Trente ans d’errance, de peur et d’exil ont laissé des cicatrices profondes dans le cœur des habitants de Badiong, petit village situé dans la commune de Boutoupa Camaracounda. Ravagé par le conflit armé en Casamance, vidé de ses âmes et englouti dans le silence de la forêt, Badiong renaît enfin. Depuis sa libération par l’armée sénégalaise en 2021, ses anciens habitants y reviennent, portés par l’espoir, la mémoire et la volonté de reconstruire. Plongée dans l’émouvant retour d’un village martyr et récit d’une résurrection en terre casamançaise.
Il faut traverser les pistes sinueuses de l’arrondissement de Niaguis, s’enfoncer dans les forêts denses aux parfums de palmiers pour atteindre Badiong. Un nom longtemps chuchoté avec douleur, tant la localité était absente des récits et presque effacé des cartes du fait de l’irrédentisme casamançais. Pourtant, ce hameau perdu dans les terres profondes du département de Ziguinchor abrite aujourd’hui un miracle : celui d’un retour à la vie, après trois décennies d’exil forcé. Badiong, autrefois paisible et prospère, s’est vu happé dans la tourmente du conflit armé qui a secoué la Casamance depuis les années 80.
En 1992, ses habitants n’ont eu d’autre choix que de fuir, laissant derrière eux cases, souvenirs et tombes des ancêtres. La peur, les menaces, les pillages répétés des porteurs d’armes du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc) ont eu raison de leur attachement au sol. Badiong est devenu un village fantôme. «J’ai connu Badiong dans sa splendeur, en 1966», raconte Dominique Dasylva, la voix tremblante d’émotion. «En 1986, j’ai dû partir. Et puis en 1992, l’exil a été imposé. J’étais à Dakar, mais ce n’était pas ma vie. Maintenant que le calme est revenu, je suis de retour. Je ferme le chapitre de Dakar. Mon histoire est ici», poursuit cet habitant de Badiong.
2021, le point de départ d’une résurrection
Depuis 2021, les opérations de sécurisation menées par les forces armées sénégalaises ont changé la donne. Le silence pesant a été brisé par les bruits des bottes libératrices. Et, peu à peu, Badiong a recommencé à revivre. Il respire enfin. Le retour au bercail s’est amorcé discrètement, presque timidement, comme si les lieux eux-mêmes doutaient encore de leur droit à la paix. Mais, fin mai 2025, une vague d’émotion a traversé la communauté. Les premiers anciens exilés ont foulé les sentiers du village. Certains y revenaient, le cœur alourdi par les souvenirs ; d’autres y posaient les yeux pour la première fois. Juliette Mendy, elle, n’avait jamais vu Badiong avant. «Je suis née à Dakar. Mon père m’en parlait tout le temps. Je viens enfin découvrir cette terre dont il parlait avec tant de passion. C’est un honneur, une fierté», s’enthousiasme-t-elle. Les défis d’une reconstruction En revanche, si l’émotion est palpable, les défis restent immenses.
Le village, laissé à l’abandon pendant tant d’années doit tout reconstruire : écoles, dispensaires, forages, routes. «Maintenant que nous sommes rentrés, c’est à l’État de nous accompagner. Nous avons besoin d’infrastructures pour vivre dignement ici», insiste Juliette Mendy, ayant pris la parole au nom de la gent féminine de Badiong. Présent à Badiong le jour du retour imminent, le maire de la commune de Boutoupa Camaracounda, Ousmane Sanding ne cache pas son émotion. «C’est une grande fierté de voir ces familles revenir. Nous saluons le courage des forces de défense et de sécurité qui ont permis cela. Badiong retrouve enfin son âme», magnifie-t-il.
Le soleil peut désormais se coucher sur Badiong, illuminant les toitures des maisons de fortune, les rires d’enfants revenus, et les regards pleins d’espérance de leurs parents. Dans ce village ressuscité, les plaies sont encore visibles. Cependant, la volonté de vivre les dépasse. Badiong n’est plus un lieu de mémoire meurtrie. Il est tout simplement redevenu un foyer qui accueille à bras ouverts, ses habitants avec des cœurs remplis de joie.
Gaustin DIATTA