Longtemps porte-parole de la famille d’El Hadji Malick Sy sous plusieurs khalifes, Serigne Abdou Aziz Sy Al Amine était un régulateur social et un médiateur très respecté au Sénégal. Il était aussi un rassembleur, un homme de Dieu, une âme généreuse… À Tivaouane, son legs est encore vivace.
Serigne Abdou Aziz Sy Al Amine était un orfèvre de la paix, de la cohésion sociale et du vivre-ensemble. Le défunt porte-parole et Khalife général des Tidianes a marqué les esprits en s’investissant pleinement dans l’apaisement des conflits sociaux et politiques. De son vivant, il n’a jamais cessé de ménager aucun effort pour la consolidation de la paix sociale au Sénégal. Pathé Diop qui fut son chef de protocole a cheminé avec lui pendant au moins trois décennies. C’est un témoin privilégié des actes posés par Serigne Abdou Aziz Sy Al Amine pour préserver la paix sociale. Les retrouvailles entre le président Abdoulaye Wade et Idrissa Seck, son ancien Premier ministre, sont encore fraîches dans les esprits.
Elles ont été rendues possibles grâce à l’implication du guide religieux qui a pris son bâton de pèlerin pour rapprocher les deux parties. Pathé Diop était au cœur de ces négociations. Toutefois, il précise que celles-ci ont été voulues par les « protagonistes » et que le défunt porte-parole de Tivaouane n’était qu’un « facilitateur ». Les tractations ont duré 15 jours et sont restées secrètes jusqu’à ce que la télévision sénégalaise montre les premières images de Serigne Abdou Aziz Sy Al Amine accompagnant l’ancien chef du gouvernement Idrissa Seck au palais de la République. Le porte-parole indique que quand les échanges ont abouti à ce rapprochement, le guide spirituel s’est aussitôt retiré et est retourné à Tivaouane. Quand l’ancien chef de l’État lui demanda de rester et d’assister à leurs discussions, il lui rétorqua : «Il est hors de question de prendre part à des échanges entre un fils et son père». Al Amine prit congé d’eux en ces termes : «Mettez vos égos de côté et privilégiez l’intérêt du pays».
Pour Pape Latyr Ndiaye, disciple et proche collaborateur du défunt Khalife général des Tidianes, le saint homme a pu régler «un différend d’ordre moral» entre un père et un fils. D’après lui, Serigne Abdou Aziz Sy Al Amine a fait un «grand sacrifice pour adoucir des cœurs». «Il n’a jamais été demandeur. S’il n’avait pas été sollicité avec beaucoup de pression, il n’allait pas s’impliquer dans ce rapprochement», rectifie l’ancien membre de la Coordination nationale des Étudiants du Sénégal (Cnes). Ce dernier dit regretter «les commentaires malveillants» autour de cette affaire, persuadé qu’il n’y avait «aucune motivation» de la part du saint homme. Retrait projet de loi Aussi, l’on se souvient encore de la crise opposant les enseignants et le président Macky Sall. Pathé Diop souligne qu’il a été saisi par un grand responsable syndical d’alors de la décision du chef de l’État de renvoyer les enseignants grévistes. Il informa aussitôt Serigne Abdou Aziz Sy.
À cet effet, il convia les grévistes à une discussion à Tivaouane en présence des représentants du ministère de l’Éducation et de la société civile. Au cours de cet échange, le président Macky Sall l’a appelé, dans la foulée, pour une autre affaire, selon M. Diop. Le guide religieux saisit cette occasion pour l’informer de la présence des syndicalistes avant de lui tordre le bras de ne pas prendre «une mesure forte». «Le président Macky Sall a eu une écoute attentive qui a permis de sauver la situation», ajoute-t-il. Les jours suivants, les enseignants avaient mis un terme à leur grève avec l’ouverture des négociations entre syndicats et gouvernement. À en croire Pape Latyr Ndiaye, le défunt parole-parole de Tivaouane s’est pleinement impliqué dans le retrait du projet de loi du président Abdoulaye Wade le 23 juin 2011.
