Le 24 mars dernier marquait la date anniversaire du plus grave accident industriel au Sénégal : l’explosion d’une citerne d’ammoniac à l’usine SONACOS de Bel Air survenu le 24 mars 1992. Comme les années passées, les sénégalais ont vécu l’événement dans l’indifférence quasi-générale à l’image du naufrage du bateau « Le joola » dans la nuit du 26 au 27 septembre 2002 avec ses « 1 863 morts et disparus » . Rares sont les médias qui ont exercé leur devoir de mémoire en posant le débat sur notre rapport au risque caractérisé par l’ambiguïté voire l’ambivalence. Cette absence de mémorisk (mémoire du risque) découle du refus ou de la méconnaissance de tant de menaces graves et récurrentes auxquelles le pays est exposé. Dans la capitale, la prolifération de bâtiments menaçant ruine occupés malgré les arrêtés de péril pris par les maires ne semble choquer personne. A Saint-Louis, des pêcheurs s’insurgent contre l’interdiction de l’accès au site d’exploitation du gaz de la « Grand Tortue Ahmeyim » (GTA) qui serait très riche en poissons ; au lieu d’apprécier l’interdiction comme une mesure de prévention pour leur protection.
Alors que même autorisés, un minimum de culture du risque aurait dû les amener à refuser sans aucune contrainte de s’aventurer près du site pour éviter de s’exposer à un accident technologique (incendie ou fuite de produits chimiques). Les grosses quantités de faux médicaments saisies régulièrement par les forces de défense de sécurité traduisent certes des performances mais davantage la banalisation d’un risque majeur sanitaire aux conséquences socio-économiques incalculables. Le même constat vaut pour les centaines de jeunes qui, au péril de leur vie, tentent quotidiennement l’aventure de l’immigration clandestine. En 2023, de jeunes élèves d’un lycée réputé de la capitale sont allés en grève pendant de longues semaines pour s’opposer à l’implantation d’une station-service à proximité de l’établissement. « Zone ATEX » (atmosphère explosive), la station-service est exploitée aujourd’hui en face du lycée avec sa capacité de stockage d’au moins 10 m3 (10 000 litres) d’essence et 20 m3 (20 000 litres) de gasoil. Dakar compterait près de deux cents (200) installations classées du même type. La capitale abrite 12 544 établissements scolaires pour une population évaluée à 292 520 élèves (DICRIM de la ville de Dakar 2022).
Aucun de ces établissements n’est doté de plan particulier de mise en sureté (PPMS) ou de plan interne d’urgence (PIU) pour pouvoir faire face un à risque majeur (effondre de bâtiment, incendie, nuage toxique, crise sanitaire, etc.). Dans plusieurs quartiers de la capitale, les dépôts et points de vente de gaz butane cohabitent avec des menuiseries mécaniques, marchés flottants où l’utilisation du feu et de produits inflammables n’est pas contrôlée. Que dire du mode de transport de ce gaz par des chauffeurs ou des charretiers non préparés au respect des normes de sécurité et de sureté ? L’incendie survenu le samedi 13 septembre 2925 à Grand yoff rappelle celui enregistré l’année dernière dans un domicile de la commune de SICAP-derklé. A la différence qu’un effet domino aurait entrainé un grand nombre de victimes à Grand yoff au regard du surpeuplement de la commune et de la mauvaise occupation de l’espace. Pourtant, ce risque majeur est bien identifié par le DICIM de la Ville de Dakar avec comme préconisation l’élaboration d’un plan communal de sauvegarde (PCF) adossé à un système d’alerte précoce et des actions d’éducation au risque.
