À Kharakhéna, dans le département de Saraya (région de Kédougou), les femmes sont très présentes dans les diouras, ces espaces où l’on explore et exploite l’or. Dans des trous gigantesques, elles s’échinent, au quotidien, à traquer la moindre pépite. Malgré la rigueur de la tâche, elles ont toujours du temps pour expliquer leur travail, rendre grâce à Dieu, qui leur permet de venir chaque fois dans ce lieu, à la recherche de leur pitance.
On aurait dit qu’un météore est tombé sur cette partie de Kharakhéna, tant le trou est béant et imposant. Néanmoins, il se susurre ici que c’est la société « Africa Gold » qui en est l’auteure, durant son travail d’exploration. Dans cette grande cavité, de l’eau, de la boue à gogo. Et des femmes qui, telles des forçats, essaient de contraindre la roche à libérer les pépites.
Le soleil, contrairement aux autres jours, s’est affranchi des nuages. Il tape dur, mais n’est pas de taille à décourager Mariama Keïta et ses sœurs. Armée de houe, elle creuse et les « riches » graviers sont récupérés puis stockés dans une bassine. Ainsi peut débuter la bâtée, qui consistera à piéger les pépites et à faire tasser les paillettes d’or au fond de la calebasse. C’est cela le rituel de la bonne-dame Mariama. Sueur, galère et espoir de toucher un pécule avant de rentrer.
Le dioura (mine à ciel ouvert) est aujourd’hui sa seule subsistance. « Nous ne pouvons rester chez nous, car il faut chercher le pain », nous confie-t-elle. Depuis six mois, elle est revenue, après un premier séjour, dans ces entrailles de la terre, pour entamer un marathon contre la dèche. Défi environnemental Le résultat est mi-figue, mi-raisin. Car, parfois, elle peut se retrouver avec 10.000 FCfa pour une fructueuse journée, mais parfois aussi, « je rentre bredouille », dit-elle, avec un petit sourire qui égaie un visage ayant tant enduré.
Mariama Keïta ressemble à un cycliste ayant parcouru le Paris-Roubaix, cette course qui se déroule sur les pavés. Communément appelée « l’enfer du Nord », durant cette compétition, en franchissant la ligne d’arrivée, les cyclistes sont badigeonnés de boue. La dame renvoie à cette image, tant l’argile rouge lui colle à la peau. Les habits sombres, quant à eux, n’échappent pas à cette boue visqueuse. Sa journée de travail commence à 8 heures et s’étale sur tous les jours, sauf le lundi et le vendredi qui ne sont pas travaillés dans les diouras, à cause d’une superstition. L’or, c’est le mysticisme.
Ici, dans le grand trou où ses « sœurs » sont à l’œuvre, chacune travaille pour son compte. Mais « nous pouvons nous mettre ensemble pour creuser des trous qui ne doivent pas excéder 2 mètres », avoue Mariama Kéita. C’est pour permettre aux dames de ne pas se mettre en danger, en allant au-delà de cette distance, lance Djiby Dia, un « tomboulman », c’est-à-dire chargé de la gestion sécuritaire du dioura. Le tableau de cet espace fait réfléchir. Au loin, une autre dame, installée sous une tente de fortune, se tape un coup de barre, en allaitant son enfant.
Le soleil, brûlant, n’a pas de peine pour toucher la maman et l’enfant. Tandis que du point de vue environnemental, des arbres sont abattus, l’écosystème dérangé, avec cette recherche effrénée du précieux métal. « C’est l’œuvre de jeunes qui sont dans les diouras et ne respectent aucune norme. On est là pour les rappeler à l’ordre », nous confie Dian Diallo, un jeune coiffeur originaire de Mbour, actuellement tomboulman à Kharakhéna. Diabou Nding Diallo, propriétaire de dioura Le processus d’extraction du métal précieux est fastidieux.
Rama Toumané Touré, récipient à la main, remue sans cesse la mixture de roches et d’eau pour enlever les grosses pierres. L’or se tasse au fond, mais n’échappe pas à la vigilance de Rama. Le rituel est le même. En un moment, elle arrête le mélange, scrute le fond de calebasse, tout en remuant encore et toujours l’eau, à la recherche de l’éclat. Ici, à Kharakhéna, trouver un trésor reste un coup de chance. À l’heure de la prière, certaines arrêtent le travail pour de bonnes minutes de spiritualité. Derrière Rama Toumané Touré, une petite de moins de 5 ans, les pieds dans l’eau, le tamis à portée de main, essaie de se créer une vocation autour de l’or.
Et pourtant, l’école aurait pu être une bonne chute pour cette gamine. Mais s’empresse de rappeler le tomboulman, Dian Diallo, « les enfants sont interdits d’entrer dans les diouras. Mais souvent, on laisse certaines amener leur progéniture, car elles sont mères-célibataires et n’ont pas quelqu’un à qui les confier ». Chez le chef de village de Kharakhéna, Bourama Keïta, nous sommes tombés sur une réunion pour résoudre un problème. Dans un coin, Mme Diabou Nding Diallo est à l’affût, écoute, donne son avis. Depuis 2010, elle est diouratigui, ou propriétaire de dioura. Elle a commencé à blanchir sous le harnais dans ce travail.
Pour la petite anecdote, elle rappelle les confidences du marabout qui avait guidé son choix comme diouratigui. « Il était venu et a demandé que l’on donne à une femme ces responsabilités, si nous voulions que le dioura soit prospère », avoue la dame. Et après trois tours, au cours d’un tirage, son nom est sorti. Le destin de Diabou Nding Diallo est ainsi forgé par la chance. Aujourd’hui, économiquement, la dame s’en sort bien. Mais ne vous fatiguez pas. Même si le kilo d’or avoisine 40 millions de FCfa, on ne parle pas de sous ici. « Mon mari était cultivateur, mais maintenant, financièrement, on s’en sort », confie la femme, 57 ans révolus. Tout simplement, comme pour couper court au débat sur les gains, malgré notre insistance. De plus, à la place de la case trône maintenant une maison en dur, ajoute-t-elle.
Aujourd’hui, le travail n’est pas de tout repos, mais, 284 « tomboulmans » travaillent sous sa responsabilité. Le seul problème, c’est entre elle et les forces de l’ordre qui leur créent des problèmes, « et j’ai été convoquée pour affaire me concernant à la Gendarmerie, et au retour, j’avais fait un accident ». La féminisation des diouras n’est pas très prononcée, mais pour Sadio Cissokho, chef des orpailleurs, elles sont dans la restauration, le petit commerce. « Ici, hommes et femmes ont les mêmes droits. Elles sont présentes, mais ne peuvent être « tomboulman », car ces derniers gèrent la sécurité des sites», avoue Sadio Cissokho.
Par Amadou Maguette NDAW, Ndiol Maka SECK (textes) et Moussa SOW (photos)