Derrière l’activité des travailleuses du sexe se cache une urgence sanitaire. Exposées à des conditions d’hygiène déplorables et à un manque d’accès aux soins, elles demeurent parmi les plus vulnérables face aux maladies et aux risques liés à leur environnement de travail.
La prostitution soulève aussi un problème de santé publique. Les femmes qui exercent vivent et travaillent dans des conditions très précaires. Souvent, elles reçoivent leurs clients dans des tentes improvisées, au bord de la mer, dans des rues sombres ou dans des maisons abandonnées. Ces lieux n’ont ni eau, ni toilettes, ni hygiène. Cela les expose à de nombreuses maladies. Beaucoup de clients paient plus pour avoir des rapports sans protection. C’est une pratique courante, et elle multiplie les risques : Vih, syphilis, gonorrhée, chlamydia, hépatites etc. Les grossesses non désirées sont fréquentes, et faute de solutions, certaines recourent à des avortements clandestins.
Cependant, la prévalence du Vih chez les professionnelles du sexe est en baisse, selon le Conseil national de lutte contre le Sida (Cnls). En effet, elle est passée de 18,5 % en 2010 à 6,6 % en 2015 ; puis à 5,8 % en 2019. Chez les professionnelles du sexe dites « officielles », c’est-à-dire enregistrées au fichier officiel de la prostitution. Dès lors, une interrogation peut se poser sur la situation des professionnelles du sexe qui échappent à ce système de contrôle. La carte sanitaire montre bien souvent ses limites. Selon le rapport de l’Ansd publié en 2025, sur la situation économique et social du Sénégal, chez les femmes écrouées, le « défaut de carnet sanitaire et social-proxénétisme » représente 11,7% des cas d’infractions.
À ces problèmes physiques, s’ajoutent les blessures liées aux violences. Certaines sont frappées, agressées ou violées par des clients. Ces traumatismes ne sont presque jamais pris en charge. La santé mentale en jeu La santé mentale est aussi en jeu, vivre dans la clandestinité, porter la honte sociale, affronter les humiliations quotidiennes entraîne solitude, dépression et angoisse. Pour tenir, certaines consomment de l’alcool ou de la drogue. Mais cela crée d’autres problèmes de dépendance et fragilise encore plus leur santé. « Dans ce travail, la santé est notre plus grande peur.
Beaucoup de clients refusent de mettre le préservatif. Certains disent que ça enlève le plaisir, d’autres me menacent ou proposent de doubler le prix. Quand l’argent manque, je n’ai pas toujours la force de refuser. Mais après, je passe des nuits à me demander si je n’ai pas attrapé quelque chose », renseigne A.K. « Je n’ai pas de carte sanitaire. Je n’en veux pas… parce que je ne veux pas affronter le regard des médecins et sages-femmes. J’ai honte, en plus je peux rencontrer n’importe qui. Je crains leurs questions. Alors je me cache. Mais sans carte, la vie est dure. La police nous tombe dessus, souvent la nuit. Ils demandent la carte, et moi je n’ai rien. Alors ils demandent de payer 5.000 FCfa, sinon c’est le commissariat. Parfois je donne, même si c’est tout ce que j’ai gagné. Parfois je ne peux pas, et je passe la nuit derrière les barreaux. C’est humiliant… mais que faire ? C’est comme ça qu’on survit », confesse R.T.
Le défaut de carnet sanitaire : deuxième motif d’incarcération Les dernières données issues de la Direction de l’administration pénitentiaire (Dap) montrent que l’infraction liée au défaut de carnet sanitaire et au proxénétisme occupe une place significative dans la cartographie des personnes écrouées, en particulier pour les femmes. Chez les femmes détenues, cette catégorie arrive en deuxième position des motifs d’incarcération, juste après les coups et blessures volontaires. En 2017, 146 cas ont été enregistrés, soit 12,4 % des femmes incarcérées.
En 2018, le nombre passe à 156 cas, représentant 13,1 % de l’ensemble. Cette stabilité relative atteste du poids constant de cette infraction dans le profil carcéral féminin, traduisant à la fois la forte présence des activités de prostitution et la répression administrative qui les accompagne. Pour les mineurs (13-18 ans), le phénomène est beaucoup plus marginal. Seuls 7 cas sont recensés en 2017 (0,6 %) et 5 cas en 2018 (0,3 %). Ces chiffres, bien que faibles, soulèvent une problématique préoccupante : l’exposition de jeunes à la prostitution et au proxénétisme, révélant la vulnérabilité sociale de certains adolescents.
A. KEBE