Dans la fraicheur de son bureau, le Professeur Souleymane Mboup, président de l’Institut de recherche en santé, de surveillance épidémiologique (Iressef) explique le processus ayant mené aux découvertes sur la tuberculose. D’après M. Mboup, cette réalisation participe à la souveraineté sanitaire à laquelle aspirent les autorités du pays. Il se félicite au passage du partenariat gagnant-gagnant entre son institut et le Programme national de lutte contre la tuberculose.
Quelle est la plus-value apportée par vos recherches dans le cadre de la lutte contre la tuberculose?
La tuberculose est une maladie qui date vraiment de très longtemps, mais qui pose quand même des difficultés. Déjà, c’est une maladie très contagieuse et dont le diagnostic n’est pas facile. Pendant longtemps, c’est ça qui a posé vraiment le problème. Le traitement aussi n’est pas facile. Et surtout, avec ce traitement, s’il n’est pas bien mené, ça entraîne ce qu’on appelle des résistances. Ça donne encore beaucoup plus de problèmes, parce que beaucoup de ces bactéries multi résistantes sont très difficiles à traiter, mais surtout sont très chères à traiter. Donc, ça reste un problème important de santé publique. Ce qu’on a vu évoluer, c’est qu’au tout début, le diagnostic était le problème majeur de la tuberculose, parce que ça demandait des conditions déjà de sécurité qui n’existent pas. Ça demandait également des moyens et, surtout, c’est une bactérie qui est très difficile à cultiver. Tout ça faisait que c’était assez limité dans le temps. Après, il y a eu quelques progrès avec les programmes nationaux de lutte contre la tuberculose qui ont mis des stratégies pour améliorer un peu le diagnostic et la prise en charge. C’est tout récemment qu’il y a eu des méthodes presque révolutionnaires qui permettent maintenant d’avoir un diagnostic beaucoup plus simplifié, en tout cas beaucoup plus accessible. Le problème avant, c’était la longueur du temps que le diagnostic prenait, et surtout l’antibiogramme classique, qui demandait plusieurs semaines. Ce qui fait que si un individu était infecté, il fallait parfois des semaines ou des mois pour pouvoir vraiment confirmer le diagnostic.
Avec vos travaux, est ce que le diagnostic est plus rapide ?
Maintenant, on a des techniques vraiment révolutionnaires qui permettent de faire ce diagnostic assez rapidement. Mais le problème de l’antibiogramme reste quand même toujours une équation. Parce qu’il faut savoir justement quel traitement adapter en fonction du type de tuberculose. Donc, il faut dire aussi qu’il y a aussi différentes espèces de mycobactéries. Tout ça n’est pas toujours facile à mettre en œuvre avec le diagnostic classique. Et c’est là justement où l’Iressef, grâce à la Covid-19 en particulier, a vraiment développé la plateforme de génomique. Cette plateforme de génomique a énormément servi durant la Covid-19, comme au cours d’autres pandémies, Ebola, etc. C’est cette nouvelle technologie maintenant que les responsables de la génomique ont utilisée pour l’appliquer à d’autres pathologies, dont la tuberculose. Ça donne énormément d’informations. Rapidement, on peut savoir réellement toutes les caractéristiques d’une espèce, mais on peut également savoir surtout les profils de résistance et les traitements qui sont adaptés.
En quoi cette découverte est-elle une révolution ?
Tout se faisait en Europe. Maintenant, on a toute cette capacité de le faire ici, au Sénégal. C’est vraiment révolutionnaire ! Ça permet d’enrichir, parce qu’il y a beaucoup de données et c’est l’intérêt. Donc, avoir quand même une équipe qui a cette capacité de faire le séquençage et de contribuer, c’est exceptionnel. Ce sont ces données qui permettent d’avoir énormément d’informations pour le type de bactéries, mais également pour la résistance, le traitement. L’équipe a réussi à le faire de manière vraiment extraordinaire.
Est-ce que vous travaillez avec le Programme national de lutte contre la tuberculose (Pnt) ?
Absolument. Ma principale formation, c’est la bactériologie et la virologie. Depuis le départ, on a travaillé dans un laboratoire qui était historiquement connu pour avoir découvert une souche de «Mycobacterium tuberculosis» dans le monde. C’était à la Faculté de médecine, au laboratoire de bactériologie-virologie. Donc, ça veut dire que depuis le départ, le laboratoire avait été associé vraiment au partenariat entre le Programme de lutte contre la tuberculose et également le laboratoire de bactériologie. C’est sur cette base-là que beaucoup de gens, d’ailleurs, qui sont au programme, surtout dans le domaine du labo, ont été formés par nous et par nos services. Mais on a toujours tenu un partenariat exceptionnel.
Le labo de haute sécurité que vous avez vu, continue à servir au Programme de lutte contre la tuberculose. C’est un partenariat gagnant-gagnant dans lequel, justement, chacun peut contribuer et apporter quelque chose. Nous, notre technologie et savoir-faire associés aux moyens du Pnt, c’est un partenariat exceptionnel. En plus maintenant, on va ensemble dans des projets de recherche que l’on fait ensemble. Je voudrais vraiment me féliciter de ce partenariat extraordinaire, et même la possibilité d’être un des sites du Programme national de la tuberculose pour les aider à l’amélioration du diagnostic, etc.
De façon globale, comment voyez-vous la lutte contre la tuberculose au Sénégal ?
Je pense qu’il y a encore des problèmes. La tuberculose reste un problème de santé publique, mais je vois qu’il y a des efforts considérables qui sont en train d’être déployés, et surtout des stratégies innovantes. Il y a, le programme de lutte contre la tuberculose mais le fait d’être ouvert à des stratégies innovantes, je crois que ça va énormément aider. L’Iressef et le Pnt, ont récemment conduit, lors de la Journée mondiale sur la tuberculose des enquêtes sur le terrain. C’était vraiment une stratégie innovante, et je pense que de plus en plus, ça va être appliqué. Cela va énormément aider le Pnt et faire même du Sénégal un modèle de programme contre la tuberculose. Ce qui fait ça, c’est l’originalité, c’est vraiment le partenariat et la collaboration entre les différents programmes où chacun apporte quelque chose.
Comment votre découverte va contribuer à l’accès à la souveraineté sanitaire à laquelle les autorités actuelles aspirent ?
Déjà, le fait de pouvoir accéder à ces technologies et de faire des résultats, sans l’aide de personne d’autre, c’est une prouesse. C’est l’expertise sénégalaise. De plus en plus, on pourra le faire. On a apporté notre contribution à de nouvelles connaissances sur le plan mondial. Je crois que cette découverte obtenue localement, va faire tache d’huile. Ce qui fait qu’on peut l’appliquer énormément. Donc, c’est aussi de permettre d’utiliser le potentiel sénégalais, non seulement pour le Sénégal, mais pour aussi la sous-région, et même avoir la possibilité d’utiliser notre expertise nationale pour l’appliquer à nos besoins réels. Je crois qu’en termes de souveraineté, on ne peut pas avoir mieux. Il s’agit aussi d’être innovant et d’attirer les autres aussi, qu’ils soient Européens, Américains ou Africains, parce qu’on apporte quelque chose qu’ils n’ont pas toujours la possibilité d’avoir.
Propos recueillis par Babacar Guèye DIOP et Mbacké Bâ (Photos)