Beaucoup de mystères se cachent encore dans les confins de la tradition. À Palmarin Ngounoumane (département de Fatick), une réalité des plus sibyllines fait parler d’elle depuis toujours. Le « vent de Jouala », l’appelle-t-on. Comme son nom l’indique, il s’agit de maladies mystérieuses qui tirent leurs origines du vent, de l’air, bref de la nature et dont la guérison n’est possible qu’avec la médecine des anciens. Ce, à travers les plantes mais aussi grâce aux incantations.
En pays sérère, le mysticisme est perçu comme une science cachée. Mais, pour autant, il reste à portée de main. C’est-à-dire que les connaissances mystiques sont, pour ainsi dire, des voisins immédiats de l’homme. Elles se dérobent quelque part. Dans les racines, les écorces, le feuillage, sous la terre, bref, dans les profondeurs de la nature. Ainsi, pour s’aventurer à percer cet univers occulte, il faudra établir une relation étroite avec le monde suprasensible. Autrement dit, avoir la capacité de se surpasser des réalités matérielles. Donc, interroger la face jugée inaccessible de la nature. Ceci dit, il est question ici de déceler les secrets masqués par la nature. Pour y arriver, un périple dans les confins de la tradition s’impose. Ce voyage sibyllin mène à la rencontre de réalités plus ou moins étranges, qui ne sourient qu’aux initiés.
C’est ainsi que dans les parages de Sangomar, se tient un village dont certaines pratiques traditionnelles semblent sortir de l’ordinaire. Palmarin ! Ou encore Jouala, selon l’appellation originelle sérère. Ce terme est un nom commun à plusieurs villages. Ngounoumane, Ngallou, Diakhanor, Nguéth… Ainsi, l’on dira Palmarin Ngallou, Palmarin Ngounoumane, etc.
Situé dans les îles du Saloum (département de Foundiougne), Palmarin a longtemps inscrit son nom en lettres d’or dans l’histoire du monde sérère. Ce, grâce à ses réalités mystiques qui ont fini par émerveiller et attirer la curiosité humaine. La position géographique de ce fief de Sérères en dit long sur son caractère mythique. Ici, des pratiques ou réalités vivent encore au rythme d’une tradition énigmatique. À Palmarin, la richesse culturelle s’illustre de différentes manières. Déjà, c’est le lieu par excellence de la lutte traditionnelle. « La lutte est de Palmarin », apprend-on de ce célèbre refrain en pays sérère. Une manière de montrer la place importante de ce sport-roi chez cette communauté traditionnelle.
Cependant, la lutte n’est qu’une infime partie de la vie culturelle de Palmarin. En vérité, la culture de cette population s’étend aussi au niveau de la médecine. Mais pas n’importe laquelle. Ici, il est question d’aspect mystérieux que même un plateau médical moderne suffisamment relevé ne peut percer.
C’est ainsi qu’on parle de « vent de Jouala ». En effet, les connaissances traditionnelles utilisent cette expression pour désigner un ensemble de pathologies aux allures mystérieuses qui tireraient leurs origines du vent. C’est la raison pour laquelle, dans cette partie du monde, on s’interroge souvent, au sujet d’un malade, s’il n’est pas touché par le fameux vent.
Les femmes au cœur du mystère
« Es-tu allé à Jouala (Palmarin) pour voir si ce n’est pas le vent ? », c’est l’une des questions qu’on pose souvent à une personne souffrante. Comme pour dire, à côté de l’hôpital, il y a aussi la forêt qui fait des merveilles en matière de santé. Le recours aux racines, aux écorces, aux feuillages, ainsi qu’à la prière et aux incantations est donc une réalité chez ce peuple sérère conservateur. Ce service bien connu dans cette localité est, pour autant, très apprécié par les contrées environnantes et même les plus éloignées. Pour beaucoup, cette sorte de médecine peut réussir là où l’hôpital a échoué. En d’autres termes, elle se charge des maladies réputées mystérieuses qui dépassent les compétences de l’hôpital.
