La première cohorte de travailleurs saisonniers sénégalais dans le cadre du Mémorandum d’entente sur la migration circulaire, signé le 29 août 2024, avec l’Espagne est partie hier. L’aboutissement d’un long processus qui a fait couler beaucoup de salive et suscité de l’engouement. Les 47.307 dossiers de candidature reçus l’illustrent. Dans cet entretien, le Secrétaire d’Etat aux Sénégalais de l’extérieur, Amadou Chérif Diouf, fait le point et dégage des perspectives.
Monsieur le ministre, le processus de sélection des candidats dans le cadre du dernier programme de migration circulaire entre le Sénégal et l’Espagne arrive presque à sa fin. Quel bilan en tirez-vous ?
Un bilan positif ! Contrairement à ce qui se faisait avant notre arrivée au pouvoir, nous avons décidé de communiquer avec le grand public sur ce programme par souci d’équité, dans l’esprit du Jub, Jubal, Jubanti. L’idée était d’offrir aux Sénégalais intéressés remplissant les conditions requises et vivant aux quatre coins du pays, des chances égales d’accès à ces contrats. Nous faisons la promotion de la migration sûre, ordonnée et régulière. Ce pari est réussi si l’on se fie aux résultats issus du processus. Au total, nous avons reçu 47.307 dossiers de candidature. Il s’agit de dépôts physiques au niveau des Bureaux d’Accueil, d’Orientation et de Suivi (Baos) installés dans les 14 régions du Sénégal, mais aussi d’inscriptions en ligne grâce au site mis en place face aux insécurités liées à la forte affluence dans les Baos. En termes de dossiers réceptionnés, les régions de Dakar (16.787), de Thiès (6.563) et de Louga (2.956) forment le trio de tête alors que Sédhiou (1.304), Kaffrine (1.064) et Kédougou (418) enregistrent le moins de candidatures. À travers cet acte, les candidats ont renoncé à embarquer dans des pirogues de fortune ou à traverser le désert pour un voyage périlleux. Même si c’est pour une période déterminée, le temps que dureront les processus de recrutement, ils ne risqueront pas leurs vies. L’espoir faisant vivre.
Quels sont les critères qui ont permis de départager les milliers de candidats ?
Comme dans tout processus de recrutement, des critères très précis ont été établis dans l’optique d’avoir les meilleurs profils. Il faut savoir qu’il y a un double enjeu dans le cadre de cette migration circulaire. Premièrement, les personnes choisies doivent disposer des aptitudes recherchées par l’employeur, mais aussi être irréprochables dans le travail et le comportement en Espagne. Deuxièmement, elles doivent s’engager à rentrer au Sénégal à la fin de la durée légale de leur séjour en Espagne. C’est une condition sine qua non pour la pérennisation du programme. Partant de là, après avoir appris des campagnes précédentes, nous avons pu dresser les portraits des candidats susceptibles de respecter les conditions fixées par les deux parties et ceux dont l’objectif est de rester illégalement en Espagne. Je vous donne un exemple concret. Entre un homme de 20 ans, célibataire, résidant à Dakar et une femme de 35 ans, mariée, mère de deux enfants, habitant dans une zone agricole, le choix est vite fait. Le second nommé donne, à l’évidence, plus de garanties. D’autres critères objectifs sont utilisés par les recruteurs pour départager les candidats, mais il nous est impossible d’entrer dans les détails au risque de fausser complètement la compétition. Notre rôle est d’aider, autant que faire se peut, les employeurs espagnols à effectuer les meilleurs choix.
Y a-t-il d’autres programmes similaires en vue avec l’Espagne ou avec d’autres pays européens ?
Oui ! Les 370 personnes, qui partiront en premier cette année en Espagne, ont été recrutées par des entreprises satisfaites du travail des saisonniers sénégalais. D’autres sociétés ibériques, par le biais de l’Ambassade d’Espagne au Sénégal, nous ont transmis des propositions. Une offre de recrutement de 45 femmes a déjà été traitée. Une autre, de 150 individus, hommes et femmes confondus, sera prise en charge en début avril. Nous sommes en discussion avec d’autres pays. Le moment venu, on en parlera. Pour le cas de l’Espagne, nous sommes passés de 152 l’année dernière à 500 saisonniers cette année si les offres se confirment. Si nous continuons sur cette dynamique, je suis persuadé que nous atteindrons le millier de saisonniers en Espagne. Nous travaillons d’arrache-pied pour augmenter le nombre de bénéficiaires de ce programme. L’exemple du Maroc, qui envoie chaque année environ 15.000 saisonniers en Espagne, est une belle illustration. En tout cas, les Espagnols sont jusque-là satisfaits de la main-d’œuvre sénégalaise qui est très compétitive. Il nous faut donc consolider les acquis, tout en explorant d’autres marchés dans le monde.
De manière générale, quel commentaire vous inspire ce programme sachant que certains l’ont dénoncé, estimant que c’est quelque part un échec de nos politiques d’emploi ?
La migration circulaire est à inscrire dans le cadre de la loi de l’offre et de la demande au niveau du marché international du travail. Pour le Sénégal, il s’agit d’une contribution à la lutte contre l’émigration irrégulière. La lutte contre le sous-emploi ou le chômage obéit à une démarche holistique. Tous les ministères ou presque sont impliqués. Nous avons hérité des précédents régimes un lourd passif dans le domaine de la création d’emplois décents. À vrai dire, il n’y avait pas une sérieuse politique de l’emploi. En ce qui nous concerne, nous allons user de tous les moyens, activer tous les mécanismes possibles, pour diminuer le taux de chômage important dans le pays. Avec la Vision Sénégal 2050 sur le long terme et la Stratégie Nationale de Développement 2025-2029 sur le court terme, les jeunes seront aidés pour trouver du travail grâce notamment à l’industrialisation. C’est pour cela que le président Bassirou Diomaye Faye a été porté à la magistrature suprême par les Sénégalais. Nous n’allons pas nous dérober. Loin s’en faut ! Offrir un avenir radieux à tous ces gens est un défi exaltant à relever. Nous allons y parvenir grâce à la transformation structurelle de notre pays.
Entretien réalisé par Elhadji Ibrahima THIAM