Ce texte était soupçonné de préparer une dévolution du pouvoir au profit de Karim Wade, fils de l’ancien chef de l’État. Après avoir apprécié la situation en tant qu’homme religieux et homme d’État, il appela Me Wade et insista sur l’intérêt supérieur de la Nation qui passe par le retrait de cette initiative. M. Ndiaye a indiqué que Serigne Abdou Aziz Sy Al Amine s’était d’ailleurs concerté avec le défunt Khalife général des Mourides d’alors, Serigne Cheikh Sidy Makhtar Mbacké, avec qui il était en symbiose. «Chacun a appelé de son côté pour que l’ancien chef de l’État recule. Ce fut un coup de maître de leur part. C’est sa méthode, son style», apprécie-t-il. Rôle de sentinelle Serigne Abdou Aziz Sy s’est aussi impliqué pour apaiser la tension entre l’ancien président Abdoulaye Wade et la coalition la plus représentative de l’opposition de l’époque qui regroupait des leaders emblématiques.
En effet, celle-ci avait prévu d’organiser une grande marche à Dakar, le jour même de l’inauguration du Monument de la Renaissance. Mais, elle a été formellement interdite par le pouvoir. Et l’opposition campa sur sa position. La tension était vive, le climat tendu. Pathé Diop informe que la marche de l’opposition a été finalement autorisée grâce à la médiation du défunt parole-parole du Khalife général des Tidianes. Il a alors convaincu Me Wade que la marche ne pourrait nullement entacher l’inauguration de l’édifice culturel, d’autant plus que le macadam de l’opposition se déroulait à mille lieues du Monument de la Renaissance. Khalifa Niang, actuel coordonnateur général du Gamou et proche de Serigne Abdou Aziz Sy Al Amine, témoigne que le guide religieux a beaucoup enduré pour apaiser les esprits.
À ce propos, il fait savoir que les interventions des religieux ne sont pas souvent assujetties à des sollicitations, mais plutôt conformément «à leur rôle de sentinelle, d’avant-gardistes de paix sociale». Bras droit de son père Le guide spirituel n’avait pas « d’état d’âme à exécuter tout ordre venant de ses pères et de ses aînés », confie M. Niang. Avant même qu’il n’accède au khalifat, rappelle-t-il, Al Amine avait contribué à la pacification de l’espace public, notamment scolaire, universitaire, ouvrier, syndical, etc. «C’était un très grand médiateur à tout point de vue», juge-t-il. Le défunt porte-parole s’est, en effet, impliqué à la résolution de beaucoup de crises sociétales, de différends d’ordre familial, intrafamilial, entre des familles qui ne sont pas affiliées à la confrérie tidiane ou même non-musulmanes ; des conflits entre grandes personnalités.
«Dans le secret, dans le silence et dans la diplomatie, il est arrivé à les régler», assure l’ancien membre de la Coordination nationale des Étudiants du Sénégal. Son fils Serigne Sidy Ahmed Sy Al Amine affirme que la chance de son père, c’est d’avoir été «formé par Serigne Babacar Sy, d’être à son service». « À 16 ans, il était déjà le bras droit de son ère, son homme de confiance», révèle-t-il. Étant au service de son père, il a continué ses études auprès de Serigne Alioune Guèye, un des «Muqadams» (disciples) de Maodo Malick Sy. Plus tard, il fonda son propre «daara». « Devant toute sorte de circonstances, il a toujours gardé son calme et sa sérénité parce qu’ayant vécu de pareilles situations sous le khalifat de son père, Serigne Babacar Sy. Chaque fois, il a su trouver des solutions », témoigne Serigne Sidy Ahmed, qualifiant le défunt Khalife général des Tidianes « comme un océan de connaissances et d’expériences ». Serigne Abdou Aziz Sy Al Amine a tiré sa révérence, le 22 septembre 2017, à l’âge de 89 ans.
Par Souleymane Diam SY