Elles font certes parties de l’ordre naturel des choses caractérisant un passage obligé de la puberté chez les filles, mais l’arrivée des premières menstrues est autant attendue que redoutée. Chez la plupart des jeunes filles, elle reste un évènement brusque, qui dérègle leurs pensées et même leur comportement. Même si elles n’en parlent à cause du tabou qui entoure la question certaines en souffrent en silence tant sur le plan physique qu’émotionnel et s’isolent ou sont isolées du monde pendant cette période.
Cri de détresse, panique, angoisse, sont entre autres les réactions des filles dès qu’elles aperçoivent pour la première fois, ce liquide rouge sur leur culotte. « Je n’oublierai jamais ce moment. Je me suis réveillée le matin et je suis allée naturellement dans les toilettes et quand j’ai vu du sang sur mon sous-vêtement, j’ai hurlé. J’ai tellement crié que tout le monde est venu voir ce qui s’est passé », confie Aïssatou d’un air timide.
Cette jeune élève en classe de 4e, indique qu’elle a vu ses premières menstrues à l’âge de 12 ans. Ainsi, toute bouleversée, elle a été « rassurée » par sa mère. Puisque les conseils de celle-ci, à l’instar de toutes les mamans africaines ne feront que renforcer son angoisse.
« Ma mère a commencé à me bombarder de conseils. Elle m’a fait comprendre que je ne devais pas m’approcher des garçons et à ce moment, j’étais stupéfaite. Parce que je me demandais pourquoi toutes ces instructions », ajoute la jeune fille.
Après ces moments de troubles, Aïssatou s’est isolée pour « mieux digérer » cet évènement soudain. Mais, tout se passe sous le regard protecteur et figé, tel un rayon laser de sa maman, à longueur de la journée.
« Ma mère ne m’a pas lâchée d’une semelle. A chaque fois que je faisais un pas, je sentais son regard sur moi et elle l’accompagnait de conseils. C’était à la fois effrayant et plein de découvertes », avoue-t-elle. Des souvenirs qui après 3 ans font rire à la jeune fille.
« Lorsque j’ai vu mon pantalon tâché de sang, j’ai crié »
A l’instar d’Aïssatou, Nabou a aussi hurlé lorsqu’elle a constaté pour la première fois, l’apparition d’une tache rougeâtre sur son pantalon. Cela s’est déroulé à l’école alors qu’elle était en classe de Cm2.
« Avant l’arrivée de mes premières menstrues, je n’ai jamais parlé du sujet avec quelqu’un. On était à l’école et lorsque j’ai vu mon pantalon tâché de sang, j’ai crié et l’une de mes amies qui était à côté m’a expliqué ce qui m’arrivait. Je pensais que j’allais mourir. Mais, elle m’a rassurée et quand je suis arrivée à la maison, je me suis confiée à ma mère. Elle m’a réconfortée à son tour », rapporte-t-elle.
Souvent imprévisible surtout pour une première apparition, Seynabou a aussi fait le constat alors qu’elle était à l’école. Une situation « très difficile » et « très embarrassante » qui l’a hantée jusqu’au moment où elle a quitté cet établissement.
« C’était un samedi. On faisait des cours de rattrapage. J’ai vu du sang et j’étais entourée de garçons. C’était très embarrassant mais, grâce à mes amies, j’ai pu gérer la situation. J’ai eu très honte à cause de la présence des garçons. Le lundi, j’ai eu toutes les peines du monde pour revenir à l’école. J’étais traumatisée », dit-elle le regard baissé.
Les garçons se moquent et les intimident
Si Seynabou digère mal la présence des garçons pendant cette période bouleversante de sa vie, c’est parce que souligne-t-elle, ceux-ci intimident souvent les filles quand elles voient leurs règles. « Ils nous disent que nous sommes sales, impures. Ils se moquent de nous », renchérit Fatou Bintou, une de ses amies qui étaient juste à côté.
