Dans la région de Sédhiou, le désir de partir en Occident habite toujours la jeunesse. Chez les conducteurs de mototaxis où l’on retrouve de potentiels candidats à l’émigration irrégulière, certains préfèrent investir dans l’agriculture plutôt que de tenter l’aventure.
SÉDHIOU – À l’entrée principale de la gare routière de Sédhiou, les va-et-vient de mototaxis ont fini par installer, en cette matinée ensoleillée de vendredi, une ambiance bon enfant. Il est 10h, Cheikh Tidiane Cissé, un conducteur de mototaxi, s’apprête à démarrer son engin. Casque bien ajusté pour éviter d’être appréhendé par la police qui multiplie, depuis quelques jours, des opérations de sécurisation sur la circulation, le quadragénaire, qui nous prend pour un potentiel client, propose ses services. Mais quand une discussion sur l’arrestation, à Diouloulou, le lundi 7 avril 2025, de 31 jeunes candidats à l’émigration originaires de la région de Sédhiou est posée, il renonce à partir. « Je n’ai pas eu vent de cette information », lance-t-il avant de poursuivre : « les jeunes sont pressés de réussir, or, les choses ne peuvent pas se réaliser du jour au lendemain. Je suis paysan, pendant l’hivernage, je produis de l’arachide, du mil, du maïs. La réussite est là. Il s’agit maintenant de s’engager pour y arriver ».
Pourtant, Cheikh Tidiane Cissé avait tenté l’émigration entre 2005 et 2006. Cet habitant de Koussy, dans le village de Médina Fass, avait vendu un bœuf pour financer son voyage, mais ce projet n’avait pas abouti. « J’ai été berné. Aujourd’hui, je n’ai plus envie de partir, je me suis rendu compte que je peux réussir au Sénégal », explique-t-il.
À ce point d’arrêt des mototaxis, les discussions sur l’émigration sont monnaie courante. « Ici, chaque après-midi, nous débattons autour du thé, attendant d’éventuels clients. Nos discussions tournent souvent autour de l’émigration irrégulière et de la réussite », confie Abdoulaye Bâ, conducteur de moto « Jakarta », habitant de la commune de Diendé. Ses deux amis, conducteurs de mototaxis, sont partis. « L’un est aux États-Unis, l’autre en Espagne, on se parle d’ailleurs chaque jour », révèle le jeune Abdoulaye. Jusque dans un passé récent, ces cas réussis ravivent le désir d’Abdoulaye de partir coûte que coûte en émigration. Mais depuis qu’il s’est lancé dans l’agriculture, il ne pense plus à l’émigration. « Il y a des opportunités pour réussir. Je l’ai compris quand j’ai démarré, l’année dernière, l’agriculture », reconnaît-il.
Dans la région de Sédhiou, le désir d’émigrer est fréquemment attisé par la réussite des expatriés, symbolisée par la construction de maisons. Mais cette fascination s’estompe petit à petit, depuis que des jeunes gagnent bien leur vie grâce à l’agriculture. Le groupe de recherche sur le développement rural (Grdr) et l’organisation internationale pour la migration (Oim) ont mené des activités de plaidoyer dans de nombreuses localités de la région de Sédhiou sur les risques de la migration irrégulière. Des appuis ont été apportés aux associations des migrants de retour, mais le phénomène persiste dans le Pakao.
Jonas Souloubany BASSENE (Correspondant)