Ses parents étaient éleveurs et elle a toujours baigné dans cet univers. Animée par la passion pour le travail avec les animaux, Aïssatou Babou s’est pleinement investie dans ce secteur traditionnellement masculin et trace sa voie. Présidente du Comité consultatif de la femme du département de Ranérou et de la région de Matam, elle incarne le leadership féminin dans l’élevage de bétail, mais également dans la transformation de produits laitiers et céréaliers. Partie de rien, Aïssatou Babou, devenue une entrepreneure polyvalente et dynamique, et gestionnaire hors pair, se bat pour révolutionner son secteur d’activités et contribuer au développement de son terroir.
Dans le Ferlo, le pastoralisme est au cœur des activités. Et les femmes sont fortement engagées, sont même à l’avant-garde dans le secteur de l’élevage. À Ranérou, elles représentent, au même titre que les hommes, l’épine dorsale de l’économie rurale domestique. Aïssatou Babou a très tôt compris que sa voie était dans l’élevage. Elle a suivi les traces de ses parents qui étaient de grands éleveurs, mais elle a préféré voler de ses propres ailes. Sans se poser mille questions, elle s’est engagée sans attendre l’aide de personne et a, contre toute attente, monté son entreprise.
« J’ai démarré avec une vache que j’ai achetée à 75.000 FCfa. Je l’ai élevée et par la suite, j’en ai acheté deux autres. Quelques années plus tard, je me suis retrouvée avec un troupeau. C’est alors que je me suis décidée à investir dans une unité laitière », explique-t-elle. Aïssatou a réussi à inséminer ses vaches dans le cadre du Programme de développement durable des exploitations pastorales au Sahel (Pdeps) qui couvre 14 communes dans les régions de Louga, Matam, Tambacounda, Kaffrine et Saint-Louis et avec l’accompagnement du service départemental de l’élevage de Ranérou. Pour vivre son rêve, elle a acquis des Holstein et des Montbéliard avec ses propres moyens et en contractant un prêt bancaire. « C’est à partir de là que j’ai commencé à les adorer et à aimer davantage l’élevage », confesse Aïssatou Babou. Ainsi, avec cinq vaches laitières et un taureau, elle a réussi à monter son projet. L’élevage, soutient Aïssatou Babou, est un très bon créneau. « Dans l’élevage, on gagne toujours quand on le fait avec passion. Tout rapporte ; que ce soit la viande, le lait, la peau ou les cornes… C’est l’une des rares activités qui peuvent vous rapporter de la richesse que vous n’auraient jamais gagnée après des années de dur labeur », assure-t-elle. Son engagement n’a jamais faibli, malgré les nombreux écueils rencontrés et l’a même poussé à intégrer l’Association nationale pour l’intensification de la production laitière (Anipel 5) dont elle deviendra, plus tard, la coordonnatrice. Dans le cadre de ce programme, elle a eu à renforcer la capacité des femmes à Matam, Kanel et Ndioum, mais le programme est arrivé à son terme. Femme battante, en phase avec son temps, polyvalente et dynamique, garante d’une production laitière de qualité, Aïssatou Babou est plus que jamais engagée à se battre pour obtenir des progrès significatifs dans son secteur d’activités. Et elle compte s’impliquer pour l’autosuffisance du Sénégal en lait. « Le département de Ranérou est une zone d’élevage par excellence et les transhumants versent beaucoup de lait parce que ne sachant pas quoi en faire.
