Les maisons coloniales aux balcons en bois et balustrades en fer forgé tiennent encore debout, témoins fiers d’une richesse historique à Ndar. Mais dans cette ville tricentenaire, une autre pièce du décor intrigue : celle de 250 FCFA. Dans la cité de Maam Coumba Baan, elle ne vaut pas un sou aux yeux des habitants.
La rumeur disait donc vrai. À Saint-Louis, la pièce de 250 FCFA est loin d’avoir la cote. Ici, le visiteur pourrait être tenté de la jeter du haut du pont de la « Venise africaine », en formulant le vœu de ne plus jamais l’avoir entre les doigts. Dans le quartier de Balacos, la pièce n’a aucune valeur aux yeux des marchands.
Daouda Fall tient une échoppe dans ce quartier populaire de Ndar. Dans sa boutique, les produits sont soigneusement rangés dans des compartiments. Il s’occupe des clients avec une joie presque contagieuse, en ce début d’après-midi. Mais il suffit d’évoquer la pièce de 250 FCFA pour que son entrain s’estompe.
« Nous ne prenons pas cette pièce », tranche-t-il. Inutile de jouer à pile ou face : la réponse est sans équivoque. « Je demande toujours au client s’il n’a pas autre chose », ajoute-t-il, d’un ton las. Quant à la raison de ce refus, elle est simple : « C’est difficile de s’en débarrasser, personne ne la veut », confie-t-il en haussant les épaules. Daouda Fall est loin d’être un cas isolé.
Bada Diawara, marchand ambulant, fuit cette pièce comme la peste. Pour lui, elle est tout simplement sans valeur. « Je préfère perdre un client plutôt que de prendre cette monnaie », lance-t-il en ricanant. Mais son rire cache une aversion bien réelle. À l’en croire, cette fameuse pièce pourrait lui causer bien des ennuis. « Elle est difficile à écouler. Même les pharmacies et les grandes surfaces la refusent », explique le vendeur d’habits, rencontré près du stade Me Babacar Sèye. Le marchand a une justification bien trouvée à ce refus. « Elle est jugée trop lisse et trop glissante », dit-il.
Pièce victime de sa face
Pile ou face ! La face, elle n’attire point les Saint-Louisiens. La pièce de 250FCFA est victime d’un « délit de faciès » qui lui colle à la peau. Sa forme, sa texture ne charment point. Et dans ta face ! Tout comme Bada, Maguette Diagne explique cette aversion pour cette pièce du fait de sa conception. Assis devant chez lui avec un de ses amis autour d’un bon débat autour du thé comme digestif, le quinquagénaire juge le sujet comme une banalité. « C’est répandu à Saint-Louis et ce n’est pas près de changer », dit-il d’un ton assuré. Cet habitant de Balacos explique cette situation par l’esthétique de la pièce. « C’est la théorie la plus célèbre. J’en avais une mais j’ai décidé de m’en débarrasser au plus vite », dit-il avec un air dédaigneux.
Khady Thiam ne veut également pas avoir affaire à cette pièce. La trentenaire, venue faire ses emplettes au marché Balacos juge cette monnaie peu utile. « Est-ce qu’elle existe toujours d’ailleurs ? », se demande-t-elle sous le ton de la plaisanterie. A l’en croire, cela est dû à la pièce elle-même qui ne charme pas. Et d’ajouter : « Les 200FCfa commence aussi à subir cette aversion ». Pour éviter tout tracas, la ménagère préfère se promener avec des billets, sésame d’échanges commerciales sans tracas.
Une valeur faible par rapport à son utilisation pratique
La pièce de 250 FCFA est souvent considérée comme ayant une valeur faible par rapport à son utilisation pratique. C’est ce qu’explique Moustapha Baldé, docteur en économie de l’université Gaston Berger. « Les gens peuvent la juger peu utile, surtout dans un contexte où les transactions sont de plus en plus numériques ou effectuées avec des billets », renseigne l’enseignant chercheur. Dans certaines zones, poursuit-il, les commerçants peuvent être réticents à l’accepter, ce qui crée une perception selon laquelle elle est moins valable. « C’est un phénomène qui peut entraîner un cercle vicieux où les gens refusent la pièce car ils savent qu’ils ne pourront pas l’utiliser chez les commerçants », informe-t-il.
« Le rejet de la pièce de 250 FCFA par les Saint-Louisiens peut avoir plusieurs impacts économiques, sociaux et culturels qui méritent d’être examinés », a fait savoir M. Baldé. Selon lui, cela peut avoir pour conséquence la diminution de la liquidité dans l’économie locale. « Cela peut également entraver la réalisation de transactions et ralentir les échanges commerciaux », renseigne-t-il. En dépit de ces impacts, l’enseignant souligne que les Saint-Louisiens, comme d’autres citoyens, ont le droit de refuser une monnaie, mais cela doit être compris dans le contexte plus large des obligations légales et économiques. « Les lois en vigueur obligent en théorie à accepter la monnaie ayant cours légal, mais les décisions individuelles peuvent être influencées par des perceptions économiques, culturelles et sociales. Des efforts de sensibilisation et des initiatives pour renforcer la confiance dans l’usage de cette pièce peuvent être nécessaires pour améliorer son acceptation », estime-t-il.
Arame NDIAYE