Auteur d’une étude sur l’anxiété et la dépression chez les accompagnants des patients admis au Centre hospitalier national Dalal Jamm, le Pr Elhadj Makhtar Bâ est formel : l’accompagnant doit être institutionnalisé dans les structures de santé. Selon son étude, 30,3 % des accompagnants sont anxieux et 26,2 % dépressifs.
Vous avez mené une étude « transversale analytique » entre janvier et décembre 2023 au service de cancérologie du Centre hospitalier national Dalal Jamm sur l’anxiété et la dépression chez les accompagnants des patients admis dans ledit service. Pouvez-vous revenir sur les résultats ?
Déjà, il faut rappeler les contours de cette étude. C’est une thèse que j’ai encadrée. Dans le cadre de nos enseignements à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, nous encadrons régulièrement des thèses. J’ai donc encadré celle du Dr Ahmed Koumba Fall, un jeune interne très brillant en cancérologie qui, pour une fois, a décidé de ne pas simplement s’intéresser aux cancers, mais d’aller voir les personnes qui accompagnent les enfants hospitalisés dans les services d’oncologie pédiatrique de l’hôpital Dalal Jamm. Parce qu’on sait que les personnes hospitalisées, qui souffrent de pathologies cancéreuses, dépendent énormément de leur entourage. Cette étude montre plusieurs choses. Elle montre d’abord que le poids de la pathologie est énorme. Un tiers des aidants, durant cette période, ont présenté des troubles anxieux-dépressifs. Il y a eu 122 sujets sélectionnés parmi les aidants. Parmi eux, une bonne partie était soit anxieuse, soit dépressive. Et ce qui est dommage, c’est que ces aidants ne sont pas pris en charge, bien qu’ils soient à l’hôpital. Dans le système hospitalier, on prend en charge le ou la patient(e), mais on ne fait pas attention à l’aidant. Et pourtant, les chiffres sont élevés. Ces troubles ne sont pas nécessairement pris en charge.
À combien se chiffre le taux de stress ou d’anxiété des aidants étudiés ?
L’anxiété, c’est 30,3 %. Et la dépression, 26,2 %. Si l’on cumule les deux, cela fait beaucoup. C’est un indicateur qui montre qu’il faut agir. J’ai d’ailleurs associé ces données à un autre mémoire, soutenu en gériatrie, qui portait sur ce qu’on appelle la charge des aidants. Il faut vraiment réfléchir à comment structurer nos établissements de santé. Quand votre enfant est hospitalisé dans une salle où d’autres enfants meurent, comment vit-on cela en tant qu’accompagnant ? Comment supporter la douleur de voir un enfant mourir à deux lits du vôtre ? C’est difficile d’entendre son enfant crier, souffrir, sans pouvoir le soulager. Et cette charge n’est pas propre au cancer. On la retrouve dans beaucoup d’autres pathologies. Le système hospitalier est-il préparé à accueillir une personne sans aidant ? Je pense qu’il faut se poser la question et intégrer la prise en charge de ces aidants.
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Quelle est la couche la plus touchée par le stress dans l’étude ?
L’étude montre que les fonctionnaires sont les plus impactés. Avec 62,5 % d’anxiété, suivis des employés du privé à 43,8 %. Sur le plan psychologique et émotionnel, les aidants sont fortement touchés. Certains sont même obligés d’arrêter leur travail pour s’occuper de leurs proches malades. Je pense par exemple à l’ancienne ambassadrice du Sénégal au Cameroun, qui était également vice-présidente de l’Association nationale des malades d’Alzheimer. Elle a démissionné pour s’occuper de son mari malade. C’est énorme. Parfois, on est la seule personne disponible, donc on doit tout arrêter. Il ne s’agit pas seulement d’accompagner à l’hôpital, mais aussi à la maison. Et parfois, cet accompagnement, c’est pour la vie. Je pense notamment aux enfants atteints de déficiences lourdes, qui nécessitent une assistance continue. Ce sont souvent les mères qui sont les plus touchées. Elles arrêtent toutes leurs activités pour être au chevet de leurs enfants. Les taux d’anxiété et de dépression chez les femmes sont de 35,1 % et 32,5 %, contre 22,2 % et 15,6 % chez les hommes. Ces études doivent être menées dans tous les services, car la problématique des accompagnants se pose partout. Je me souviens d’un focus group à Dalal Jamm : un accompagnant m’a confié qu’il n’avait rien à manger, car l’hôpital n’autorise pas l’entrée de nourriture et ne donne à manger qu’aux patients. C’est un vrai problème. Beaucoup d’hôpitaux ne pensent pas aux accompagnants. À Fann, grâce à l’aide de la Fondation Sonatel, une maison des accompagnants a été mise en place, avec des commodités. Mais dans certaines structures, si le patient n’est pas en cabine, il est même difficile d’aller aux toilettes.
Que faut-il faire selon vous pour améliorer la situation des accompagnants ?
Il faut mener une réflexion autour des aspects psychologiques. Imaginer des activités pour les occuper, mais aussi réduire leur charge mentale. L’expérience des focus groupes est intéressante. Elle est à multiplier dans tous les services, mais cela ne peut se faire que si c’est institutionnalisé. Actuellement, tout cela se fait de manière bénévole. Beaucoup de collègues s’impliquent, mais ce n’est pas structuré. Il est temps que les accompagnants soient pris en compte au niveau institutionnel. La psychiatrie a une histoire particulière avec les accompagnants. Elle est l’un des premiers services à institutionnaliser leur présence. Je pense à Henry Colomb, qui a analysé la société sénégalaise et disait : « Ici, la famille est très importante ». Si un patient reste hospitalisé trop longtemps sans voir sa famille, il risque de perdre le lien social, et cela complique sa réinsertion. Quand un membre de la famille est hospitalisé en même temps que le patient, cela crée un lien. Malheureusement, aujourd’hui, les familles sont plus petites, et rien n’a été prévu. Il faut repenser tout cela.
Est-ce que l’état de stress de l’accompagnant peut avoir un impact sur le patient ?
Oui. Si vous êtes la mère d’un enfant et que vous êtes vous-même déprimée, cela affectera votre interaction avec lui. Si votre santé mentale se détériore, vous risquez de négliger ou de maltraiter le malade, même sans le vouloir. Vous pouvez devenir impulsif, colérique. Le premier niveau d’intervention, c’est la communication. Dans nos structures, les accompagnants sont souvent maltraités. Peut-être en raison de la surcharge de travail. Quoi qu’il en soit, cela ne devrait pas être toléré.
Il y a souvent des tensions entre accompagnants et personnel médical. Que faire pour les apaiser ?
Il faut d’abord améliorer la communication entre le corps soignant et les accompagnants. Ensuite, il faut créer des espaces de repos pour les accompagnants dans les hôpitaux. Quand on construit des services, on doit penser à des lieux où les accompagnants peuvent dormir, se reposer, se laver, manger. En cas d’urgence, c’est souvent l’accompagnant qui doit courir à la pharmacie. Si vous allez maintenant en neurologie, vous verrez des accompagnants couchés à même le sol devant le service, faute d’espace dédié. Il faut aussi penser à des commodités comme des toilettes, des douches, etc. Il faut renforcer les relations humaines, former le personnel subalterne (infirmiers, agents de salle) à mieux gérer la relation avec les aidants. Enfin, il faut organiser des groupes de parole. Ces petites choses peuvent vraiment alléger leur fardeau émotionnel. Il faut que les accompagnants se sentent écoutés, respectés, et qu’on fasse attention à la façon dont on leur parle de l’état de santé de leurs proches.
Propos recueillis par Marie Bernadette SENE