L’adoption intrafamiliale adoucit le sort de beaucoup de femmes sénégalaises qui n’ont pas connu les joies de l’enfantement. Le « mayé doom », pratique moins courante aujourd’hui du fait des mutations sociales, a agi sur plusieurs destins.
Bébé Rose est le rayon de soleil qui illumine la vie d’Amsatou Fall depuis un an déjà. La jeune femme n’a pas connu la joie ou les embarras d’une union conjugale, encore moins ceux de l’enfantement. La cinquantaine révolue, c’est avec beaucoup d’émotions qu’elle montre les photos de sa fille adoptive Cette petite de quatre ans est, d’après cette chargée d’accueil dans une entreprise, son nouveau souffle de vie. Cet enfant est un miracle, car elle vient combler un vide, confie Amsatou, la gorge nouée Cette dernière n’a pas eu la chance en amour. Je n’ai eu que des déceptions amoureuses, se désole-t-elle. Cependant, elle a toujours voulu avoir un bébé. C’est une de mes connaissances qui m’a fait ce cadeau inespéré. « Un bon jour, elle a amené tous les bagages et papiers de la petite chez moi. Elle n’est plus repartie. J’étais si heureuse », se remémore-t-elle. Une surprise qui a changé la vie bien morose de cette dame.
Amsatou n’est pas la seule femme à avoir vu l’horizon s’éclaircir quand tout était lugubre. Elles sont même nombreuses avec des récits de vie aussi divers que bouleversants. Oulimata Diop est de celles-là. Sa nièce lui a été confiée après le sevrage ; sa mère biologique ne voulait pas que sa sœur reste seule. La petite, âgée aujourd’hui de plus d’une vingtaine d’années, a longtemps égayé les jours sombres de la dame de 59 ans. « Je ne pourrais expliquer ce que je ressens depuis l’arrivée de cet enfant dans ma vie », confie-t-elle, heureuse. La femme au foyer, sans enfant, considère ce don du ciel comme son complément. « Elle a comblé un grand vide. C’est comme si je l’ai portée neuf mois dans mon ventre. Je trouve que le fait de donner son enfant à d’autres qui n’en ont pas est un acte noble », soutient-elle.
« C’est mon sang »
La mine joviale, Rouguiatou Sow est d’un commerce agréable. Mais derrière ce visage serein se cache une femme marquée par les stigmates du passé. Habillée d’un boubou blanc en lin aux motifs multicolores et un voile sur la tête, le chapelet à la main, cette résidente de Yoff a eu une trajectoire peu banale. Mariée de force à deux reprises, la femme de 53 ans en est à sa troisième union conjugale sans connaitre le bonheur de la maternité. « J’ai dû avorter lors de mon second mariage à cinq mois de grossesse. C’est par la suite que ma sœur m’a donné son enfant de deux ans », se souvient-elle.
La femme au foyer voit sa vie changer avec ce bébé. « Je n’ai pas eu la chance dans mes mariages. Mais ce petit être m’a redonné le sourire », dit-elle, gagnée par l’émotion. La ménagère, malgré son divorce avec son deuxième époux, dit avoir consacré toute sa vie à cet enfant. C’était mon sang et je voulais qu’il ne manque de rien dans la vie. J’ai tout donné à ce garçon et il me le rend bien, déclare-t-elle, fièrement.
Pratique en perte de vitesse
C’est mon sang ! Le mot est lâché. Sociologiquement, pour beaucoup de familles sénégalaises, élever un enfant de son cercle intime est plus convenable que d’adopter un môme dont les parents sont inconnus. « Qu’un membre de ta famille partage ta peine et te donne son enfant pour combler un vide est un symbole de fraternité, d’amours », affirme Adja Fatou Seck même si elle estime qu’il y a un revers de fortune quand, le petit devenu adulte et pros père, la mère biologique manifeste une présence vénale. La septuagénaire n’a pas vécu l’expérience d’une telle déception. Son histoire est plutôt celle d’une tante soucieuse de préserver l’honneur de sa nièce mise enceinte par son amant. Elle a vécu « des moments difficiles » à cause de sa grossesse indésirable. Trois ans après son accouchement, elle s’est mariée avec un autre homme. « En pleine nuit, avant de rejoindre le domicile conjugal, ma nièce m’a dit qu’elle ne voyait personne d’autre qui pourrait s’occuper de ce garçon mieux que moi alors que sa mère était encore de ce monde. Ce fut à la fois un choc et un immense plaisir, d’autant que le seul fils que j’ai eu est parti très tôt en France et n’est jamais revenu », se souvient la vieille dame. Cet enfant ne connaitra pas sa vraie mère, qu’il continue d’appeler par son nom malgré ses 17 ans. Toutefois, la vieille dame regrette que certains parents confient leurs fils à une autre famille par opportunisme face aux charges écrasantes de la vie.
Pour le linguiste et traditionaliste Cheikh Adramé Diakhaté, le « mayé était une pratique très courante dans la société sénégalaise, mais en perte de vitesse face aux mutations sociales et l’occidentalisation qui la déprécient ». Ce qui est regrettable à ses yeux. Dans une société où l’enfant est considéré comme une obligation dans un ménage, ne pas en avoir peut compliquer la vie du couple. Selon le psychologue conseiller Ngor Dieng, c’est ce qui pousse certains à vouloir adopter comme le font les Européens, à la seule différence qu’eux optent pour des enfants avec qui ils n’ont aucun lien de parenté. « Nous sommes dans une société où il faut avoir des enfants. On pense que c’est la suite d’un mariage. C’est un problème quand il n’y a pas d’enfant. Pour combler ce manque, on fait recours à l’adoption à la sénégalaise », a-t-il analysé. Avec la parente qui devient même culturelle, l’enfant peut penser, en grandissant, que ce sont ses parents biologiques. « Mais s’il le découvre, ça peut être un choc psychologique, une cassure », renchérit-il. Cette pratique est liée, à l’en croire, à notre conception de la vie de couple, de la vie de famille.
Arame NDIAYE