Cette mesure d’atténuation cible les dix (19) communes toutes exposées au risque majeur incendie inhérent à la prolifération de dépôts et points de vente de vente de gaz butane non réglementaires. Le DICRIM a également révélé que dans les quartiers, de jour comme de nuit, des véhicules sont stationnés de façon anarchique empêchant aux propriétaires de pouvoir les déplacer ou aux sapeurs-pompiers d’intervenir en cas de situations d’urgence. Outre l’occupation des emprises de lignes haute tension de SENELEC, une partie du trajet du BRT « passerait sur des pipelines de la Société africaine de raffinage (SAR) » et à proximité d’importants réservoirs d’hydrocarbure et de gaz au niveau des communes de Hann Bel air, Mbao et Thiaroye. Si la présence de gendarmes dans le train (TER) rassure relativement à la sécurité, l’absence de sapeurs-pompiers n‘est pas sans poser la question de la prise en compte du risque majeur incendie et panique.
Dans un autre registre, les violences, avant ou après les combats de lutte, préoccupent de plus en plus l’opinion. Mais que peuvent bien représenter ces violences comparées à une catastrophe résultant d’un incendie provoqué par des feux d’artifice allumés dans une arène hermétiquement fermée et remplie de spectateurs ? Comment se feraient l’évacuation et l’organisation des secours sans causer de graves dommages humains et matériels ?
Cette menace est-elle prise en comptes pour éviter un risque majeur dont la probabilité de survenue dans l’arène nationale reste élevée ? L’organisation fréquente de spectacles avec des milliers de personnes sur l’esplanade du grand théâtre, au CICES ou en plein air à tous les coins de rue est -elle encadrée pour éviter au pays un drame qui serait causé par un mouvement de foule ? Ce risque majeur interpelle autant les organisateurs, les autorités qui délivrent les autorisations que les spectateurs. Ce jour-là : « Dieu ne saurait être responsable » ! Et surtout nul ne devrait brandir l’argument d’un risque imprévisible. Les journalistes présents au stade des martyrs de Kinshasa lors du match Sénégal- RDC du 14 septembre 2025 n’ont pas besoin d’être convaincus sur la nécessité de mieux se préparer pour faire face aux risques majeurs (bousculade effondrement de tribunes, violences de supporters et intervention musclée des forces de l’ordre) si caractéristiques aujourd’hui d’événements sportifs d’envergure.
Les conditions de transport de milliers de tonnes de matières dangereuse (TMD) le long du corridor Dakar-Bamako n’est pas sans poser la faible prise de conscience du risque majeur technologique inhérent au TMD, compte tenu surtout du nombre important de localités traversées quotidiennement par ces camions citernes lourdement chargés de produits inflammables. Si certains camionneurs se garent devant des restaurants dans les villes traversées sans se préoccuper du feu allumé à proximité, d’autres choisissent de faire du thé en rase campagne sous la citerne remplie. Les mesures préventives sont-elles toujours prises par les autorités administratives et locales pour prévenir les risques majeurs, notamment d’incendie ? Les communautés sont-elles sensibilisées pour ne pas s’exposer auxdits risques en cherchant à récupérer le carburant déversé. Cette exposition volontaire par ignorance au risque majeur technologique est déjà arrivée dans plusieurs pays africains (Nigéria, Bénin, Tanzanie et Kenya, et République démocratique du Congo, entre autres.)
L’exploitation de la Liaison Dakar-Gorée (LMDG) est une source de risque majeur (accident maritime). Les deux chaloupes ont des capacités cumulées de 450 passagers : Coumba Castel (150 voyageurs) et Beer (400 passagers). Elles font entre 11 rotations (vendredi) et 12 rotations (Samedi, dimanche et jours fériés), malgré leur vieil état peu rassurant. Opérationnels depuis 1987 et 1999, les navires assurent en même temps que les voyageurs le transport de bombonnes de gaz et des futs d’hydrocarbure. Durant la traversée, aucun message n’est délivré pour sensibiliser sur la présence à bord de produits inflammables et le risque d’incendie. La liaison Dakar-Ziguinchor ne délivre pas non plus de message d’information sur la sécurité à bord ni au départ ni pendant le voyage. L’explosion (blow-out) enregistrée au cours du mois de décembre 2020 sur un puits gazier de la compagnie Fortesa à Ngadiaga avait été maitrisée avec difficulté.
