La région de Diourbel, située à 150 km de Dakar, fait face à une malnutrition aiguë inquiétante, avec un taux de 17 %, supérieur à la moyenne nationale de 10,4 %. Cette situation touche particulièrement plus de 50.000 enfants âgés de 0 à 11 mois. Dans le cadre du projet Santé en lumière et à l’occasion de la caravane des journalistes regroupés autour du « Réseau », l’Association des journalistes en santé, population et développement (Ajspd), Le Soleil a enquêté dans les districts sanitaires de Diourbel, Bambey et Touba, recueillant des témoignages bouleversants de femmes confrontées à la malnutrition de leurs enfants, malgré les efforts des structures de santé locales.
Ce mardi 15 juillet, la ville de Diourbel est ensoleillée. L’astre darde ses rayons sur le centre de santé de la ville. Malgré la chaleur étouffante, la cour du district est remplie de patients qui font d’incessants va-et-vient. Dans le hall de la pédiatrie, des femmes prennent place : certaines allaitent leurs bébés, d’autres les cajolent pour faire cesser les pleurs devenus un refrain dans la structure sanitaire. Les cris stridents des enfants résonnent partout. Sur les visages de ces mères, on peut lire leur profonde angoisse. Silhouettes très fines, peaux sèches et squameuses, ventres gonflés : autant de signes manifestes d’une alimentation carencée.
C’est le portrait que présentent ces petits, sans oublier la fatigue visible sur leurs visages. Allongée sur un lit d’hospitalisation, la tête posée sur les jambes de sa maman désespérée, la petite Y. Ng. respire difficilement. À peine âgée de 3 ans, l’enfant souffre de deux maux : l’asthme et la malnutrition. Ventre ballonné, poids inférieur à la normale. « Elle est née avec l’asthme et la malnutrition. Elle refuse de s’alimenter », lance sa maman, Ndèye Ngom. Elle raconte les difficultés de son accouchement, qui pourraient être, selon elle, les véritables raisons de la souffrance de sa fille. « J’ai eu un accouchement difficile. Après sa naissance, j’ai été internée à l’hôpital pendant un mois et dix jours. Les premiers jours, elle était avec ma petite sœur qui lui donnait le biberon, avant qu’on ne l’emmène à la crèche. Pendant tout ce temps, elle n’a pas tété. C’est après ma sortie de l’hôpital que j’ai commencé à lui donner le sein. Elle a très tôt commencé à boire de l’eau. Je pense que tous ces facteurs peuvent être à l’origine de sa malnutrition », croit-elle.
De l’autre côté de la salle, une dame tente de calmer son bébé qui ne cesse de pleurer. Seule dans son désespoir, elle s’échine à maintenir en vie son fils. Ndèye Aw vit dans des conditions très difficiles depuis son divorce. Elle prend en charge toutes les ordonnances de son enfant, Ah. B. S., âgé d’un an et cinq mois. « J’ai divorcé d’avec son père depuis quelque temps. Faute de moyens, je ne pouvais l’emmener régulièrement à l’hôpital. Son père m’a laissée seule avec lui. Il ne fait absolument rien pour l’enfant. J’ai des analyses à payer. Je l’appelle, mais en vain», raconte-t-elle, amère, au sujet de sa situation difficile.
Ndèye Aw vit avec son oncle et sa grand-mère, deux personnes qui tentent, avec leurs modestes moyens, de l’aider à faire face aux besoins de l’enfant. « Ce n’est pas facile de vivre avec un enfant malade. J’en souffre aussi. Je m’occupe de lui tous les jours tout en assumant les tâches ménagères », dit-elle, le visage sombre. Elle confie que l’enfant souffre fréquemment de diarrhées. « Je n’ai même pas les moyens d’acheter de la nourriture pour lui. Je lui donne très souvent de l’eau à boire, même si on m’avait déconseillé de le faire pendant les six premiers mois. Je ne pouvais faire autrement, car il réclamait de l’eau et le biberon », dit-elle, manifestant son impuissance.
À quelques mètres de Ndèye Aw, se tient une autre dame. Elle s’appelle Madeleine Sow. Debout, le dos appuyé contre le mur, elle tient dans ses bras une petite fille nommée Kh. Mère de jumelles, elle explique que l’une d’elles est malade, souffre de fièvre et de diarrhée persistante. L’autre est heureusement en bonne santé. Seule Khoudia est atteinte de malnutrition. « Depuis leur naissance, j’alterne entre l’allaitement maternel et le biberon. C’est difficile de leur donner exclusivement le sein. Il m’arrive de manquer de lait, alors je suis obligée d’utiliser le lait en poudre. C’est ainsi depuis leur naissance. La première tient sur ses pieds et se porte bien, mais sa sœur jumelle n’arrive toujours pas à se tenir debout. Elles ont dix mois. Celle qui est malade ne parvient pas non plus à s’asseoir comme l’autre », raconte la jeune femme. Elle révèle qu’avec la chaleur étouffante qui sévit à Diourbel, elle ne peut passer une journée sans donner de l’eau à l’enfant.
Ces femmes sont nombreuses à livrer des témoignages poignants sur la malnutrition de leurs enfants, parfois en raison d’une méconnaissance de l’importance de l’allaitement exclusif, sans eau, durant les six premiers mois. Une autre dame, ayant requis l’anonymat, évoque la pauvreté sévissant dans leur zone, qui impacte fortement la santé de leurs enfants. Malgré les efforts du personnel médical, elle souligne que le manque de soutien pour ces femmes souvent démunies aura toujours des effets négatifs, et que la malnutrition ne pourra être éradiquée.
Dossier réalisé par Samba DIAMANKA