La ziarra annuelle à Sarsaara en Mauritanie attire des milliers de fidèles venus honorer la mémoire et les enseignements de Cheikh Ahmadou Bamba. Ce pèlerinage est effectué pour commémorer le deuxième exil du fondateur du mouridisme entre 1903 et 1907. Contrairement aux prévisions de l’administration coloniale, Serigne Touba y reçut des allégeances insoupçonnées…
Sarsaara est une localité du Trarza, à 200 km au sud-est de Nouakchott, non loin de Boutlimit. C’est dans ce hameau que Serigne Touba a vécu sous résidence surveillée entre 1903 et 1907. Pourtant, il venait à peine de passer quelques mois avec les siens, de retour d’exil du Gabon.
Ahmadou Bamba Ndiaye, écrivain, expliquait dans une série sur les séjours forcés à l’étranger du fondateur du mouridisme, « qu’à peine a-t-il eu le temps de saluer ses disciples et d’en accueillir de nouveaux, de retrouver sa famille et de rencontrer, pour la première fois, son fils Mouhammadou al-Bachir, (Ndlr – père de l’actuel Khalife général Serigne Mountakha), qu’un nouveau détachement de 150 tirailleurs et de 50 spahis, disposant un total de 20.000 cartouches, est envoyé l’arrêter à Darou Marnane, pendant que les frontières avec la Gambie, alors territoire anglais, étaient fermées ».
Quelques jours auparavant, il avait refusé en ces termes de se rendre à une nouvelle invitation à Saint-Louis du gouverneur : « Je suis le captif de Dieu et ne reconnais d’autre autorité que lui ». Les autorités coloniales étaient, il faut le dire, mises en condition par de nombreux comploteurs dont des notables qui n’ont eu de cesse de leur transmettre de fausses informations relatives aux activités du fondateur du mouridisme.
La nouvelle arrestation, qui a eu lieu le 14 juin 1903, a dû être une grande déception pour l’administrateur de Tivaouane, le nommé Allys qui considère Cheikh Ahmadou Bamba comme « un danger permanent » et qui avait déjà exposé, le 1er juin 1903, sa solution à Merlin, devenu gouverneur général par intérim de l’AOF le 10 juin : « Puisque Amadou Bamba refuse de venir à Saint-Louis, il faudrait l’envoyer cueillir par l’escadron et l’expédier de nouveau au Congo. S’il y a des coups de fusils échangés, et il y en aura sitôt pris, le passer par les armes ».
Dire que le 25 avril de la même année, ce même Merlin, dans une lettre confidentielle adressée à l’administrateur de Thiès, confessait : « Bien que les faits que vous me signalez me paraissent considérablement grossis, ils ne méritent pas moins d’être vérifiés à bref délai ». Bref, l’administration coloniale envoya, le 17 juin 1903, Cheikh Ahmadou Bamba à un second exil à Souet-el-Mâ, en Mauritanie.
Honneurs et allégeances
Le Pr Mbaye Guèye, historien de renom, s’il en est, écrit : « Par cette mesure, le gouverneur pensait avoir administré la preuve qu’il disposait de moyens pour couper court à toute tentative de résistance à son autorité. Il se trompait, car l’éloignement de Cheikh Bamba, au lieu d’intimider ses adeptes et leur inspirer le respect de l’administration, ne fit qu’approfondir davantage le fossé qui les en séparait.
La population manifestait avec une virulence toujours de plus en plus affirmée son hostilité vis-à-vis du conquérant. De tout le pays partaient de nombreux envois de dons vers Sou-et El Mâ où résidait le marabout. La persécution du marabout et de ses adeptes fit de la confrérie mouride le merveilleux foyer religieux local où se groupèrent les populations avec toutes leurs forces morales, sociales, juridiques qui permirent de résister avec efficacité au régime colonial ».
La France mit le Cheikh auprès de Cheikh Sidya Baba, qu’elle prit à tort pour le maître de Cheikh Ahmadou Bamba. Souet-el-Mâ fut la première étape de l’exil en Mauritanie, mais c’est à Sarsaara qu’il durera.
Là, il fut rejoint par un grand nombre de visiteurs et de fidèles venus s’instruire auprès de lui, notamment les « Bani Dayman », une tribu d’érudits qui finirent par lui faire allégeance.
À propos de son séjour à Sarsaara, Ahmadou Bamba écrivit dans Irwahou Nadim : « Mes louanges et remerciements sont consacrés à Celui dont j’étais devenu parfaitement satisfait à Sarsaara, tout satisfait de lui, je le loue depuis qu’il m’a amené des partisans issus des “Bani Daymâni”. J’étais tout dévoué à Dieu lors de mon séjour chez ces généreux que j’ai quittés après avoir reçu de nombreux visiteurs. Ceux qui allèrent à Sarsàra dans l’intention de me rendre visite sont définitivement déchargés de leurs péchés ».
Par ailleurs, croyant que les Maures sont plus instruits que les Sénégalais et qu’ils n’accepteraient jamais d’être devancés par un Noir, l’oppresseur colonial se flattait déjà d’avoir trouvé le moyen de freiner l’influence de leur prisonnier.
À la grande déception des colons, Cheikh Ahmadou Bamba reçut les honneurs des campements de Khommak, Sarsaara, Tountoumoukhzin, Jaraary, Timerkaay, par où il passa ; et des membres de toutes les couches sociales lui prêtèrent allégeance.
En 1907, celui qui rentra à nouveau au Sénégal avec son propre wird Ma’khoûz avait également dans ses valises un recueil de poésie composé par cinquante-trois Mauritaniens. Cheikh Sidya Baba, ouvrant les éloges, proclama : « Le Cheikh Ahmad est un bienfait – Que leur Maître a accordé à toutes les créatures ».
Ainsi, le second exil de Cheikh Ahmadou Bamba, voulu comme une manœuvre d’isolement, se transforma en triomphe silencieux. De Souet-el-Mâ à Sarsaara, chaque étape fut une occasion d’élargir son cercle d’adeptes et de consolider l’assise spirituelle du mouridisme. Loin de l’affaiblir, la résidence forcée au cœur du Trarza renforça son prestige et étendit son influence bien au-delà des frontières du Sénégal.
Samboudian KAMARA