« De la négligence à la mise en lumière : faire avancer l’agenda africain pour l’élimination des Maladies tropicales négligées (Mtn) ». Ainsi est libellé le thème de la 4e édition du Forum du Réseau des médias africains pour la promotion de la Santé et de l’Environnement (Remapsen). L’acte 1 a été posé, le 25 novembre 2025, lors d’un lancement en mode virtuel. Il sera suivi de la seconde étape prévue, en janvier 2026, au Bénin, lors de la Journée mondiale des Mtn.
Elles rendent aveugles. Elles défigurent. Elles causent des handicaps. Elles sont source de stigmatisation. Elles, ce sont les Maladies tropicales négligées (Mnt) qui créent beaucoup de souffrance, le plus souvent dans le silence.
Pourtant, nombreux sont ceux qui prennent encore ces pathologies comme étant éloignées voire inexistantes, alors qu’elles touchent en Afrique « plus de 600 millions de personnes, soit 40 % du fardeau mondial », renseigne le Pr Awa Marie Seck, ancien ministre de la Santé au Sénégal et présidente de l’Association Galien Afrique, initiatrice du Forum et du Prix éponymes.
Elle a prononcé la leçon inaugurale, le 25 novembre 2025, lors du lancement, en mode virtuel, du 4e Forum du Réseau des médias africains pour la promotion de la santé et de l’environnement (Remapsen). Le thème de cette édition porte sur : « De la négligence à la mise en lumière : faire avancer l’agenda africain pour l’élimination des Mtn ».
À l’occasion, Mme Seck a fait savoir que ces pathologies sévissent souvent dans les communautés les plus pauvres et les plus isolées. Ainsi, « elles ne sont pas seulement un problème médical, elles sont des enjeux de développement, de justice et de souveraineté ».
En attestent le témoignage de Yaye Sophiétou Diop, directrice du partenariat de l’Ong Speak Up Africa sur deux jeunes filles, Mansoura et Fatima, originaires respectivement du Niger et de la Guinée. « Touchée par le trachome, Mansoura m’avait confié avec une douceur désarmante que son seul souhait était de pouvoir ouvrir les yeux le matin sans douleur. »
Quant à Fatima, atteinte d’éléphantiasis, elle avait expliqué à Mme Diop « que ce n’était pas la maladie en elle-même qui la faisait souffrir, mais le regard des autres ». Yaye Sophiétou Diop qui ajoute : « Ces rencontres m’ont profondément marquée ».
D’ailleurs, elle estime que les propos de ces filles rappellent que « les Mtn ne sont pas des maladies du passé : elles frappent encore et toujours les plus vulnérables, les plus éloignés et les plus oubliés ».
Expériences personnelles
Pourtant, soutient le Pr Awa Marie Coll Seck, « la prévention est possible, tout comme le traitement, et dans bien des cas, l’élimination ». D’ailleurs, elle est convaincue que « l’Afrique peut éliminer les Maladies tropicales négligées ».
L’ancien ministre sénégalais de la Santé se fonde sur ces expériences personnelles comme infectiologue d’abord et plus tard leadership politique. « En tant qu’infectiologue, j’ai pris en charge de nombreux patients atteints d’onchocercose, de schistosomiase, de filariose ou de dracunculose. J’ai vu la souffrance évitable, la stigmatisation, les familles perdant leurs revenus et les opportunités brisées pour les jeunes ».
Parmi les patients qu’elle a eu à prendre en charge, le Pr Awa Marie Coll Seck se souvient « d’une jeune femme atteinte de filariose lymphatique génitale, répudiée par son conjoint, venue non pas seulement pour guérir, mais pour retrouver sa dignité ».
Elle a également souvenance de « garçons marqués par la schistosomiase, dont la croissance, les études et parfois l’avenir étaient compromis ».
Des défis et des succès
Autant de récits qui rappellent l’urgence d’agir pour éradiquer ces maladies évitables, mais qui ne disposent pas de suffisamment d’attention dans les pays en développement, notamment en Afrique. Ce défi a été d’ailleurs omniprésent lorsque Mme Seck a occupé le département de la Santé au Sénégal.
« Plus tard, en tant que ministre de la Santé, j’ai affronté l’autre versant du défi : le financement, les problèmes logistiques, les chaînes d’approvisionnement, la visibilité politique, mais aussi les priorités concurrentes », confie-t-elle, précisant qu’elle a aussi été témoin « de succès remarquables ».
Elle cite parmi tant d’autres « des campagnes nationales de distribution de médicaments, des partenariats de recherche, de l’innovation locale, ainsi qu’un engagement exceptionnel des agents de santé communautaire ».
Selon elle, ces initiatives confirment qu’il est possible d’éliminer les Mtn. « L’Afrique a déjà démontré son leadership », souligne-t-elle, évoquant la dracunculose, une pathologie pour laquelle on dénombre aujourd’hui moins de vingt cas dans le monde. « L’Afrique se rapproche du but », fait-elle savoir, rappelant que « le trachome est éliminé en tant que problème de santé publique au Sénégal, au Ghana, au Togo et au Malawi ». Pour ne citer que ces pays.
Concernant la filariose lymphatique, la présidente de l’Association Galien Afrique, renseigne que « le Togo est le premier pays africain à l’avoir éliminée ». C’est également le cas du Niger qui a réussi à éliminer l’onchocercose, ou cécité des rivières. D’ailleurs, ce pays est devenu le premier en Afrique à avoir été certifié par l’Oms dans ce domaine.
« Ces victoires montrent ce que nous pouvons accomplir avec détermination et coordination : un acte de souveraineté qui met fin aux maladies tropicales négligées », déclare le Pr Awa Marie Coll Seck.
Toutefois, il est impératif de faire face aux défis qui sapent les progrès notés dans la croisade contre les Mtn. Il s’agit, notamment, relève l’ancien ministre de la Santé, de la « faible visibilité politique, de la baisse des financements après le retrait des bailleurs », de l’insuffisance des systèmes d’eau, d’assainissement et d’hygiène, des difficultés à toucher les populations affectées par les Mtn. Mme Seck ajoute la fragilité des chaînes d’approvisionnement en médicaments et l’insuffisance des données permettant de cibler les interventions, etc.
Accélérer la cadence des efforts
L’élimination des Maladies tropicales négligées (Mtn) est possible. Mais pour y arriver, il est important d’accélérer la cadence des efforts.
À cet effet, le Pr Awa Marie Coll, qui a prononcé, le 25 novembre 2025, le discours inaugural, lors du lancement du 4e Forum du Réseau des médias africains pour la promotion de la santé et de l’environnement (Remapsen), plaide pour l’intégration des Mtn dans « les agendas nationaux prioritaires ».
Elle invite aussi à investir dans l’hygiène et l’assainissement, à rendre disponibles les données et à faire de la santé communautaire un élément clé du système sanitaire. La présidente de l’Association Galien Afrique milite également pour le renforcement de la production locale des médicaments essentiels, la consolidation de la surveillance transfrontalière et la mobilisation du pouvoir des médias pour maintenir l’engagement politique.
S’agissant du leadership politique, elle a salué ce qui se fait au Bénin dans la lutte contre les Mtn. Tout comme l’engagement communautaire au Niger avec les maîtres coraniques et en Éthiopie avec les femmes.
L’ancien ministre de la Santé n’a pas manqué de souligner le leadership logistique enregistré au Sénégal, notamment avec l’initiative « Yeksina » pour rendre disponibles les médicaments jusqu’au dernier kilomètre. Selon elle, le leadership industriel est également nécessaire pour développer la production pharmaceutique africaine.
Maimouna GUEYE