Chez les femmes de Palmarin, la tradition retrouve encore son sourire. À Ngounoumane, Christine Téning Faye s’est illustrée à travers ses performances mystiques. Malgré son jeune âge, Mme Faye joue le rôle d’une consultante. À l’aide d’invocations et de pratiques insolites, elle trouve pour chaque patient son prochain guérisseur. En effet, c’est toute une organisation qui accompagne cette médecine. Tout d’abord, le patient qui arrive à Ngounoumane doit se rendre chez une consultante mystique qui, après vérification, l’oriente chez celui ou celle chargé-e de le soigner. Ce, en interrogeant des objets secrets spécifiquement utilisés pour l’activité.
Dans son domicile familial, la jeune Téning effectue des va-et-vient entre le bâtiment et l’enceinte de la maison. Toute calme, elle dégage un regard innocent. Sur son visage, se lit une certaine timidité. Souriante et molle à la fois, elle porte déjà avec brio l’héritage que lui a laissé son grand-père. Âgée aujourd’hui d’une trentaine d’années, la native de Palmarin Ngounoumane a commencé les consultations mystiques il y a seulement sept ans. À première vue, elle n’a rien de Christine Téning dont le nom résonne à travers le village. Autrement dit, à chaque fois qu’elle se présente devant un patient, ce dernier n’en croit pas ses yeux parce qu’il y a un grand fossé entre sa renommée et son âge. D’ailleurs, à plusieurs reprises, des patients l’ont sous-estimée à tort dès le premier contact. « A priori, ils n’acceptent jamais que c’est moi Christine Téning. Peut-être mon jeune âge les étonne, surtout comparé à mon travail », fait-elle savoir, un large sourire sur les lèvres.
Son style plus ou moins juvénile est aussi susceptible de créer cette méfiance des patients. Cependant, ce style est loin de définir la personnalité de Mme Faye. Bien qu’elle soit jeune, elle s’accroche toujours aux valeurs ancestrales. Avec 100 FCfa, elle rend service à ses clients. D’abord, elle pose la pièce sur le sol. Puis trempe sa main dans une petite calebasse pleine d’eau qui est censée désigner le prochain guérisseur du malade. D’un geste discret et énigmatique, Téning reçoit l’information qu’elle fait parvenir au patient. « C’est tel ou tel qui détient le pouvoir de soigner ta maladie », lui indique-t-elle. Quant aux guérisseurs, ils sont nombreux dans le village. Chacun ayant sa spécialité.
Non loin de chez Tening se trouve la maison familiale d’une dame plus âgée, Emilie Coumba Faye, affectueusement surnommée Thiakâ. Elle est aussi une consultante très connue à Palmarin Ngounoumane. Au même titre que la jeune Téning, le rôle de Mme Faye est de trouver mystiquement les guérisseurs de ses clients. Mais, à propos de sa science, Thiakâ demande d’abord le prénom et le nom du patient puis les mélange dans l’eau mystique avec un bout de coton et des bâtonnets sacrés. Après avoir interrogé l’eau de la calebasse, les deux bâtonnets se resserrent solidement. Cela montre que le prochain guérisseur du malade est identifié. Il ne reste qu’à l’envoyer chez lui. Cependant, la séparation des bâtonnets dans la calebasse renseigne que le guérisseur n’est pas encore connu. Depuis le début des années 1990, Thiakâ vit sa passion qui lui a été octroyée dans un contexte surnaturel. À l’en croire, avant de recevoir l’héritage des mains de ses parents, un esprit l’avait déjà aperçue pour, en quelque sorte, l’introniser. Loin de s’en enorgueillir, la célèbre dame garde la tête sur ses épaules. Toujours égale à elle-même, Thiakâ charrie beaucoup dans ses discussions. Mais, avec beaucoup d’humanisme.
