Après l’euphorie du mariage, certains couples vivent le calvaire de l’infertilité. Beaucoup de familles ne tolèrent pas un mariage sans enfant. Ce qui finit par devenir un fardeau social, surtout pour la femme. Confessions de mariés qui attendent, sans grand espoir, le jour du miracle.
À Dakar, comme dans d’autres régions du Sénégal, l’infertilité est un problème de santé publique, avec des chiffres qui varient selon les études et les populations. Les données disponibles suggèrent que l’infertilité, qu’elle soit masculine ou féminine, touche un nombre significatif de couples, et le sujet reste souvent tabou. C’est une réalité silencieuse, douloureuse et souvent injustement portée par les femmes. La Procréation médicalement assistée (Pma) est un recours. Mais pour l’instant, elle est hors de portée du Sénégalais lambda. « Je ne peux pas payer des millions pour avoir un enfant. Je n’en ai pas les moyens », objecte Abdou, frigoriste.
L’assistance médicale à la procréation englobe un ensemble de techniques médicales visant à aider les personnes ou les couples ayant des difficultés à concevoir un enfant naturellement. « L’État doit nous aider en termes de moyens, parce que la Pma est, pour le moment, réservée aux nantis », souligne Khalifa, enseignant sans enfant demeurant à Yoff. Dans le même quartier, habite Abdou Aziz, 40 ans, est encore sans enfant depuis son mariage en août 2021. Après une consultation chez un urologue, il est attesté que son sperme est trop faible pour féconder. Mais sa famille, sans connaître le fond de l’histoire, désigne son épouse Khady comme une femme stérile.
« À un moment donné, je ne valais rien dans la maison, car je n’ai pas d’enfant. Mais je ne peux pas aussi dire à tout le monde que mon mari a un sperme faible », souligne Khady, née en 2003. Finalement, le couple, fragilisé par des disputes liées à l’absence de mômes, se sépare en mars 2024. Des cas loin d’être isolés. Dans la salle feutrée d’une clinique au centre-ville de Dakar, Fatma et Abdou se serrent la main en guise de solidarité.
Le poids de l’infertilité
Depuis six ans, aucun cri de bébé ne rompt le silence lourd de reproches dans lequel le couple finit par se morfondre. Aucun jouet d’enfant ne vient troubler l’ordre impeccable qui règne toujours dans leur maison.
Fatma se souvient encore de ses nuits blanches à pleurer sous l’œil stigmatisant de sa belle-mère. « Je vis vraiment un calvaire », soupire la femme de 32 ans, le trauma marqué sur son visage. Malgré la « compréhension » de son mari, qui l’aide à surmonter cette épreuve, l’informaticienne doit supporter le regard accusateur d’une société parfois impitoyable avec les mariés sans enfant. « J’ai allié médecine traditionnelle et moderne sans succès. Je fais des rapports sexuels régulièrement, c’est-à-dire trois à quatre fois par semaine.
Mais je n’ai jamais fait une fausse couche. Le médecin m’a dit que le problème, c’est moi », raconte Fatma, s’apitoyant sur son sort. Conséquences : la lune de miel de début de mariage s’est peu à peu transformée en lune de fiel. « Mon mari me soutient encore, mais jusqu’à quand ? Je sais qu’il veut des enfants », s’inquiète-t-elle, tête baissée. « Je suis derrière toi », console son époux Abdou, qui garde encore l’espoir d’être papa un jour. « C’est Dieu qui donne, pas la femme.
Elle est malade, mais elle a mon soutien. Je vais l’aider à surmonter cette épreuve », insiste-t-il avec l’énergie du désespoir. Par contre, Astou, qui vit à Liberté 6, a moins de chance. Elle est mariée depuis trois ans, mais la belle-famille commence à lui mettre la pression. Pour la dame aux 39 printemps, l’espoir de pouponner s’amenuise au fur et à mesure que se rapproche la ménopause. « Je suis en train de suivre mes traitements, mais ce sont les agissements de ma belle-famille qui m’indisposent », s’alarme-t-elle, la mine anxieuse. « Ma belle-famille me dit que “dama aye gaff” (j’ai la poisse). Ma belle-mère ne m’adresse que des insanités et mes belles-sœurs ne manquent jamais l’occasion de me rabaisser à cause de mon infertilité.
Bref, elles ont conseillé à mon mari de prendre une deuxième femme, à défaut de me répudier », explique la dame, partagée entre colère et dégoût. Sous pression, son conjoint, Moustapha, finit par épouser une deuxième femme qui, en moins de trois mois, tombe en état de grossesse. « Depuis, mon mari me considère comme un torchon. Il veut que je quitte la maison, mais je l’aime toujours », s’inquiète Astou, dont le couple tourne à la mésaventure. Avec ses causes multiples, l’infertilité continue de déstabiliser les unions. Entre médecine moderne et croyance ancestrale, entre espoir et résignation, des milliers de couples attendent chaque jour le miracle.
Par Babacar Guèye DIOP