Au cœur des méandres du fleuve Casamance, dans la région de Sédhiou, la zone du Pakao se distingue comme un haut lieu de spiritualité musulmane. Jadis occupée par les Baynouks et les Balantes, des populations majoritairement animistes, cette terre a connu, dès le 18e siècle, une profonde islamisation avec l’arrivée de marabouts mandingues, peuls et soninkés venus du Fouta et de l’empire du Mali, porteurs de savoirs coraniques. Porte d’entrée de l’islam en Casamance à travers le village de Sounakarantaba, le Pakao a expérimenté les « guerres saintes » avant de s’imposer peu à peu comme un foyer mystique majeur de l’islam du Sénégal. Ayant eu le privilège d’accueillir sur son sol plusieurs érudits et mystiques musulmans, dont El Hadj Omar Foutiyou Tall, le Pakao jouit d’une réputation de terre sacrée, protégée des sacrilèges et des malheurs par des forces spirituelles veillant sur elle. Cette protection, dit-on, s’étend même à ceux qui viennent s’y réfugier. La zone a également la réputation de perdre les autorités publiques qui s’y aventurent, les dépouillant de leur pouvoir, comme par anticipation, pour se prémunir des malheurs qu’elles pourraient lui causer.
Dans le sud du pays, dans la région de Sédhiou, les signes de la saison des pluies se dévoilent. Après la saison sèche, les premières précipitations réveillent la terre. La région naturellement humide, jonchée de vallées et ceinturée de bras d’eau et de fleuves, reprend sa densité verte avec les sols qui se tapissent d’herbe au fil des jours.
À l’entrée de Touré Kounda, les signes du réveil agricole sont aussi visibles. Des silhouettes courbées s’affairent dans les champs. D’un geste lent, mais assuré, une femme fend la terre avec sa daba, tournant et retournant le sol noir et humide. Plus loin, deux jeunes garçons guidant leurs bœufs attachés au joug de bois s’avancent vers leur domaine.
Il est 14 heures, en ce mercredi 16 juillet, à Touré Kounda, au cœur du Pakao. Au loin, le muezzin lance l’appel à la prière de « Tisbar ». Les hommes tout comme les apprenants du Coran interrompent leurs tâches et se dirigent vers la mosquée pour la prière dirigée par El Hadji Mory Kéba Touré, Khalife général de Touré Kounda et président des guides religieux de la région de Sédhiou.
Le Pakao, portion de la région de Sédhiou souvent confondue avec la totalité de celle-ci se distingue par un héritage islamique profond grâce à plusieurs familles religieuses venues d’autres contrées du Sénégal ou de la sous-région dont les noms sont aujourd’hui gravés dans la mémoire collective.
Selon l’imam de Touré Kounda, la zone du Pakao a été jadis peuplée par les Baybouks qui constituaient avec les Balantes les populations autochtones. « Dans la région, autrefois, les premières personnes influentes de la région étaient les Baynouks. C’est par la suite que des individus venus d’ailleurs s’y sont implantés, favorisant l’islamisation de la région », fait savoir El hadj Morykéba Touré.
Ces populations, pour la plupart de l’ethnie peulh, sont venues de la région nord du Sénégal, le Fouta ou le Boundou (est du Sénégal) alors que les autres, sont des populations mandingues venues du « ngaabu », une ancienne province militaire de l’empire du Mali particulièrement influent dans la Sénégambie.
« Dans le Pakao, l’islam est entré par Sounakarantaba, une cité religieuse située à l’est de Sédhiou. Dans cette cité, on retrouve des familles Soly et Barro, venues d’Aéré Lao pour le commerce du papier marabout, la vente de cola et d’autres produits indispensables aux religieux », fait savoir Pape Touré, directeur de la radio communautaire Diassing Fm.
Pour le communicant, l’influence de ces commerçants était liés à l’utilité de leurs produits que les marabouts utilisaient pour écrire des versets coraniques proposés aux populations en aumône ou charité spirituelle.
Guerre islamique
Pour autant, cette présence musulmane de longue date ne coïncide pas avec une vraie domination de la religion islamique dans la zone, car les populations païennes étaient majoritaires. Ce que souligne Cheikh Mouhamadou Kanamori Souané.
Pour le Khalife de Madina Souané auteur de l’ouvrage : « Pakao d’autrefois, son histoire et sa culture », publié en 2020, le Pakao portait le nom de Kandessa sous le règne des Baynouks avant l’arrivée des musulmans. Il estime que « l’avènement des musulmans a débuté dans la quiétude dans la contrée avec les commerçants et d’autres marabouts. Ils ont été hébergés par des autochtones avant de créer plus tard leurs propres villages comme : Souna Karantaba, Diannabaa, Ndiama, Sonkodou, Diannah », souligne-t-il.