Ce qui est le signe évident d’une mauvaise préparation à la prévention et la gestion des risques majeurs. En septembre 2022, la presse avait signalé la présence dans la commune de Ngoundiane de « 66 camions contenant 1980 tonnes de nitrate d’ammonium », une quantité nettement supérieure aux 200 tonnes du même produit qui avait détruit le port de Beyrouth au Liban le 4 d’aout 2020. La fuite de gaz survenue au courant du mois de février 2025 sur la plateforme de GTA, est une alerte qui mérite de retenir l’attention. Concernant le transport de centaines de tonnes d’hydrocarbure et de gaz butane sur les routes, tout comme l’exploitation de milliers de stations-services et dépôts de gaz butane à travers le pays, notamment dans les centres urbains, ils constituent une menace permanente qui interpelle au même titre les communautés, les acteurs du secteur privé que les pouvoirs publics.
Ce n’est pas un hasard si les rapports d’ITE-Sénégal mentionnent souvent la non réhabilitation des sites d’exploitation. Il est fréquent que les sapeurs-pompiers soient confrontés en cours d’intervention à un manque d’eau, faute de bouche d’incendie. Il est illusoire dans un tel contexte d’espérer des populations de réclamer leur droit à l’information préventive pour juger de l’acceptabilité ou non des risques majeurs auxquels elles sont exposées. La prévention des catastrophes ne saurait s’accommoder de l’ignorance ou du refus du risque, autrement dit de l’absence de la culture du risque. Est encore présente dans les esprits l’activité de récupération de plomb de batterie dans le quartier ngagne diaw de Tiaroye sur mer avec ses graves conséquences sanitaires. L’absence de culture du risque n’est pas propre au « petit peuple ».
Elle est également présente chez les spécialistes et les décideurs. Le souci de gagner sur les coûts et l’espace pousse des ingénieurs à réaliser des bâtiments sans prévoir un système d’aération. Cela expose les occupants au risque radon identifié aujourd’hui comme la première cause dans le monde du cancer du poumon chez les non-fumeurs. La ventilation et la climatisation ne peuvent pas remplacer l’aération naturelle propice au renouvellement indispensable de l’air. Les immeubles construits avec des balcons dans le quartier Hann Mariste donnant sur les lignes haute tension de la SENELEC ne sont-ils pas faits par des ingénieurs ? La culture du risque ne se confond pas avec une spécialisation dans des domaines déterminés. Elle ne s’accommode pas d’une approche parcellaire mais holistique et prospective permettant d’anticiper sur des événements qui pourraient survenir à tout moment.
Elle renvoie plus à la capacité d’appréhender pour anticiper sur les risques en créant les conditions de possibilité de la résilience pour une communauté y compris le relèvement lorsque la crise ne peut être évitée. Elle se veut une approche globale centrée sur les connaissances, les attitudes et les comportements dans une dynamique de prévention de toutes menaces. D’où l’importance accordée à cette dimension éducative qui doit cibler l’ensemble des composantes d’une société. Il n’ya pas d’âge ou de connaissances suffisantes pour être dispensé de l’école des risques majeurs surtout dans un contexte de vulnérabilité croissant et de progrès technologiques rapides mal contrôlés.
