Le Lac Rose, dans la région de Dakar, était reconnu par sa belle couleur qui suscitait la curiosité de plusieurs personnes, des étrangers en particulier, venues contempler ce lieu unique au monde.
Maintenant, cette ressource n’existe que de nom. Cette situation fait qu’aujourd’hui, l’affluence des touristes se conjugue au passé et du coup, le commerce et tant d’autres activités qui faisaient vivre bon nombre d’individus sont en perte de vitesse. En cette matinée de vendredi, sur la route de Malika vers Keur Massar, dans la banlieue, les va-et-vient des personnes, synchronisés aux klaxons incessants des voitures, campent le décor. Les étals des femmes vendeuses de divers produits, entre autres, légumes et fruits jouxtent le trottoir. À l’intérieur de la ligne 85, peu remplie avec quelques passagers à bord, règne un silence cathédral. À cause de l’état défectueux des routes, le véhicule a pris du temps pour sortir de Keur Massar. Un vrai parcours du combat avant d’arriver à destination. En passant par Tivaouane Peulh, puis Niague, nous sommes arrivés à destination. Après plus d’une heure de voyage, nous voici au Lac rose. À plus de 100 mètres, le lac est visible à perte de vue, mais sa couleur rose s’est fondue dans la masse. Il n’est plus rose. Aussi appelé Lac Retba au bon vieux temps et par la suite devenu Lac rose, dû à sa couleur unique au monde et connue de tous, ce site touristique semble avoir perdu toutes ses lettres de noblesse.
Lac rose sans rose, c’est zéro
Aliou Ndour s’est fait un slogan qu’il répète en boucle tout en plaisantant et faisant rire à sa bande d’amis gérants de quad communément appelé véhicule tout-terrain. « Lac rose sans rose, c’est zéro », dit-il avec humour. Une expression qui explique carrément la situation de bon nombre de personnes qui s’activent dans ce site. Le lac peine à retrouver sa couleur d’antan et du coup l’économie est devenue morose à cause d’une faible présence de touristes étrangers dans les lieux. Le tourisme au ralenti Pour rappel, en 2022, en période de l’hivernage, les autorités étatiques avaient décidé de déverser les eaux de pluie dans le lac pour pouvoir décanter la situation des habitants de Keur Massar et environs, pris en tenaille dans les inondations. Une solution qui est devenue, après, un problème majeur puisque le Lac rose, site inscrit sur la liste indicative au Patrimoine mondial de l’Unesco, a perdu sa belle couleur qui faisait de lui un endroit attrayant qui aiguisait l’appétit des touristes.

Maintenant, à en croire plusieurs commerçants du site, dont Mansour Diaw, personne n’ose plus vendre la destination du Lac rose. La raison, explique-t-il, le lac a perdu son charme qui faisait que des milliers de personnes, venues de divers horizons, se côtoyaient tous les jours pour profiter de cette beauté naturelle. En effet, par le fait que les touristes viennent maintenant à compte-goutte, commerçants, guides, entres autres, ont du mal à tirer leur épingle du jeu. Les conséquences sur le plan économique sont d’autant plus importantes qu’elles hantent le sommeil de plus d’un. Mansour Diaw, fabricant d’objets d’art, voit son business menacé. Ayant vécu trente ans dans ce lieu à vocation touristique, le vieux garde toujours les souvenirs où cet espace faisait beau vivre. Il se rappelle les moments où les rives du lac étaient bordées de tas de sel, créant un contraste saisissant avec le rose de l’eau rose et le bleu du ciel. Il y a de cela des années, se souvient-il, tout était rose ici, pas que le lac seulement. Ainsi, ajoute-t-il, en une journée, on vendait beaucoup parce que les touristes venaient à gogo et le commerce était rayonnant dans les coins et recoins du site. « Mais aujourd’hui, la situation est tout autre. Nous pouvons rester des jours sans récolter un centime. C’est une situation catastrophique pour nous qui ne connaissons que ce milieu, mais nous nous en remet à Dieu », regrette-t-il. Sur les lieux, un groupe se fait appeler clandestinement des guides.
Un lieu touristique prisé
Des « businessmen » plutôt. Ils profitent de l’ignorance des visiteurs pour doubler le prix, de connivence avec les piroguiers et les gérants de quads pour se tirer d’affaire. Néanmoins, leur business est moins florissant ces derniers temps. Au Lac rose, les guides qui se frottaient le plus les mains vivent, aujourd’hui, le calvaire comme tout le monde ici. Lamine Cissé rôde tout autour pour dénicher un potentiel visiteur. Sa vigilance est accrue et ses yeux sont rivés sur toutes les voitures qui stationnent dans les différents endroits du site. Selon le jeune « guide », il est difficile maintenant de gagner du pognon dans ce travail. « La rareté des visiteurs n’arrange personne ici », fustige-t-il. La vie n’y est plus rose Et pourtant, la nature est toujours belle dans cette contrée. Sur les lieux, à première vue, la nature verdoyante qui entoure le lac attire l’attention. Un lieu touristique prisé, notamment pour ses paysages pittoresques et son environnement unique. Les filaos se trouvant tout juste après le lac rendent l’espace plus luxuriant. Cet endroit accueille les parties de balades en famille ou encore en bande de copains.
Moins nombreux dans les coins, certains visiteurs jettent leur dévolu en contemplant la nature à dos de chameaux ou en prenant les quads. Ce business, néanmoins en perte de vitesse, demeure au Lac rose, l’activité qui nourrit son homme. En cette mijournée, le climat est clément. L’océan situé à 800 mètres derrière les filaos envoie un vent doux et frais qui vous caresse le visage. Un cadre où il fait beau vivre et l’on en profite pour inhaler la brise marine. Le seul couac ici, c’est le lac qui n’est plus attractif et qui, directement, a impacté le quotidien de plusieurs personnes. Les vendeurs d’objets d’art demeurent les plus grandes victimes du phénomène. Les traces de touristes étrangers se font de plus en plus rares.
À cet effet, les artisans sont confrontés à une tendance baissière de la clientèle. Sokhna Dioucé, habitante de Niague, non loin d’ici, montre son courroux total aux autorités locales. Elles sont les principales sources de nos problèmes, dit-elle, avant d’ajouter : « on n’aurait dû jamais arriver à ce stade si elles avaient bien préservé le lac qui était un moyen de subsistance pour toute la population de cette localité ». La jeune dame, vendeuse de divers objets d’art, au visage renfrogné, ne digère pas du tout cette configuration. Soutenant que la situation actuelle est défavorable, elle souligne que cette activité par laquelle elle payait l’éducation de ses enfants et subvenait au besoin de sa famille n’est plus rentable. Le lac rose a perdu son lustre d’antan et la vie n’y est plus rose.
Bada Mbathie (Keur Massar)