Des ambitions majuscules
C’est une grosse perte, si l’on sait que le Sénégal investit des milliards dans l’importation du lait », fait-elle remarquer. D’où la nécessité, selon Aïssatou Babou, de créer une grande unité laitière dans la localité. « Chaque jour, je collecte 40 litres de lait, sans compter ceux qui ont des centaines de tête et qui sont parfois obligés de verser le lait collecté faute de pouvoir le conserver. C’est cela d’ailleurs ce qui m’a poussé à mettre en place une unité laitière, mais ça ne suffit pas au regard de toute la quantité de lait que produit le département. Le défi, c’est de faire en sorte que chaque commune du département de Ranérou ait au moins une unité laitière », prône Aïssatou Babou qui estime que la région de Matam, avec tout l’accompagnement qu’il faut, pourrait approvisionner le Sénégal en lait. Actrice de développement dans le département de Ranérou et la région de Matam, Aïssatou Babou ambitionne de mettre en place une unité laitière industrielle. Mais la bonne dame est freinée par le manque de moyens. « J’ai des vaches métissées, mais je ne dispose pas d’étables pour que le produit soit traité directement à l’usine », indique-t-elle. Et elle ajoute : « J’ai également besoin d’une chambre froide, de congélateurs pour la conservation du lait parce que j’ai des clients qui viennent d’autres villages pour me proposer du lait, mais je ne peux pas en acheter beaucoup faute de pouvoir le conserver, mais aussi d’intrants». En attendant, Aïssatou Babou s’investit, pour minimiser les pertes, dans la transformation du lait en fromage local; une technique qu’elle a acquise à l’issue d’une formation à l’Immaculée conception de Mbour. « Je vends du lait frais, du lait caillé, du beurre, du fromage fait maison qui est très succulent. J’ai appris cette technique durant mon séjour en France. C’est du fromage de lait pur et du citron très prisé. Il est doux, crémeux et légèrement acidulé, très bon pour accompagner les brochettes, le riz et la grillade », renseigne-t-elle. Selon Aïssatou Babou, ce produit peut être conservé dans la saumure pendant trois à six mois. Cette pratique, explique-t-elle, a été démultipliée dans les départements de Ranérou et de Podor. « Ces galettes de lait sont bonnes pour la santé, parce que riches en calcium. Les transhumants en consomment beaucoup lors de leur longue pérégrination », fait savoir Aïssatou Babou qui dit être allée jusqu’en France, à la ferme Tremblay, pour renforcer ses connaissances.
Une authentique passionnée
Au-delà de la transformation du lait, Aïssatou s’active également dans la valorisation de céréales locales, notamment les brisures de maïs et de sorgho qu’elle utilise pour concocter des plats à base de riz et de viande. « Avec les brisures de sorgho, j’ai réussi à faire du riz à la viande ou au poisson. Chaque localité a ses propres recettes en cuisine, mais cette spécialité je la revendique, c’est une propriété de Ranérou », indique, avec fierté, Aïssatou qui valorise également les produits forestiers non ligneux. Elle transforme le « soumpe », Balanites aegyptiaca de son vrai nom et encore appelé dattier du désert, en huile, confiture, sirop et autres produits. « Je concocte des galettes de jujube et de pain de singe. D’ailleurs, pour partager cette expérience, j’ai démultiplié les formations pour permettre à beaucoup de femmes de maîtriser ce savoir-faire, mais c’est l’appui financier qui fait défaut », se désole-t-elle, non sans relever les nombreux écueils qui plombent la professionnalisation du secteur agroalimentaire surtout la commercialisation des produits. Être éleveuse représente un énorme défi. Et Aïssatou Babou ne regrette pas d’avoir arrêté ses études, malgré elle. En effet, elle a étudié jusqu’en classe de troisième, mais n’a pas pu passer le Bfem. « Je me suis mariée avant les examens ; ce qui m’a empêché de poursuivre mes études. Mais je n’ai pas de regrets parce que j’ai, par la suite, fait des formations et me suis rattrapée dans l’élevage et la transformation des produits forestiers », indique Aïssatou Babou. Malgré leur rôle vital, les femmes impliquées dans l’élevage font face à plusieurs défis, dont l’accès limité aux ressources. Cependant, Aïssatou reste une authentique passionnée qui est sur plusieurs fronts. Éleveuse, elle est active aussi bien dans la production que dans la transformation du lait, mais aussi de céréales locales. Elle ne regrette pas ses choix et si c’était à refaire, Aïssatou n’hésiterait pas. « Être éleveuse, c’est un métier passionnant ; on ne le fait que si l’on aime les bêtes. Si c’était à refaire, je le referais », assure Aïssatou qui lutte pour un avenir harmonieux.
Par Samba Oumar FALL, Souleymane Diam SY (textes) et Mbacké BA (photos)