Face à la recrudescence du trafic de drogue et à l’émergence de nouvelles substances dont l’usage gagne du terrain chez les jeunes, l’Ocrtis tire la sonnette d’alarme. Dans cet entretien, le commissaire de police Mody Fall, chef de la division des renseignements à l’Office central de répression du trafic illicite des stupéfiants (Ocrtis), revient sur les flux de trafic, les failles du système de contrôle et les défis juridiques liés à ces drogues de plus en plus accessibles.
Le Sénégal reste un carrefour du trafic de drogues. Quels types de réseaux sont identifiés et comment opèrent-ils ?
Le Sénégal, de par sa position géostratégique, demeure une zone de transit privilégiée pour les réseaux criminels. Ces groupes, particulièrement organisés, s’adaptent constamment aux dispositifs de sécurité. Ils conçoivent des itinéraires complexes et usent de subterfuges ingénieux pour échapper à la vigilance des forces de défense et de sécurité. Le territoire est ainsi utilisé pour le reconditionnement et la réexpédition de drogues comme la cocaïne, souvent dissimulée dans des marchandises licites à destination de l’Europe et d’autres régions du monde. Concernant les drogues consommées localement, telles que le cannabis, l’ecstasy ou le kush, elles proviennent tantôt de l’étranger, tantôt du sud du pays. Le chanvre indien, la drogue la plus consommée, est essentiellement cultivé dans cette zone, avant d’être acheminé vers le reste du territoire par voie terrestre ou maritime. Le haschisch, l’ecstasy, le skunk et d’autres drogues de synthèse, quant à eux, viennent de pays voisins, des États-Unis et d’Europe.
Parmi ces drogues, l’ecstasy semble particulièrement gagner du terrain chez les jeunes. Comment l’expliquez-vous ?
Effectivement, l’ecstasy est en train de supplanter d’autres substances chez les jeunes usagers. Elle séduit d’abord par sa forme : c’est souvent un comprimé facile à dissimuler. Ensuite, par son prix abordable, qui varie entre 2.500 et 5.000 FCfa, et par ses effets, qui durent plusieurs heures. Tous ces facteurs en font une drogue très attractive. Néanmoins, ses conséquences sont particulièrement destructrices : dilatation des pupilles, vision trouble, sécheresse buccale, crampes, grincements de dents, maux de tête, vertiges, agitation psychomotrice, troubles moteurs et altération du jugement. Autant de symptômes qui révèlent l’extrême dangerosité de cette drogue.
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Les détournements de médicaments et de psychotropes sont également évoqués. Où se situent les failles ?
Les détournements peuvent survenir à toutes les étapes : production, distribution, vente ou délivrance des produits pharmaceutiques. Bien que les autorités de contrôle fassent preuve de vigilance, les groupes criminels utilisent des sociétés écrans pour contourner les règles. Ils falsifient les documents de transport, surévaluent les besoins d’importation, puis récupèrent les excédents pour produire des drogues de synthèse. Le plus inquiétant, c’est la frontière mince entre médicament et drogue : un simple surdosage peut transformer un produit thérapeutique en substance illicite. Détenir un psychotrope sans ordonnance constitue déjà un acte de détournement.
Qu’en est-il des nouvelles drogues intégrées dans les cigarettes électroniques ou du protoxyde d’azote ?
Ces substances psychoactives sont de plus en plus consommées, souvent dans une totale inconscience de leur dangerosité. Elles détériorent gravement la santé physique et mentale des jeunes. Il devient impératif d’intensifier l’encadrement, la sensibilisation et les actions de prévention. La drogue donne l’illusion du paradis, mais elle enferme dans un piège dont il est presque impossible de sortir.
Le cadre juridique actuel est-il à la hauteur des défis ?
Le droit doit évoluer. Il est crucial de réformer le code des drogues afin d’y inclure systématiquement les nouvelles substances signalées par l’Organe international de contrôle des stupéfiants (Oics), en partenariat avec l’Onudc.Au-delà du cadre législatif, il faut adopter une approche multidisciplinaire, mobilisant forces de sécurité, médecins, addictologues, psychologues, chercheurs et acteurs communautaires. La lutte contre les drogues émergentes ne peut se faire sans une compréhension fine et des actions coordonnées.
Propos recueillis par Souleymane WANE