Des évidences méconnues des populations en matière de prévention des risques
Aucun ingénieur n’ignore que l’issue de secours n’a pas la même fonction qu’une sortie. La maximisation de l’occupation de l’espace ne saurait justifier le recours à la même signalétique pour symboliser l’une et l’autre avec le risque de mettre en péril des vies au moment de l’évacuation d’un bâtiment en cas de situation d’urgence. Cette évidence doit être connue de tous. Point n’est besoin d’être ingénieur pour savoir que plusieurs gares du Train Express régional (TER) ne répondent pas aux normes de sécurité et de sûreté. Celle de Rufisque (hauteur et petitesse de l’infrastructure doublées de l’absence de système d’alerte et d’issues de secours) est plus qu’illustrative. Il suffirait d’un simple mouvement de foule pour que se produise une catastrophe. Dans la capitale, des bâtiments sont construits sur les pipelines de la société africaine de raffinage (SAR) ou le réseau d’assainissement de l’Office national d’assainissement du Sénégal (ONAS). Un réseau vétuste et sous dimensionné qui fait l’objet di diverses agressions pouvant causer au moins 4 types de risques majeurs : la survenue d’inondations avec le débordement des eaux usées et pluviales, l’affaissement de bâtiments, la fuite de gaz toxique (gaz H 2S) et le développement d’épidémies. Le vieux collecteur Hann-Fann est l’exemple achevé de cohabitation acceptée sans mesures d’atténuation avec un risque majeur technologique.
Il « draine les 60% des effluents de la ville et enregistre de fréquents affaissements sous les effets de l’hydrogène sulfuré, qui ont fortement diminué sa résistance physique occasionnant par endroits des ruptures. Ces affaissements de plus en plus rapprochés peuvent avoir de lourdes conséquences en cas de casse sous un bâtiment surtout avec la présence dans cette canalisation du gaz H2S qui, à une certaine concentration, devient mortel après seulement une minute d’inhalation. L’étendue du collecteur couvre une superficie urbanisée de 2 200 ha, abritant environ 300 000 habitants. L’effet combiné de la vétusté et le poids des habitations pourraient précipiter la détérioration de l’ouvrage avec le risque majeur « d’effondrement des 40 concessions qui sont sur le collecteur et celles environnantes d’un rayon de 10 à 20 mètres provoquerait plus de 1000 victimes dans l’immédiat. ». Le collecteur traverse huit (8) communes : HLM, Fann, Point E-Amitié, Grand Yoff, Grand Dakar, Biscuiterie, Dieuppeul Derklé, Hann Bel air, Sacré cœur Mermoz et SICAP Liberté.
Dans la commune de Colobane-Fass-Guele tapée la transformation des canaux à ciel ouvert en cantine constitue un signe évident de méconnaissance du risque majeur sanitaire auquel sont exposés plus qu’ailleurs les occupants et les clients. Dans certaines régions, les abris provisoires accueillent encore des élèves et des enseignants qui pourraient être affectés par des risques majeurs naturels. Présentés à leur début comme la solution innovante aux inondations, les bassins de rétention et la brèche de Saint louis se révèlent être des accélérateurs de catastrophes naturelles. La transformation dans l’urgence du lac rose et de la forée de Mbao en collecteurs ou déversoirs improvisés d’eaux usées a eu de graves conséquences écologiques. A propos du Lac rose, il a fallu engager des travaux de réhabilitation qu’une bonne stratégie de prévention aurait permis d’éviter.
Dans le plateau dakarois, les immeubles de grande hauteur (IGH) construits en sous-sol menacent des réseaux d’assainissement, des installations souterraines d’électricité et de téléphonie ainsi que les vieilles bâtisses attenantes souvent faites de matériaux peu résistants. Suite aux récents effondrements de bâtiments, les spécialistes ont dû être choqués de constater l’utilisation de pelles mécaniques ou de grues pour tenter de sortir des décombres des victimes. Le manque d’équipements adapté ne saurait expliquer cette approche de gestion de crise. Loin d’être le fait du hasard, cette banalisation du risque s’origine dans un déterminisme socio culturel qui est source de refus voire d’acception de risques non mitigés. Tout le contraire de l’acceptation par les populations résidant ailleurs à côté de centrales nucléaires, assurées de l’existence d’un système d’alerte et la disponibilité de salles de confinement, et de médicaments d’urgence en cas d’accident ou de fuite de substances radioactives. Suite au débordement récent de la mer à Thiaroye emportant des maisons, tout le monde semblait pris au dépourvu alors que les experts alertent depuis des années sur l’avancée de la mer et l’urgence d’agir.
