Je suis les directives à la lettre. Dans ce pays, les gens nient trop facilement. On doit faire confiance aux services vétérinaires ». Son ton est ferme, presque paternaliste. Dans ses yeux, une lucidité rare celle d’un homme qui a vu trop de bêtes mourir pour douter encore. « Je crois à l’apparition de cette maladie », insiste le patriarche dont les années de labeur semblent tatouées au visage. Dans le foirail, les conversations se font plus rares, plus lentes. On parle des rumeurs venues du Nord : un troupeau décimé près de Podor, un éleveur malade à Richard-Toll, un vétérinaire qui aurait vu des cas suspects. Personne ne sait. Tout le monde a entendu. Pathé Sow, dont la famille se trouve à Rosso, exprime son scepticisme face à l’annonce d’un décès par les autorités. «Des gens que je connais, personne ne sait qui c’est», affirme-t-il, concluant que « ette maladie n’existe pas ».
Lorsque le muezzin a lancé l’appel à la prière de 14h, une sérénité précaire a enveloppé le lieu. Dans la petite mosquée du parc, des éleveurs s’agenouillaient et priaient en silence, implorant sans doute la protection divine pour leurs troupeaux. Selon Ifra Sow, l’État a mis un dispositif de veille. « Nous faisons ce que nous pouvons. Mais cette maladie, si elle arrive ici, il faudra plus que des prières », confie-t-il, fataliste. À Diamaguène, la maladie est encore loin. En attendant, l’économie et la foi s’enlacent dans un équilibre précaire.
« Ceux qui n’ont rien d’autre que leurs bêtes ne peuvent pas arrêter de travailler. Alors, nous prenons nos précautions. Nous lavons, observons et faisons confiance à Dieu », développe M. Sow. La fièvre n’est pas encore là. Mais, sa menace invisible et tenace flotte comme une buée sur les esprits. Entre déni, foi et prudence, les éleveurs de Diamaguène avancent, lucides ou résignés, sous le soleil ardent de l’hivernage finissant.
• Par Babacar Guèye DIOP

