Parmi les droits fondamentaux de l’être humain, figure celui à la santé, d’avoir un accès à des services de qualité, abordables et adaptés. Ce besoin vital est un sacerdoce pour les postes de santé catholiques, communément appelés ‘‘Keur sœurs yi’’. Ils sont regroupés dans l’Association nationale des Établissements et Structures de Santé Catholiques du Sénégal (ANESCS). Ces lieux accueillent chacun des centaines de patients par jour, qui peuvent avoir accès aux soins à moindre cout.
Dans la chaleur estivale qui s’est déjà installée à Dakar, poireauter plusieurs minutes pour aller se soigner peut devenir un supplice. Mais quand c’est pour aller à ‘‘Keur sœurs yi’’, l’attente en vaut la peine. Une femme, vêtue d’une robe ample lui allant jusqu’aux genoux, défie l’attente en se cramponnant bien, les poings serrés, prête à cogner contre les secondes afin que le temps passe plus vite. D’un autre côté, des patients moins pressés, sans doute avec des soucis moins urgents, affichent une mine plus joviale. D’ailleurs, en patientant au Poste de santé Notre dame du Cap-Vert de Pikine, hommes, femmes et enfants, font des va-et-vient pour se soigner.
Un sacerdoce
A ‘‘Keur Sœurs yi’’, on ne cherche pas à savoir qui est nanti ou qui ne l’est pas. Ou du moins, on ne privilégie pas le riche, bien au contraire. Selon Sœur Léa Charles Tendeng, présidente de l’Association nationale des Établissements et Structures de Santé Catholiques du Sénégal (ANESCS), ces postes de santé font parties des structures privées à but non lucratif. Ainsi, leur objectif numéro un n’est pas de faire du profit, mais d’impulser un développement sanitaire et social de la population sénégalaise, sans distinction de religion, d’âge, de sexe ou de culture. La particularité étant la préférence pour les plus démunis. D’ailleurs, l’ANECS regroupe 78 postes de santé, maternités et hôpitaux situés dans toutes les régions du Sénégal, sauf Matam. Il y a donc un maillage du territoire national, dans le but d’être à la fois dans les grandes villes et dans le monde rural. « Là où les besoins sont criants, l’Église se veut présente, servante et proche », confie Sœur Léa.
Cette dernière d’ajouter. « Conscientes que l’union fait la force, nous nous sommes constituées en Association nationale (ANESCS) afin de créer un cadre de concertation fraternelle, améliorer la coordination et la visibilité de l’action pastorale et sanitaire de l’Église, défendre ensemble notre mission commune de santé intégrale. Les postes sont animés par des religieuses, des laïcs, des infirmiers, des agents de santé communautaire et parfois des bénévoles, dans un esprit de service désintéressé et de compassion évangélique. Ils respectent les normes nationales de santé et sont intégrés dans le système de santé sénégalais, en collaboration avec le ministère de la Santé et de l’Action sociale ».
Pour justifier cet engagement sans faille, elle convoque les Saintes écritures, considérant la santé comme un droit fondamental, un impératif moral et une exigence de foi. Les paroles de Jésus résonnent en effet dans le cœur des sœurs, les poussant à travailler, avec conviction et ferveur. « J’étais malade et vous m’avez soigné » (Matthieu 25,36), « Tout ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Matthieu 25,40).
Ayant juré allégeance à Dieu, elles ont également fait une profession de foi dans la pratique de leur métier, pour : la promotion de la santé ; la prévention des maladies ; l’éducation nutritionnelle, à travers, entre autres, des centres de récupération nutritionnelle dans certains postes. Dans cette perspective, ‘‘Keur Sœurs yi’’ souhaite encourager les mutuelles de santé, pousser l’Etat et les collectivités territoriales à s’impliquer, avoir des partenaires durables pour renforcer les mécanismes de protection sociale.
Satisfécit
« Je suis une fervente des sœurs, si je peux m’exprimer ainsi (rires) ! J’y vais fréquemment pour emmener mes enfants. Je n’ai pas les moyens d’aller dans les autres hôpitaux, ils sont trop chers. En plus, il y a une excellente qualité de soins ici. Je n’ai jamais regretté. A chaque fois que mes enfants sont malades, il me suffit d’y aller pour qu’ils recouvrent la santé », se réjouit Ndèye. Il faut également préciser que dans ces structures de santé, les tickets de consultation se vendent la plupart du temps à 500 francs CFA seulement, afin de permettre à tout le monde d’avoir accès aux soins. De plus, il arrive que certains patients sans sous soient appuyés financièrement ou avec des médicaments.
« J’ai découvert Keur Sœurs yi grâce à une connaissance, après la naissance de mon premier enfant. Quand il a eu des difficultés de nutrition, je l’ai emmené là-bas pour qu’il soit traité. Quelques semaines plus tard, il était en pleine forme », détaille Saly, la trentaine. Concernant le prix, on peut acheter un pot de lait pour enfant à 1500 francs CFA, plus une farine au même prix.
« Notre mission n’est pas d’accumuler des richesses, mais de servir la dignité humaine. Il fut un temps où les soins dans nos structures étaient presque gratuits, grâce aux dons de médicaments et de vivres que nous recevions en abondance », explique pour sa part Sœur Léa.

L’argent, le nerf de la guerre
Malheureusement, Keur Sœurs yi rencontre des difficultés économiques, regrette la présidente de l’Association nationale des Établissements et Structures de Santé Catholiques du Sénégal. Cela s’explique notamment par la baisse des subventions en médicaments, mais aussi de celle du principal partenaire, Miséréor. De ce fait, les difficultés font légion et inquiètent quant à l’avenir des postes de santé qui peinent à maintenir un service de qualité dans des contextes déjà très précaires, regrette Sœur Léa, qui assure néanmoins que tous les postes et tous les travailleurs restent engagés avec foi et courage.
Dans le but d’inverser la tendance, plusieurs stratégies sont mises en place, confie-t-elle : tarification sociale et solidaire, avec des consultations et des médicaments à prix modérés, pensés pour les plus pauvres ; prises en charge gratuites ponctuelles, notamment pour les enfants et les femmes enceintes, malgré les charges de personnel et de fonctionnement ; prévention, récupération nutritionnelle, sensibilisation communautaire, afin de réduire les maladies évitables et améliorer l’autonomie des familles ; promotion des mutuelles de santé dans certaines zones, pour construire une solidarité de proximité et durable….
Collecte pour renflouer les caisses
Par ailleurs, Keur Sœurs yi souhaite apporter des liquidités dans ses caisses, puisque ne bénéficiant pas de subvention de l’Etat. D’après Sœur Léa, une collecte nationale est lancée au profit des postes de santé, dans le but de soutenir la lutte contre la malnutrition infantile.
« Notre priorité demeure : que le malade, et surtout l’enfant vulnérable, soit accueilli, écouté et soigné avec dignité et compassion, même lorsqu’il ne peut rien payer », justifie-t-elle. Et d’ajouter :« Nous croyons qu’un système de santé digne de ce nom doit être accessible, humain, enraciné dans les réalités locales, et porté par une vision intégrale de la personne humaine ».
Une vision de la vie, transférée au domaine de la santé, qui fait de ‘‘Keur Sœurs yi’’ le lieu de prédilection des plus démunis. Et même si les soignant (es) ne font pas de miracle, c’est tout comme…
Oumar Boubacar NDONGO