Thiaroye est la suite logique d’un processus naturel inhérent au changement climatique qui a déjà affecté de nombreuses localités du pays. Si rien n’est fait, le phénomène va s’accélérer pour s’accentuer. Dans ce désert de culture du risque, la commune de Gorée aurait pu être présentée comme modèle. Elle a le mérite d’avoir identifié les situations d’urgence qui pourraient survenir dans l’ile. Elle est allée jusqu’à élaborer des mesures préventives. Mais ces mesures ne sont pas traduites en plans de réponse. Elles ne sont pas non plus connues des populations, faute de formation et de sensibilisation. Ce qui pose encore la problématique de la culture du risque majeur.
Le refus du risque majeur comme défi socio-culturel
Un rapport ambivalent qui commande une nécessaire transformation individuelle et collective des mentalités par la déconstruction de ce fatalisme. Il serait dangereux de continuer à penser que les catastrophes n’arrivent qu’aux autres ou qu’elles relèveraient de forces surnaturelles contre lesquelles l’homme serait impuissant. Le temps est venu de s’approprier le principe universellement admis que « le risque zéro n’existe pas ». Autrement dit, la gestion des risques ne s’accommode pas d’improvisation, elle requiert des compétences éprouvées à travers des exercices indispensables de simulation et une pratique systématique de retour d’expérience (RETEX).
La résilience ne se décrète pas, elle se construit dans la durée avec l’ensemble des parties prenantes notamment les communautés qui doivent être plus perçues comme des acteurs de premier plan que de simples bénéficiaires à secourir en cas de survenue d’une catastrophe. Ce qui donne tout son sens au glissement sémantique de protection civile à sécurité civile. Ainsi, tout citoyen gagnerait à intégrer les risques dans ses actes quotidiens : acquérir un terrain, construire sa maison, louer un appartement, prendre une chambre d’hôtel, acheter ou utiliser du gaz butane, choisir un vol, etc. De la même manière, le développement du transport urbain de masse est indissociable de la disponibilité d’un plan rouge et de la généralisation du plan blanc dans les structures hospitalières. La promotion de la médecine de catastrophe avec une composante « NRBC » (Nucléaire, Radiologique, Biologique et Chimique) est un véritable défi sanitaire à Dakar et dans les zones frontalières. Le plan ORSEC (plan organisation des secours) est sur toute les lèvres mais qu’en est-il des nombreux particuliers imposés par la réglementation et non respectés ?
Les conditions de transport de milliers de tonnes de matières dangereuses (TMD) le long du corridor Dakar-Bamako n’est pas sans poser la faible prise de conscience du risque majeur technologique, compte tenu du nombre important de localités traversées quotidiennement par ces camions citernes lourdement chargés de produits inflammables. Les mesures préventives sont-elles toujours prises par les autorités administratives et locales pour prévenir les risques majeurs? Les communautés sont-elles sensibilisées pour ne pas s’exposer ) ces risques comme cela est déjà arrivé dans plusieurs pays africains (Nigéria, Bénin, Tanzanie et Kenya, et République démocratique du Congo, entre autres.) La question mérite d’autant plus d’être posée que les camionneurs prennent parfois la liberté de garer leur cargaison à coté de restaurants.