D’un commerce facile, elle garde une taille moyenne, une peau claire et dégage une personnalité affirmée. « Quand on détient des pouvoirs surhumains, il faut s’éloigner de la colère pour éviter de produire l’irréparable. Mieux, pour rendre service, nous devons être faciles, souriantes, accueillantes pour ne pas compliquer les choses », explique-t-elle avec beaucoup d’humour.
Quand on parle du « vent de Jouala » en tant que maladies diverses, la compréhension peut certainement paraître moins évidente. De quels types de pathologies fait-on allusion ? Sont-elles méconnues de la science ? Autant de questions qui taraudent l’esprit. Toutefois, la réponse est simple. Il s’agit bien entendu, pour la plupart, de maladies connues de la science ; même si parfois certaines relèvent du mystère. Ainsi, on cite des pathologies se manifestant par des maux de tête, d’yeux, des douleurs de la gorge, du ventre… On y soigne aussi les fractures osseuses, la fièvre jaune, la syphilis, la cervicalgie. Mieux, à Palmarin, au-delà même de ces maladies, on enlève aussi chez la personne des réalités occultes comme le sortilège, le maraboutage, etc.
Ces pathologies soignées à Palmarin
Non loin de la route traversant le village, un homme s’assoit sous une petite tente à l’abri du soleil. Arfang Ndour, une personne du troisième âge, fait partie de ce groupe de guérisseurs traditionnels. Au sujet des maladies prises en charge dans son Ngounoumane natal, M. Ndour précise : « En parlant du vent de Jouala (Palmarin), il faut savoir qu’il s’agit de maladies de tous les jours. Cependant, la différence est à chercher dans le traitement ».À Palmarin, la prise en charge de ces maladies implique une certaine maîtrise du secret de la nature. C’est d’ailleurs ce qui explique que chaque pathologie requiert un guérisseur spécial. En lieu et place de médicaments modernes, ces médecins traditionnels arrivent à bout des maladies grâce à des formules miraculeuses, à la merveille des plantes, aux massages spirituels, etc. Ici, le guérisseur active la connexion entre le corps, l’âme et l’esprit. L’exemple du vieux Arfang Ndour qui, à travers le massage spirituel, arrive à mettre fin aux douleurs du cou ou cervicalgie. Quant à Sophie Diène, elle prend en charge un autre type de maladie. À l’entrée de son bâtiment, la sexagénaire décortique une quantité importante d’arachides mise dans une bassine. De temps en temps, elle se lève pour regarder la marmite qui dégage déjà une odeur appétissante puis revient s’asseoir à nouveau. Pendant qu’elle écrase la coque d’arachide, Sophie explique simultanément son activité. C’est elle la guérisseuse de la fièvre jaune. « Pour ma part, je suis chargée de soigner la fièvre jaune. Je donne des bouteilles contenant du liquide fait à base de plantes », renseigne-t-elle.
Ce travail n’est pas tout à fait facile. Pour trouver les plantes médicinales, Sophie va dans la forêt avec toutes les précautions mystiques requises. Parfois, elle envoie des jeunes qui vont en chercher. Selon ses dires, elle appelle même en Casamance pour qu’on lui trouve certaines plantes.
À la différence de Sophie, Mary Diène, elle, se rabat sur les incantations. À 87 ans, la vieille dame ne dispose plus de toutes ses facultés physiques pour manipuler des objets de la nature. Mais, sa seule arme reste la communion avec Dieu. Sous le poids de l’âge, sa voix devient un peu moins claire et l’ouïe commence à se dégrader. Ce qui est tout à fait normal pour l’être humain qui voit de telles facultés le lâcher au fur et à mesure qu’il prend de l’âge. Pour sa part, la vieille Mary agit sur les yeux. C’est son domaine de compétence. En effet, à travers des formules spirituelles, l’octogénaire arrive à soigner les douleurs oculaires. « Je sollicite Dieu quand je reçois un malade. Je Le prie et Il m’entend », révèle la doyenne des guérisseurs.
