Alice Djiba promeut les actions des femmes et sensibilise sur le traitement des cas de viol par ses pairs. Dans cet entretien, la journaliste de formation revient sur le regard porté par la presse sur les victimes de viol.
Est-ce que le combat contre le viol est porté par la presse sénégalaise comme il le faut ?
Moi, en tant que média, je porte le combat. En tant que média féministe, je porte le combat. En tant que féministe, je porte le combat. Maintenant, malheureusement, le combat est tout autre dans la presse sénégalaise. Si l’on fait une vue panoramique de ce qui se passe dans nos médias, on voit que le viol n’est pas porté, parce que, le plus souvent, on en fait un traitement sensationnaliste. Ce sont des faits divers pour la presse qui essaie de vendre plus de journaux. C’est le cas également de la presse audiovisuelle. Par exemple, en tant que journaliste, quand tu présentes le journal et que tu as une situation de viol qui défraie la chronique et dont tout le monde parle, les titres vont aller dans ce sens-là. Je ne dis pas qu’ils n’en parlent pas, mais c’est la manière dont la presse en parle qui n’est pas favorable à la lutte contre ce fléau. Il y a beaucoup d’émissions et de plateaux, mais à chaque fois, il faut un cas de viol assez grave pour que les gens en parlent. Je me rappelle avoir pris part à un atelier que l’Unesco avait organisé, où elle avait invité les patrons de médias, les patrons de presse, de rédaction, etc. Mais il y a eu une intervention qui m’a marquée et qui disait : « Quelle est la plus-value de l’intégration du genre dans les médias ? ». Donc, ces patrons de médias ne voient pas l’intérêt de parler des violences faites aux femmes. Quand c’est l’actualité, c’est chaud, ça vend. Mais après, quand c’est fini, c’est fini, on passe à autre chose.
Après un tel constat, selon vous, quelle devrait être la position des médias face à ce fléau ?
En fait, les médias n’ont pas à se positionner sur la question, parce qu’on nous dit à l’école qu’il faut être neutre dans le traitement médiatique : il faut donner les faits, rien que les faits. Cela est sacré. Maintenant, il y a un côté militantisme qui se manifeste en nous. Au-delà de ce militantisme, il y a également des rédactions plus sensibles à la question et qui vont le plus souvent parler du fléau pour essayer de sensibiliser la population, mais également pour dénoncer. Mais la presse n’a pas à prendre parti. Ce que la presse peut faire, c’est d’en parler très souvent, de sensibiliser pour que ce fléau soit éradiqué, mais aussi de mettre en lumière la loi de 2020 qui criminalise le viol et la pédophilie. C’est de voir comment les médias peuvent promouvoir cette loi. Parce qu’une loi a pour but de s’appliquer. Avant de condamner, il faut qu’elle soit connue d’abord. Et je pense que si la population est suffisamment avertie, ou en tout cas suffisamment sensibilisée sur le caractère criminel du viol, cela peut participer à l’éradication de ce fléau. La presse peut participer à la vulgarisation des dispositions juridiques et des faits de viol qui se produisent, mais avec un traitement plus sensible.
En quoi le traitement peut-il changer la perception sur les victimes de viol ?
Dans le traitement que les journalistes font, le plus souvent, il n’est même plus question de « victime de viol », mais de « survivante de viol ». La survivante de viol, on voit toujours que le traitement est biaisé. Le traitement situe la survivante de viol comme si c’était elle qui avait provoqué. C’est un traitement sensationnaliste. Tu fais ce qui attire : c’est-à-dire que tu décris la survivante, et au-delà de la description, tu ne t’arrêtes même pas là, tu vas recueillir des témoignages qui vont à l’encontre de la victime. Là, tu ne te limites même plus à donner juste les faits, mais tu vas chercher des témoignages orientés. Et c’est malheureux de le constater maintenant avec les web-Tv. On va essayer d’interroger la maman de la victime, le papa de la victime ou même la victime elle-même si elle accepte de témoigner, mais le traitement va être davantage orienté vers les parents. Prenons l’exemple de la fille qui a été violée puis tuée au mois de décembre 2024. On a accusés ses parents d’avoir laissé la fille aller s’amuser avec ses amies. Une personne qui est dans la douleur, qui vit la perte d’un être cher, on vient en rajouter en lui disant : « Pourquoi as-tu laissé cette fille-là sortir à cette heure-là ? » Donc, on accuse les parents d’être irresponsables. Tu vas voir une fille de 8 ans, qu’est-ce qu’elle a de si séduisant pour qu’on puisse l’accuser d’avoir séduit ce pervers qui a abusé d’elle ? Donc, pour moi, et pas seulement pour moi, la faute revient à l’adulte qui a abusé d’une petite fille, ou simplement d’une femme, ou encore d’un petit garçon. Donc, il faut le dire aussi : le viol ne concerne pas seulement les filles, mais également les garçons.
Justement, quels peuvent être les effets sur la survivante de viol, comme vous dites ?
Quand un cas de viol se présente, tout le monde y va de son commentaire. Chacun accuse selon ses intérêts, sa position, mais aussi selon ce qu’il veut défendre. Mais on oublie les retombées psychologiques, sociales, économiques et politiques. On oublie les conséquences pour la victime et sa famille. Parce qu’être survivante de viol, c’est être rejetée par la société. C’est comme si on l’avait cherché. Alors qu’on n’a rien cherché. C’est un pervers qui est venu abuser de l’innocence d’une personne. Et malheureusement, au Sénégal, on est plus clément envers les bourreaux. Rien au monde ne justifie le viol. Ni les violences faites aux femmes, ni celles faites aux enfants ou aux filles. Rien ne justifie cela. J’appelle donc mes confrères et mes consœurs à être plus attentifs dans leur traitement médiatique.
Fatou NDIAYE