Là où d’autres avec une insouciance que rien ne saurait expliquer sinon la méconnaissance du risque, choisissent de faire du thé en rase campagne sous la citerne remplie. Dans un quartier de la commune de Mboro, l’utilisation d’un baril défectueux pour la vente informelle d’essence da causé en 2018 un incendie avec six victimes dont des morts. L’interdiction de circulation de véhicules non électriques dans l’espace de l’Union européenne interviendra en 2035. Le Sénégal est-il préparé pour ne faire pas partie des pays potentiels poubelles ? Il est encore temps de mettre en place, dès à présent, une stratégie pour éviter que ces milliers de véhicules polluants ne retrouvent sur le continent africain. L’interdiction par la Loi n° 2015-09 du 4 mai 2015, n’empêche pas que le sachet plastique continue à être utilisé au grand jour sans aucune forme de sanction. L’absence de culture du risque est perceptible également à travers la persistance de certaines fausses croyances.
Des évidences en matière de risques majeurs encore refusées ou ignorées
La consigne qui interdit l’utilisation de l’ascenseur à la survenue d’un incendie est passée de mode. Il existe aujourd’hui des ascenseurs intelligents à ouverture automatique conçus pour éviter tous les niveaux en proie au feu. Le bon sens n’est pas d’arracher l’affiche placardée à titre d’information mais de doter tous les immeubles de grande hauteur (IGH) d’ascenseurs à ouverture automatique. Rien peut ne justifier la construction de nos jours a au Sénégal d’ERP abritant des locaux à usage de sommeil (hôpitaux ou réceptifs hôteliers) dépourvus de portes coupe-feu. Il est plus incompréhensible, si ces portes existent mais restent ouvertes en permanence contrairement aux consignes de sécurité pour lutter contre la propagation d’un incendie.
Par ailleurs, comment comprendre la réalisation par des ingénieurs d’ouvrages qui, faute de système d’évacuation des eaux fluviales, expliqueraient en partie les inondations enregistrées à Dakar au cours de ces dernières années ? Le souci de gagner de l’espace pousse ces mêmes ingénieurs dont le savoir ne peut être remis en cause, à réaliser des bâtiments sans système d’aération ? De sorte que, les occupants s’exposent au risque radon qui est la première cause du cancer du poumon dans le monde chez les non-fumeurs. Nombreuses sont les évidences méconnues en matière de prévention des risques méconnues. Aucun ingénieur n’ignore que l’’issue de secours n’a pas la fonction qu’une sortie. La maximisation de l’occupation de l’espace ne saurait justifier le recours à la même signalétique pour matérialiser l’une et l’autre avec le risque de mettre en péril des vies au moment de l’évacuation d’un bâtiment en cas de situation d’urgence. Comme le nom l’indique, l’issue de secours facilite l’évacuation lorsque la sortie est bloquée ou saturée. Cette évidence doit être connue de de tous. Et, que dire de l’installation d’extincteurs à non déclenchement autonomique dans des endroits sans la présence de personnes proposées et formées à l’utilisation ? Les ménages et ERP se dotent de plus en d’extincteurs, sans se toujours préoccuper de l’entretien ou du mode d’utilisation ? Ce qui donne une fausse impression de protection.
