Entre maternités délabrées, postes de santé sans sage-femme, accouchements à domicile, mariages précoces et fistules obstétricales, le Sénégal oriental se bat pour offrir aux femmes et aux nouveau-nés un accès aux soins de qualité. De Kidira à Koumpentoum, les témoignages recueillis révèlent des réalités contrastées : détresse et manque criard de moyens d’un côté, espoirs et progrès fragiles de l’autre. Au cœur de ce combat, soignants, bénévoles et communautés locales tentent de sauver des vies, malgré des infrastructures vétustes et une couverture sanitaire insuffisante.
• Dossier réalisé par Babacar Guèye DIOP
Maternité délabrée, tricycle comme ambulance, effectifs insuffisants…
Le poste de santé de Dakharatou à bout de souffle
Aux confins de l’Est du pays, les massifs rocheux de la commune de Kidira (département de Bakel) veillent sur des vallées arides. A quelques kilomètres du Mali, la beauté brute du paysage contraste avec la pauvreté implacable qui ronge les villages. A Dakharatou, un village à 619 km de Dakar, la piste poussiéreuse s’achève sur une cour en terre battue, entourée de murs ocre écaillés. Le poste de santé est là, une petite bâtisse baptisée au nom de Ouré Thierno. Elle reçoit ce 29 juillet 2025 une caravane de presse de l’Association des journalistes en santé, population et développement (Ajspd) en collaboration avec la Direction de la santé de la mère et de l’enfant. À l’intérieur, deux pièces sombres. La maternité est meublée d’une table bancale, d’une chaise en plastique brinquebalante et d’un matelas plastifié qui a perdu sa couleur d’origine. L’odeur de désinfectant se mélange à celle de la poussière. Dans un coin, une armoire métallique rouillée garde quelques boîtes de comprimés et un thermomètre à mercure qui ne tient plus dans son étui. Les gants sont rationnés, les pansements aussi.
Mais ce n’est plus qu’une ombre du lieu d’espoir qu’elle était autrefois. Construite il y a neuf ans par les femmes du village, avec l’aide d’un ancien infirmier chef de poste, le bâtiment menace aujourd’hui de s’écrouler. « Dans la salle d’accouchement, le toit peut tomber à tout moment. Quand il pleut, les murs en argile absorbent l’eau, et parfois des serpents surgissent », raconte Dieynaba Sow, la sage-femme en poste depuis août 2021. Un jour, elle a dû interrompre une consultation, surprise par un reptile glissant sous la table. A côté, les travaux pour une nouvelle maternité ont commencé il y a quatre mois… puis se sont arrêtés, faute de suivi. Résultat : la peur s’installe chez les femmes enceintes.
Un tricycle poussif sert d’ambulance
Beaucoup préfèrent accoucher à domicile, malgré les risques, plutôt que de se rendre dans une salle où chaque craquement du plafond sonne comme un avertissement. Dans cette contrée de plus de 7000 âmes, le taux d’accouchement à domicile est en hausse. « On est passés de 4% pour toute l’année à 8% comme taux d’accouchement à domicile pour le premier semestre de 2025. Dans le poste de santé, on enregistre 20 à 30 accouchements par mois », note Adama Ndoye Mabel Guissé, infirmier chef du poste de santé de Dakharatou.
En outre, le poste de santé dispose d’un personnel réduit : une sage-femme contractuelle, un assistant infirmier, une matrone, deux aides de santé communautaires (rémunérés par le poste) et huit « Bajenu gox » (marraines de quartier). Aucun infirmier d’État. Et surtout, pas d’ambulance. À la place, un tricycle poussif transporte les urgences : les victimes d’hémorragies, de crises convulsives. « On se croirait au Moyen-âge », souffle Dieynaba Sow, originaire de Keur Massar. L’engin tombe souvent en panne, laissant parfois les patientes à leur sort.
L’appel de Dakharatou est clair : sans moyens, sans infrastructure fiable, les efforts du personnel de santé resteront vains. Une ambulance, des murs solides, un toit sûr et un équipement adapté pourraient transformer la survie quotidienne en véritable service de santé digne de ce nom. « Ici, chaque accouchement est une course contre la montre, et chaque pluie est une menace. Pourtant, les sages-femmes, aides de santé et volontaires continuent, jour après jour, à tenir la ligne de vie fragile de Dakharatou », insiste Dieynaba Sow.
« Manger du sable »
À Dakharatou, les mariages précoces sont une réalité quotidienne. Les unions commencent dès 12 ans. Les conséquences médicales sont lourdes : accouchements dystociques, éclampsie, anémie sévère. « Le corps de ces jeunes filles n’est pas prêt à porter une grossesse », déplore la sage-femme. La majorité des références au centre de santé de Kidira concerne ces adolescentes. Elles arrivent parfois inconscientes, avec des convulsions, souvent avec une perte de sang importante. Les cas d’anémie sont fréquents. La planification familiale reste un tabou. «La culture veut que la femme enfante. Ceux qui font la sensibilisation le font discrètement», explique Dieynaba Sow.
Face à ces défis, des initiatives locales voient le jour. Harouna Diallo, président de l’ «École des maris», tente de convaincre les hommes d’envoyer leurs épouses accoucher au poste de santé. Mais pour la planification familiale, les doutes persistent. « Notre habitude n’est pas la planification familiale, car on ne la comprend pas encore bien. Beaucoup de maris refusent, faute d’information », justifie M. Diallo. Mais la pauvreté extrême complique tout. « Ici, les familles nomades subissent la faim pendant la saison sèche, jusqu’à manger du sable, faute de nourriture», révèle Dieynaba Sow.