Pour Mouhamadou Kanamori Souané dit N’Mama, la population musulmane de la zone était sous la domination des païens qui commettaient beaucoup d’exactions à leur encontre. Ce qui a suscité leur révolte, provoquant ce qu’il a appelé « les guerres saintes ».
« Cette révolte a été déclenchée par un certain nombre de personnes dont Fodé Ibrahima Diébaté. Il est mort en martyr sur l’autre rive dans le Makacoulibantan et il a été enterré à Diannabah », dit-il.
Selon lui, c’est grâce à la solidarité entre musulmans dans les contrées de Sonkodou, Diannabah, Touré Kounda, Salikégné (des localités du Pakao) que les musulmans ont réussi à vaincre les païens qui dominaient dans la région.
« C’est ainsi que, comme le voulait Ibrahima Diébaté, (le premier à déclencher les hostilités de la guerre sainte) Kandessa est devenu Pakao, dérivé du mot Al Bakhao qui signifie l’expansion, ce qui s’éternise », ajoute le Khalife de Madina Souané.
Avec les averses continues et saccadées depuis quelques jours, le Pakao déroule son tapis vert, frappé par les fines gouttelettes de pluies qui ruissellent le long des routes et inondent toute la zone jusqu’à Jeddah Khalifa.
Sur les lieux, son Khalife Abdou khadre Seydi Sall revient davantage sur l’héritage islamique de la zone. Selon lui, l’islam remonte dans la contrée à l’époque précoloniale. « La zone a été islamisée bien longtemps avant l’arrivée de personnalités comme El Hadj Omar Tall. Pendant longtemps, les musulmans étaient minoritaires devant les Baynouks, populations majoritaires dans la zone », souligne-t-il.
C’est avec l’influence des Mandingues que le Pakao est devenu une localité où cette langue est majoritairement parlée par les populations dans une zone où cohabite Balantes, Djolas, Mandingues, Peuls, etc.
L’islam aujourd’hui largement pratiqué par la population fait de la zone du Pakao une contrée de ferveur spirituelle qui se remarque par ses nombreuses mosquées dont les minarets résonnent à travers les appels à chaque heure de prière.
Héritage mystique
À cela s’ajoutent les familles religieuses qui abritent quasiment toutes des « daaras » coraniques où des enfants apprennent, de jour comme de nuit, à l’ombre des feux de bois, le Coran. Les familles les plus emblématiques sont les Cissé, les Diané, les Djitté, les Dramé, les Souané, les Solly, les Touré, etc.
Pour le Khalife de Madina Souané, ce sont les prières récitées chaque jour, à toute heure et dans chaque maison qui préservent le Pakao des calamités et en fait une terre sacrée.
« Cette protection du Pakao est bien réelle. Elle est à la fois naturelle et mystique. Les anciens ont dénommé le Pacao « l’Eternité », ce qui fait qu’en dépit des conflits qui se sont passé, par exemple la guerre en Casamance, les exactions de Moussa Molo, etc., le Pakao a toujours été préservé », affirme-t-il.
Dans le même esprit, El hadji Mory Kéba Touré insiste sur l’inviolabilité du territoire. « Il n’y a jamais eu de guerre ethnique ici. Chaque personne qui se prépare à faire la guerre contre le Pakao se perd en route. C’est le cas de Moussa Molo, Fodé Kaba Doumbouya. Tous se sont égarés à cause de cela. Car ici, c’est un lieu d’islam. », confie-t-il.
Selon lui, dans certaines zones du Pakao, un gouvernant qui s’y aventure perd son autorité. « Un jour, un ministre sous le magistère d’Abdoulaye Wade est venu saluer mon père ici. Il nous a dit qu’il se rendait à Kolda. Le vieux lui a conseillé de passer de l’autre côté du fleuve avant de continuer sa route. Il a minimisé le conseil et est parti. Peu après, on lui a demandé de présenter sa démission. », raconte-t-il.
Abdou Khadre Seydi Sall souligne qu’au-delà des prières, le Pakao est une zone où beaucoup d’hommes de dieu, des saints ont leur tombe. « C’est un fait connu de tous : le Pakao a le privilège d’abriter les tombes de sept grands saints. Ces tombes sont repérées dans les villages de Salkégné, Bassaf, Diannabah, Badougha, Katabinah, Ndiamah et Sounakarantaba », dit-il.
Souleymane WANE