La maladie d’Alzheimer reste encore méconnue au Sénégal, mais ses conséquences se font sentir dans de nombreuses familles. À l’occasion de la Journée mondiale de l’Alzheimer, célébrée chaque 21 septembre, Fatou Ndiaye, présidente de l’Association Tous unis contre l’Alzheimer (ATUCA), alerte sur l’urgence d’une véritable politique publique de prise en charge.
La maladie d’Alzheimer, souvent appelée « maladie de l’oubli », gagne en visibilité au Sénégal grâce aux efforts de sensibilisation menés « depuis quinze ans » par l’Association Tous unis contre l’Alzheimer (ATUCA). Fondée en 2009 et présidée par Fatou Ndiaye, l’organisation œuvre « depuis 2010 pour informer la population et accompagner les familles touchées ». Alors que la part des personnes âgées devrait fortement augmenter dans les décennies à venir, l’ATUCA tire la sonnette d’alarme et appelle l’État à anticiper ce défi sanitaire et social.
La maladie d’Alzheimer, identifiée pour la première fois par le médecin allemand Alois Alzheimer, touche principalement les personnes âgées de plus de 60 ans. Elle peut cependant apparaître plus tôt, dès 40 ans, dans ce que les spécialistes appellent la « démence précoce ». Au Sénégal, cette pathologie reste encore mal comprise et souvent banalisée.
« Souvent, les enfants en font des blagues, pensant que c’est normal d’oublier. Mais non, il faut comprendre que c’est une vraie maladie, et elle doit être prise au sérieux », insiste Fatou Ndiaye. D’après la présidente, dans les pays européens, où la population est vieillissante, Alzheimer est déjà reconnu comme un problème de santé publique majeur : « La France, par exemple, compte environ un million de personnes atteintes. Le Sénégal, avec une population aujourd’hui majoritairement jeune, semble encore épargné. »
À l’en croire, cette situation ne durera pas. « Certes, les jeunes sont majoritaires aujourd’hui, mais d’ici 15 à 20 ans, le pourcentage de personnes âgées va augmenter. Il faut s’y préparer dès maintenant », prévient la présidente de l’ATUCA. Cette perspective est d’autant plus préoccupante que le modèle familial sénégalais évolue rapidement. Autrefois basées sur la famille élargie, où plusieurs générations vivaient ensemble, les structures familiales se rétrécissent en milieu urbain. La « nucléarisation » – foyers composés uniquement du père, de la mère et des enfants – isole davantage les personnes âgées, qui perdent progressivement le soutien naturel de leur entourage.
Quinze ans d’actions et un appel à l’État
Face à cette réalité, l’ATUCA n’est pas restée inactive. Depuis sa création, l’association mène des campagnes de sensibilisation à travers les médias et les réseaux sociaux, en donnant la parole à des médecins et spécialistes. Elle organise régulièrement des activités lors de la Journée mondiale de l’Alzheimer, célébrée chaque 21 septembre.
L’an dernier, l’ATUCA s’est rendue à Keur Massar en partenariat avec une association locale. Objectif : former des jeunes à la sensibilisation pour que la relève soit assurée. « Nous voulons que les jeunes s’approprient ce combat et deviennent à leur tour des relais auprès des communautés », explique Fatou Ndiaye.
Mais l’association ne se contente pas de sensibiliser. Elle reçoit aussi des familles en détresse. « Des personnes nous contactent pour nous faire part de leurs problèmes. Nous les orientons vers des spécialistes pour qu’elles puissent être aidées », raconte Fatou Ndiaye. Ce travail se fait souvent en collaboration avec l’Anaman, une autre structure engagée contre les maladies démentielles.
Pour Fatou Ndiaye, le grand absent du dispositif reste l’État. « Au Sénégal, il n’y a pas d’étude spécifique pour déterminer le nombre de personnes atteintes. C’est anormal. Il faut se rapprocher des médecins pour recueillir chaque jour le nombre de personnes qui viennent en consultation. » Sans chiffres, il est impossible d’élaborer une politique nationale adaptée. « Tant qu’il n’y aura pas d’études d’envergure sur le sujet, rien ne sera possible », déplore-t-elle.
La souffrance silencieuse des aidants
L’un des aspects les plus douloureux de la maladie reste la charge pesant sur les familles. Dans un pays où il n’existe pas encore de maisons de retraite ou de structures spécialisées, ce sont les proches qui prennent en charge les malades au quotidien.
« Quand un individu a un malade atteint d’Alzheimer dans sa famille, il n’a plus de vie. C’est très difficile pour lui, car il est obligé d’être tout le temps à ses côtés pour l’assister. Cela a un impact sur son travail et sur sa vie sociale », témoigne Fatou Ndiaye.
Cette réalité, largement invisible, est au cœur du plaidoyer de l’ATUCA. L’association estime que les aidants doivent être soutenus psychologiquement, matériellement et financièrement. Car au-delà de la souffrance du malade, c’est tout un équilibre familial et professionnel qui est bouleversé.
Alors que la démographie sénégalaise évolue, la présidente de l’ATUCA alerte : si rien n’est fait aujourd’hui, le pays sera rapidement dépassé par une crise sanitaire et sociale. « L’État devrait voir comment venir en aide aux familles, car sans soutien, elles ne pourront pas porter seules ce fardeau », insiste-t-elle.
En attendant un engagement national, l’ATUCA poursuit son travail de terrain : informer, sensibiliser, accompagner, mais aussi donner de la visibilité à une maladie encore stigmatisée.
Chaque année, le 21 septembre, l’association rejoint la mobilisation mondiale pour rappeler que l’Alzheimer n’est pas une fatalité individuelle, mais un enjeu collectif de santé publique.
Cheikh Tidiane NDIAYE