Sous un ton nostalgique, la vieille dame rappelle qu’elle a hérité de sa mère ce genre de médecine traditionnelle. Mais, comme l’enseigne l’adage, « le vieillard est ami de Dieu depuis longtemps ». C’est la raison pour laquelle Mary Diène se contente maintenant des prières pour aider ses patients. L’histoire du « vent de Jouala » ne se limite pas seulement aux pathologies. En effet, d’autres guérisseurs s’occupent des réalités mystérieuses relatives à la protection ou au sauvetage de personnes atteintes mystiquement. Du moins, si on s’en tient aux témoignages de la société. Cela semble étonnant de constater qu’avec 100 francs, un malade peut être aidé à retrouver sa santé. C’est avec cette pièce que Christine Téning Faye, la jeune consultante, aide le patient à rejoindre le guérisseur qui doit le prendre en charge. Chez Sophie Diène, la fièvre jaune peut se soigner avec 2000 francs. « On a vu des gens payer des sommes comme 300.000 francs à l’hôpital sans être guéris. Mais, une fois arrivés ici, ils retrouvent la santé avec seulement 2000 francs », confie Mme Diène.
Chez beaucoup de guérisseurs, on n’exige pas de prix. Ils laissent le soin au patient de donner selon ses capacités. Comme pour dire, dans le milieu de la médecine traditionnelle, la solidarité est de mise. Par humanisme, les patients sont bien pris en charge durant leur séjour sans aucune pression pécuniaire.
Une médecine à moindres frais
Aujourd’hui, ces médecins traditionnels souhaitent avoir des endroits où accueillir leurs patients. En d’autres termes, des sortes de salles d’attente qui vont leur permettre de travailler dans des conditions optimales. La recherche d’un meilleur espace reste l’un des grands défis auxquels ils sont confrontés. « Notre mission, c’est d’aider les démunis ou la société d’une façon générale. Nous aimerions qu’on nous prête main forte en nous construisant, par exemple, des places où nous pourrons accueillir nos patients », demandent-ils à l’unanimité.
Alors que certains s’interrogent sur une éventuelle concurrence avec la médecine moderne, Arfang Ndour tranche sans ambages. Pour lui, c’est vouloir semer la confusion que de comparer la médecine traditionnelle et celle moderne. De ce qu’on peut retenir de ses propos, M. Ndour souhaite établir une complémentarité entre ces deux types de médecine. Bien que le mélange des deux traitements soit formellement interdit. Comme le précise le vieux Arfang, « on doit accepter que certaines maladies ne peuvent pas être soignées à l’hôpital. D’ailleurs, quand notre patient suit son traitement, il ne doit absolument pas recourir aux services de la médecine moderne. Mais, cela ne veut pas dire qu’on doit jeter l’un au profit de l’autre, car toutes les deux sont bonnes ». Certaines pathologies jugées mystérieuses font spécifiquement appel à la médecine traditionnelle. L’exemple d’une maladie bizarre appelée « o baak djouwaam » (terme sérère signifiant littéralement « la corde de l’océan »). D’après Thiakâ, c’est une pathologie énigmatique qui se manifeste par des craquelures de la peau. Ces dernières provoquent des démangeaisons à n’en plus finir chez le malade. Ainsi, pour se faire soigner, la victime doit obligatoirement être isolée de sa femme ou de son mari pendant un an. Après guérison, le matelas et tout objet qu’elle a eu à utiliser durant la maladie sont à enterrer. Aussi, le patient guéri se fait accompagner d’un groupe de personnes à la mer. En cours de route, il est appelé à danser. Ainsi, jusqu’aux eaux où il doit se purifier, il émet une chorégraphie sous les mystérieux chants traditionnels des guérisseurs. Selon les témoignages, cette danse est obligatoire dans la mesure où elle joue un rôle primordial dans la guérison complète de la maladie.
Par El hadji Fodé SARR (Correspondant)