Certes, la couverture anti-feu n’est pas un extincteur, mais peut être efficace contre un départ de feu à domicile. La résilience à l’échelle famille promeut aujourd’hui un plan personnel de mise en en sureté (PPMS), différent du « plan particulier de mise en sureté » conçu surtout pour certains ERP notamment les établissements scolaires. L’autorité administrative (gouverneur, préfet et sous-préfet) est-elle bien préparée pour conduire sa mission de prévention et de gestion des risques majeurs dans les territoires ? Que peut bien faire un maire face à une catastrophe s’il ne dispose pas d’un plan communal de sauvegarde (PCS) testé et bien éprouvé ? Autrement dit, les décideurs sont plus qu’interpellés par la problématique de la culture du risque majeur. Le Sénégal est resté de 2009 à 2025 sans disposer d’un plan de contingence national. Cette anomalie e vient d’être corrigée avec l’élaboration du plan 2025. Mais faudrait-il encore que le nouveau plan soit opérationnalisé pour jouer son rôle irremplaçable d’outil de prévention et de gestion des risques majeurs. Lors de l’hivernage 2024, le Ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement avait alerté plusieurs semaines durant sur la montée des eaux du fleuve Sénégal ; sauf qu’un plan de réponse n’avait pas été élaboré en amont pour l’organisation des secours à la survenue des inondations qui étaient inévitables. Une défaillance qu’aurait permis de mitiger un plan de contingence dans la logique de ce que l’auteur Anne-Claude Crémieux appelle « gouverner l’imprévisible. »
Certes, l’Etat avait réussi à assurer le relèvement mais le décalage était réel entre l’alerte et la réponse. C’est la même approche qui semble être adoptée en 2025, sans doute à cause de l’absence de retour d’expérience (RETEX) pour appréhender les limites de la réponse en 2024 pour s’inscrire dans une logique anticipatoire. Le décalage entre l’alerte et la réponse constitue un défi communautaire identifié par le système d’alerte précoce de la CEDEAO comme un enjeu de gouvernance des risques. Ce qui pose encore la problématique de la culture du risque car même alertés les décideurs ont tendance à ne pas réagir ou le faire sans la diligence et l’engagement politique requis. La relance des activités des usines de la SONACOS de Kaolack et de Ziguinchor ne pouvait se faire sans la disponibilité sur les sites de l’ammoniac nécessaire au traitement de l’aflatoxine. Le produit étant importé, il est indispensable de veiller sur le respect des conditions de transport, de stockage et de manipulation pour prévenir un accident industriel similaire à celui du 24 mars 1992 à l’usine de Bel Air. Rares sont les ERP dotés de points de rassemblement pourtant plus qu’importants dans la prévention des risques majeurs. Bien qu’étant une obligation réglementaire, les installations classées qui ne disposent pas de plan d’opération interne (POI) font légion.
Faute de culture du risque, la salle de confinement n’existe pas dans tous les sites vulnérables, si elle n’est pas confondue avec l’infirmerie dont la vocation est tout autre. Essentielle dans la prévention des risques, l’information préventive fait cruellement défaut. Certes, un effort est fait en matière de météorologie, mais il est important d’avoir présent à l’esprit que la publication d’un « bulletin météo » ne signifie pas forcément la disponibilité et l’accessibilité de l’information préventive a aux communautés pour créer chez elles le reflex d’anticipation sur des événements climatiques exceptionnels. Initiée pendant quelques années la mesure de la qualité de l’air à Dakar n’est plus systématique. Une situation qui prive les populations de la capitale et les décideurs d’une information préventive en la matière Est-il besoin de le rappeler que selon la direction du vent, l’air dans la capitale pourrait être gravement pollué et affecter la santé des populations à cause d’industries localisées hors de Dakar. Dans un contexte de changement climatique et d’urbanisation rapide mal contrôlée, la récurrence des inondations préoccupe moins que l’absence de plans de réponse pour assurer le relèvement rapide qui constitue un élément important de sécurité humaine. Tout se passe comme si chaque année, le pays entier est toujours pris au dépourvu au point de ne pouvoir riposter dans l’urgence. Cela n’est possible que si la prévention est érigée en principe de gouvernance des risques majeurs pour éviter de se retrouver dans une situation permanente de gestion de crise.
C’est là toute la portée de la recommandation du cadre d’action de Sendai de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et de la Stratégie régionale de réduction des risques de catastrophe de l’Union africaine (UA) pour « l’intégration des risques dans la gouvernance ». Face leur gravité, l’attention est protée sur le risque majeur inondation mais il ne faut jamais pas perdre de vue que dans un contexte de vulnérabilité « un risque majeur en cache toujours d’autres. Avec la fièvre de la Valée du Rift, la fièvre typhoïde et la variole du singe (MPOX), le risque majeur sanitaire s’annonce déjà. Et la manière dont s’organise la réponse laisse penser que le pays a dormi sur ses lauriers depuis la « fin » de la pandémie de la covid-19. Il n’a pas capitalisé l’expérience tirée de la gestion de cette crise. Par conséquent, il faut se préparer, au pire avec les conséquences manifestes des inondations et à venir du risque majeur sanitaire quasi inévitables.