D’ailleurs, indique cette dernière, c’est la raison pour laquelle, elle n’a pas voulu en parler à ses frères quand elle avait ses règles. Car, ces derniers lui ordonnaient sans cesse d’aller prier et de lire le Coran sans comprendre que leur petite sœur était devenue « une femme ».
« J’étais en classe de Cm2. Au début, j’ai pris mon pantalon et je l’ai jeté. Je ne me rappelle plus l’endroit tellement que j’avais peur. Je suis restée une semaine sans parler à quelqu’un. Même ma propre mère n’en savait rien. J’étais très anxieuse et je ne savais pas quoi faire. Et, le mois suivant, quand elles sont revenues, j’étais obligée d’en parler à ma mère », narre-t-elle.
Cependant, quand elle en a parlé à sa mère, celle-ci l’a réconfortée et l’a orientée. « Elle m’a fait comprendre que c’était normal en tant que femme de voir ses menstrues à un moment de sa vie. Elle m’a expliqué que mon abdomen travaille et je pouvais être en mesure d’avoir des enfants. Donc, elle m’a dit que je ne devais ni m’approcher d’un garçon, ni le laisser me toucher », fait-elle savoir.
En dehors de ce poids du sang et des préjugés, le port d’une serviette hygiénique pour la première fois pèse également sur la psychologie des filles.
« Quand j’ai mis la serviette hygiénique pour la première fois, quand je marchais, je regardais derrière moi, à côté et parfois, je tapais ma sœur pour lui demander s’il y avait quelque chose qui sortait derrière moi. Cela la faisait rire et elle me taxait de folle. Et c’était ainsi, durant les premiers mois de mes menstrues. Maintenant j’ai l’habitude », confie une autre jeune fille sous couvert l’anonymat.
Pourquoi les règles font si peur
Dans la société traditionnelle africaine et sénégalaise, on note beaucoup de tabou autour des règles. Selon les croyances populaires cet écoulement sanguin périodique chez les femmes est signe d’impureté et peut apporter la poisse, la malédiction, ou causer des maladies chez les hommes. Dans la société traditionnelle diola au Sénégal, les femmes sont isolées pendant leurs menstrues. Dans certaines contrées, elles n’ont aucun contact avec les hommes. Elles restent à l’écart jusqu’à la fin de leurs règles. Elles mangent seules, ne partagent pas les mêmes toilettes ou objets avec le reste de leur famille, surtout les hommes. Des traditions qui avec la modernité tendent progressivement à disparaître.
Sur le plan religieux, l’Islam prévoit un certain nombre d’interdits et de règles à respecter pour la femme pendant la période de menstruation. Elle ne prie pas, n’accomplit pas le jeûne et si elle est mariée elle ne doit pas entretenir de rapports sexuels avec son époux jusqu’à ce qu’elle se purifie. « Et ils t’interrogent sur la menstruation des femmes. – Dis : « C’est un mal. Eloignez-vous donc des femmes pendant les menstrues, et ne les approchez que quand elles sont pures. Quand elles se sont purifiées, alors cohabitez avec elles suivant les prescriptions de Dieu car Dieu aime ceux qui se repentent, et Il aime ceux qui se purifient » », lit-on dans le Coran au verset 222 de la deuxième sourate « Al Baqara ».
Elle ne peut également pas effectuer le pèlerinage à la Mecque, encore moins tourner autour de la Kaaba, que cela soit à titre obligatoire ou à titre surérogatoire. Elle ne peut pas se rendre à la mosquée. Cependant, la religion musulmane n’interdit pas à la femme pendant cette période de menstrues, de s’assoir en famille, de manger avec les autres, de dormir sur le même lit que son époux ou encore de faire la cuisine ou le linge.
Toutefois, dans le christianisme, les menstruations ne sont généralement plus considérées comme une impureté rituelle, contrairement à certaines interprétations de l’Ancien Testament. Si le Lévitique, dans l’Ancien Testament, mentionne une période d’impureté pour la femme pendant ses règles, le Nouveau Testament, notamment l’histoire de Jésus et de la femme qui saigne (Marc 5:25-34), met l’accent sur la grâce et la guérison.
Mariama DIEME