Le plaidoyer en faveur des droits reproductifs des femmes en situation de handicap se poursuit. Mais les résultats obtenus jusque-là sont très peu flatteurs. Car, les difficultés liées à l’accessibilité des structures de santé, à l’absence de formation du personnel de santé en langage des signes, au mauvais accueil et aux préjugés, entre autres récriminations soulevées par des femmes handicapées, persistent. Des griefs que seule une application rigoureuse de la Loi d’orientation sociale pourrait permettre de lever. Mais les décrets d’application tardent à être finalisés. D’où une réelle volonté politique pour rendre effectif l’accès aux soins de santé équitable et inclusif.
Tomber enceinte ! N’est-ce pas normal pour une femme ? Mais certains ont du mal à admettre cette normalité quand ils ont en face une femme vivant avec un handicap. Que ce dernier soit de type physique, mental, visuel, auditif ou autre, les gens ont tendance à s’interroger sur le pourquoi, et surtout l’auteur de la grossesse, estimant, en effet, que cette catégorie de femme n’a pas le droit d’enfanter. Quand ces considérations discriminatoires sont notées dans les structures sanitaires, le droit à la santé de ces personnes est bafoué. Malheureusement, beaucoup de femmes handicapées font part d’un « mauvais traitement verbal » quand elles se présentent dans les structures sanitaires au moment de leur grossesse.
Entre autres « propos déplacés » relevés par les concernées que nous avons interrogées, et qui même si elles s’expriment parfaitement en français, ont préféré le dire en wolof, on peut citer : « ndakh talngako ! » (Peux-tu gérer ? En es-tu capable ? Peux-tu t’en occuper ?), « Nila yalla bindé nganan dangaye ame dom » (Avec la morphologie que tu as, tu veux avoir un enfant). Des paroles que Khady Bâ, la présidente de l’Association nationale des femmes vivant avec un handicap au Sénégal (Anfhs) et Yacine Koné, présidente de la section féminine de l’Association nationale des handicapés moteurs du Sénégal (Anhms) dans le département de Dakar jugent « dégradants et discriminatoires ». « Rien que le regard de certains acteurs de la santé en dit long », peste Mme Koné qui parle de « violences psychologiques et morales ». Mme Bâ d’ajouter : « Quand tu es en état de grossesse et qu’on te demande qui t’a enceintée suppose que la femme handicapée n’a pas le droit d’avoir un mari ». D’ailleurs elle confie qu’elle est mariée et a deux enfants. Comptable de formation, elle exerce à la Fondation Total.
« Pourquoi une femme handicapée ne peut pas réussir, devenir mère et même donner naissance ? », s’interroge Khady Bâ, fustigeant la persistance « des préjugés » dans notre société. Et quand il s’agit d’une femme célibataire enceinte, le personnel de santé à tendance à tenir ce genre de propos : « Tu n’es pas mariée, donc tu ne dois pas tomber enceinte », confie la présidente de l’Anfhs, déplorant le fait que des agents de santé posent certaines questions aux femmes en situation de handicap.
Bannir les préjugés
Vouloir connaitre l’auteur de leur grossesse, par exemple, relève, selon elle, d’une perception négative de la femme handicapée. « Penser qu’elles ne doivent pas se marier est aussi un problème », soutient la comptable qui souligne que la femme handicapée a les mêmes droits que les autres femmes. Elle ajoute qu’elle a même des droits spécifiques liés à sa situation.
« Je pense que ce sont des préjugés qu’il faut vraiment bannir », estime la présidente de l’Anfhs qui dénonce le refus de paternité dont sont victimes beaucoup de femmes handicapées, « parce que simplement les concernés ne veulent pas s’assumer, s’afficher, surtout devant leurs parents qui ont une grande part de responsabilité dans cette situation ». Vivant difficilement cette trahison, certaines handicapées se replient sur elles-mêmes et ne déclarent même pas leurs enfants.
Pourtant, elle soutient qu’une femme en situation de handicap a plus besoin d’avoir des enfants. Khady Bâ motive son point de vue ainsi : « Elle a des besoins que seuls ses enfants peuvent satisfaire. Quel que soit l’accompagnement, il n’y a que ton enfant qui peut faire certaines choses pour toi ».
Toujours concernant le mauvais accueil dont certaines filles et femmes handicapées font l’objet dans les structures sanitaires, Yacine Koné craint, en particulier, la référence au physique de la personne. Donnant l’exemple d’une naine en état de grossesse, en consultation prénatale, elle renseigne que la sage-femme qui l’a reçue l’a exposée dans la salle, est allée informer ses collègues qui sont passées une à une la regarder en se permettant d’ironiser sur son sort. Une attitude qu’elle dénonce avec vigueur et qui malheureusement est courante.
Le mauvais accueil dont les femmes handicapées font des fois l’objet dans les structures sanitaires est aux antipodes du serment prêté par les sage-femmes (dont le comportement de certaines d’entre elles est décriée par des handicapées) avant d’entrer en fonction à l’issue de leurs études : « Je traiterai avec la même conscience toute patiente et tout nouveau-né quels que soient son origine, ses moeurs, sa religion et son état de santé. J’interviendrai pour protéger les patientes et leurs nouveau-nés s’ils sont affaiblis, vulnérables ou menacés dans leur intégrité ou leur dignité ». Pire, il a souvent des conséquences désastreuses sur le suivi de la grossesse. En effet, craignant les quolibets dont elles peuvent faire l’objet, certaines femmes handicapées, par exemple, boudent simplement les centres de soins, alors que les consultations prénatales sont indispensables au bon suivi de la grossesse.
Refus de fréquenter les hôpitaux
Compte-tenu de ces considérations, « certaines jeunes filles hésitent à aller dans les structures sanitaires, d’autres refusent catégoriquement de s’y rendre, car elles vivent difficilement les propos qu’on leur adresse », fait savoir Yacine Koné, présidente de la section féminine de l’Association nationale des handicapés moteurs du Sénégal (Anhms). Khady Bâ, la présidente de l’Association nationale des femmes vivant avec un handicap au Sénégal (Anfhs), de confirmer : « Les jeunes filles n’y vont pas ». Ce faisant, renseigne Mme Koné des cas d’infections non traitées sont notées chez elles, alors qu’elles peuvent avoir des effets néfastes sur la santé de ces jeunes femmes.
Pour Mme Bâ, des cas de décès maternels sont également recensés parmi les femmes en situation de handicap. La présidente de l’Anfhs fait aussi part de « beaucoup de grossesses extra-utérines ». « Je connais une jeune fille handicapée nouvellement mariée avec une grossesse extra-utérine. On m’a dit que c’est une urgence. Les sages-femmes ont dit qu’elles ne doivent pas la toucher, car seul un gynécologue est habilité à s’occuper de ce cas. On était à l’hôpital Roi Baudoin, il n’y en avait pas. On est allé au district sanitaire de Mbao, on n’en a pas trouvé non plus. Par la suite, nous sommes partis à l’hôpital Dalal Djam où on nous a encore demandé d’attendre, alors que c’est une grossesse à risque », confie Mme Ba.
Selon elle, des cas d’avortement liés à la physiologie des femmes en situation de handicap sont aussi notés. L’explication qui est souvent donnée en de pareilles circonstances est que « le bassin n’est pas symétrique », renseigne Khady Bâ. A côté, elle évoque le manque de moyens qui peut être un frein au respect des visites prénatales, donc au bon suivi de la grossesse.
Par Maïmouna GUEYE