Loin d’être exhaustif, ce tableau noir n’en est pas moins révélateur de l’absence de culture individuelle et collective du risque. D’où l’urgence pour tous d’aller à l’école des risques majeurs pour créer les conditions d’une communauté et d’un pays résilients. Il est impératif comme mentionné plus haut de repenser notre rapport au risque. Car pour atteindre le développement durable, le Sénégal doit commencer par être résilient, c’est-à-dire non exposé à une si grande vulnérabilité. Par conséquent, le temps est venu pour chacun et tous de s’approprier le principe de précaution universellement admis que « le risque zéro n’existe pas ». C’est le prix à payer pour atténuer les multiples menaces naturelles et technologiques auxquelles le pays est exposé. Une banalisation du risque qui pose la problématique de l’absence de culture du risque dans la société sénégalaise. Si la culture du risque est promue chez les citoyens et au niveau des décideurs, le pays connaitrait moins de catastrophes (accidents dramatiques de la route, inondations récurrentes, effondrements fréquents de bâtiments et feux de marchés, entre autres).
L’idée n’est pas d’envoyer tout le monde à l’école des risques majeurs mais il est impératif pour tous de développer une culture du risque. C’est un passage obligé pour réussir l’indispensable adaptation au changement climatique et faire du Sénégal un pays résilient. Il est plutôt question de repenser les programmes scolaires et d’éducation populaire pour y intégrer la promotion de la culture du risque. Comment ne pas évoquer ici l’histoire de la jeune anglaise Tilly Smith qui, en décembre 2004, avait sauvé 100 personnes du tsunami. Alors qu’elle passait les vacances avec sa famille en Thaïlande, elle s’est rendue compte que l’eau avait régressé d’une manière spectaculaire « à cause du séisme qui s’est produit dans l’océan Indien avec une magnitude de 9,3 […], elle « s’est tout de suite souvenue de ce qu’elle avait appris en classe de géographie seulement deux semaines plus tôt.
Elle a expliqué à ses parents qu’un tsunami est sur le point de se produire, ces derniers sont vite allés avertir le personnel de l’hôtel. Ce qui a permis l’évacuation à temps de plus de 100 personnes. Quelques minutes plus tard, l’hôtel où résidaient la fille et sa famille a été frappé par le tsunami le plus violent et le plus meurtrier de l’histoire tuant plus de 220 000 personnes. » Si la culture du risque était développée chez les jeunes sénégalais, ils auraient pu mieux se protéger de la pandémie de la covid-19, tout en contribuant à la sensibilisation des communautés notamment dans les zones rurales. En définitive, si la résilience précède le développement, elle est indissociable de la culture du risque qui ne saurait être décrétée mais se construire par et dans l’éducation. C’est pourquoi, j’ai présent à l’esprit cette autre tribune signée il y’a quelques années intitulée face à la vulnérabilité du pays « Tous coupables, tous menacés ». Aujourd’hui, il est encore temps pour d’intégrer les risques dans la gouvernance » comme préconisé par le cadre d’action de Sendai de l’ONU et la Stratégie régionale de réduction des risques de catastrophe de l’Union Africaine. Mais si rien n’est fait demain, il sera trop tard. Et encore une fois : « Dieu ne saurait être responsable » des nombreux risques majeurs auxquels le Sénégal sera de plus en plus exposé.
Ousmane SECK, Formateur risques majeurs et résilience, membre de l’institut français des Formateurs risques majeurs et protection de l’environnement (IFFORME) et du Réseau risque majeur Education (RME), Président de l’Association Urgence et Développement (AUD) poseck@yahoo.fr