L’image est choquante. De la viande de chat qui serait commercialisée. L’arrestation de deux individus mis en cause dans cette affaire, continue de susciter encre et salives et d’impacter l’activité de la vente de brochettes. Au-delà du caractère illicite, elle suscite une question de santé publique pour certains.
Il est bientôt 20h au Croisement Cambérène. Des bouchons, comme d’habitude. Tous veulent rentrer. Mais pas tous, vraiment ! Pour certains, c’est l’heure du dîner. Ils n’ont pas cherché loin. Juste à côté du rond-point, en allant vers le marché Gueule Tapée, quelques bols sont soigneusement installés sur des tables. Tout autour, un vendeur. Turban autour du visage, il prend les commandes. Ici, l’affaire de la viande de chat qui a défrayé la chronique ne semble pas avoir d’impact sur l’activité de Babou. Mais c’est le sujet de discussion. Les acheteurs, visiblement pas effrayés, en parlent avec décontraction, même si le sujet semble agacé le maître des lieux. « Les gens aiment faire des accusations gratuites. Je suis ici depuis des années, mais je n’ai jamais entendu parler de cette affaire. Aujourd’hui, s’il y a un cas aussi désolant, ce n’est pas normal de mettre tout le monde dans le même sac », soutient-il, amer.
Pour le moment, même s’il ignore les impacts sur l’activité, il reconnait vivre une pression psychologique constante. Souvent, des passants le pointent du doigt, de loin. Il est sûr que c’est le sujet qui intéresse les gens. À quelques mètres, l’affluence est faible. Un troisième occupant est absent ce jour. Même si Babou refuse de reconnaître que c’est à cause de cette affaire, il le dit à demi-mot. « Tout le monde n’a pas la même mentalité. En tout cas, rien ne peut m’empêcher de travailler. J’ai la conscience tranquille », déclare-t-il.
Pression palpable
À Hann Mariste, non loin de la station Edk, le décor est très frappant. Des fourneaux, quelques brochettes, le vendeur…plus rien. Excepté les scooters des livreurs. Les clients se font désirer. Le vendeur, visiblement très préoccupé, refuse de piper mot. Ce sont les livreurs qui s’en occupent. Pour eux, la crédibilité de leur voisin ne fait l’ombre d’aucun doute. Mais ils ont de la peine pour lui. Pour cause, depuis l’éclatement de cette affaire, « ce vendeur de brochettes, réputé bon marché », peine à voir les clients. « Nous sommes pratiquement les seuls à continuer à lui faire confiance. Depuis quelques jours, il a du mal à vendre. Ses recettes ont sérieusement baissé », confie un conducteur assis sur sa moto.
À quelques jets de là, son collègue a décidé de marquer une pause. Le temps d’y voir plus clair. Si certains semblent résignés, d’autres ont décidé de se réinventer. C’est le cas d’Abdoul, jadis vendeur de brochettes de viande et de poulet. Depuis l’éclatement de l’affaire de la viande de chat, il ne se complique pas la tâche. Il ne vend que des brochettes de poulet. « Personne ne pourra me reprocher d’être dans l’illicite. La viande de poulet est facilement reconnaissable », renseigne Abdou avec humour. Plus chère que la viande de bœuf, celle de poulet ne se vend pas facilement, précise-t-il.
S’ils jurent vendre de la viande halal, ils sont peu nombreux les vendeurs qui peuvent assurer que ce qu’ils achètent est certifié. Le matin, admet l’un d’entre eux, c’est à la Sogas (ex Seras) qu’ils se ravitaillent. Tantôt ce sont les chutes récupérées des peaux de vache, tantôt de la viande achetée au kilogramme. « Je n’achète pas plus de deux kilogrammes par jour. Donc, je n’ai pas la prétention de m’assurer du processus », ajoute Babou. Selon lui, la plupart des vendeurs se font livrer. Rares sont ceux qui peuvent attester de la licéité de ce qu’ils vendent.
Risques d’intoxication alimentaire…
Entre nourritures exposées à l’air libre, contrôle absent, voire inexistant…l’affaire de la viande de chat semble avoir remis au goût du jour une question de santé publique. Pour Salim Bessane, nutritionniste, beaucoup de cas d’intoxication ont été causés par ces nourritures vendues un peu partout et n’importe comment. « Cette affaire de viande de chat doit être le déclic. Il est temps de contrôler ce que les gens mangent. On ne peut pas se lever et vendre de la nourriture n’importe où et n’importe comment. Cela va au-delà des considérations d’ordre religieux. C’est une question de santé publique d’abord », alerte-t-il.
Dans le même tempo, la Fao avait sonné l’alerte à l’issue d’un diagnostic sur la restauration de rue. À ce titre, Babacar Samb, expert en sécurité sanitaire, indique qu’il y a des insuffisances au niveau opérationnel, parce que, dit-il, le service d’hygiène qui est le principal service sur le marché n’a pas suffisamment les moyens pour le travail de contrôle. Dans la restauration de rue, le Sénégal manque de dispositif de suivi et d’évaluation pouvant attester de la qualité de l’alimentation vendue dans la rue », a-t-il noté.
Cette activité s’inscrit en droite ligne du lancement de l’élaboration des documents de référence dans le cadre de la mise en œuvre par la Fao du projet intitulé : « Renforcement de la capacité de réponse aux urgences de sécurité sanitaire des aliments et amélioration de la qualité sanitaire de l’alimentation de rue au Burkina Faso, au Mali et au Sénégal ». Financé à hauteur de 1,3 milliard de FCfa par Le Grand-Duché du Luxembourg, le diagnostic a permis de mettre en lumière la faiblesse du nombre de toilettes. « L’insuffisance des toilettes ne garantit pas des conditions d’hygiène optimales.
Le péril fécal est la première source de contamination d’origine biologique en ce qui concerne l’alimentation. Il y a un facteur qui peut être important en termes contamination dans la restauration de rue », révèle l’étude. D’après les données de l’Organisation mondiale pour la santé, en Afrique, plus de 91 millions de personnes tombent malades chaque année, entraînant 137.000 décès soit un tiers de la mortalité mondiale due aux maladies d’origine alimentaire.
Oumar FEDIOR