Dans la province du Ndoucoumane, les Beuleups avaient des génies particuliers et étaient entourés de nombreux dignitaires représentant toutes les classes et couches sociales du pays. Le baobab sacré de Mboutane, le marigot de Nguélémou et d’autres sites font partie de leur riche patrimoine culturel.
Le village de Sagna, fondé aux environs de 1113 par Oga Mboye Sylla, un Soninké venu du Fouta, entre trois à quatre siècles avant la fondation du Ndoucoumane, est une localité indissociable du règne des Beuleups du Ndoucoumane. « Ndéné repose à Sorocogne et Baghala à Sagna Mbar », est une parmi les expressions des communicateurs traditionnels, qui a rendu célèbre la localité. En effet, l’intronisation du Beuleup passe d’abord par la préparation mystique des lawanes (princes) à Sagna, précisément dans un lieu constitué d’un ensemble de baobabs sacrés, et le génie qui y réside s’appelle Mboutane. Pour accéder à ce périmètre si enclavé, constitué de hautes herbes et de baobabs, il faut un voyage d’une vingtaine de minutes en voiture depuis Kaffrine. Le lieu est frappé par le silence qui règne tout autour. Peu d’habitations sont construites aux alentours. Selon Bassirou Sylla, chef de village de Sagna, l’éducation et la préparation des princes héritiers se faisaient dans la localité, bien avant leur accession au trône. « La place de Mboutane servait de lieu de rituel pour les princes devant accéder au trône. Jusqu’à présent, personne ne cultive aux abords. Ce lieu est enclavé et mystique », souligne un autre habitant répondant au nom de Pape Mbaye. Au commencement, les éleveurs et agriculteurs qui ont fondé le village vivaient dans des cases en paille, d’où le nom de Sagna Mbar pour désigner leur habitation et la culture du mil « sagna » dans la zone. Ces derniers ont, avec l’arrivée des Ndaocounda, convenu d’un traité à l’amiable pour continuer à exercer leur activité. Peu à peu, le lieu est devenu un patrimoine historique de la province du Ndoucoumane. « Quand on était enfants, il y avait ici un baobab qu’on appelait Gouye Gueweul qui contenait à l’intérieur du tronc des squelettes d’anciens griots. En venant jouer dans les parages, nous apercevions des os. Ce lieu était enclavé et craint par les habitants. Personne ne s’aventurait dans ce lieu », indique Pape Mbaye. D’après lui, il y a encore quelques années, les cris du génie Mboutane se percevaient jusque dans les maisons et aux abords des routes. Mboutane, le génie protecteur était aussi consulté par les habitants en période d’hivernage pour donner les prévisions de l’issue de la récolte. « À l’approche des récoltes, Mboutane nous prévenait par des bruits. Lorsque le bruit était rauque, nous savions que la récolte serait bonne et lorsque le bruit était sec, il fallait comprendre par là que la campagne serait mauvaise », témoigne-t-il.
Les facettes de l’intronisation du Beuleup
Ainsi, l’intronisation du Beuleup passe d’abord par la préparation mystique des lawanes (princes) à Sagna, précisément à Mboutane (Baobab sacré, le génie s’appelle Mboutane), indique l’historien Mamadou Gaye. D’après lui, le nouveau Beuleup qui appartient à la famille des Ndaocounda de lignée princière, désigné par l’assemblée des Fara, subissait un bain rituel par le Serigne Ndigui (qui désigne l’autorité de la localité de Ndjigui faisant partie de la commune de Kahi dans le département de Kaffrine) avec l’eau de Nguélémou (un quartier qui possède un marigot à Kaffrine). Ensuite, il est intronisé sur la place publique appelée Pèye, habillé d’un manteau rouge et noir et d’un bonnet garni de gris-gris sur le front et les faces latérales, ceint d’un cordon. « Assis sur une tertre, on lui verse du riz, du coton et de l’eau, symboles de pureté et de prospérité par une Bambadoqui (les cousins des Ndaocounda, partis du Djolof et devenus presque leurs serviteurs) qui a pour nom Simal, qui tient le van et joue le rôle de gardienne du rite. Ensuite, il se rend à Gouye Linguère, à Sotto Bassine, puis à Sagna pour 2 jours à la sortie de Tagoudie Koundié (Pierre) », narre l’ancien principal du Cem Babacar Cobar Ndao Mamadou Gaye. Enfin, il se rend à Kahone auprès du Bour Saloum avec ses “khins” (tambour à peau de boeuf) pour rencontrer tout le conseil (Fara Dioundioung, Bissik, Fara Lamb, Linguère) à Gouye Njulli (Baobab) vers le fleuve. Après tous ces rituels, le Bour Saloum officialise l’intronisation du nouveau Beuleup Ndoucoumane et adresse une correspondance à l’autorité administrative pour sa reconnaissance officielle. En effet, cette manière d’introniser le Beuleup remonte vers les années 1.500 avec Tagouth Waly qui fut le premier à être intronisé, confie notre interlocuteur. Par ailleurs les praticiens directement impliqués dans l’intronisation sont la famille Simal qui fait l’intronisation, l’apport du Woudé (cordonnier) qui coud les chaussures avec des gris-gris, le griot attitré qui chante les louanges du Beuleup, le bambados qui prépare les habits et le déjeuner. Ajouté à cela, les symboles et les rites sacrés (gris-gris, offrandes, les baobabs sacrés (Gouye Linguère) et Soto Bassine, le van, les céréales, l’eau, la pierre, le tertre, le foulard (ndior), les tamas, le jaat (litanies ésotériques), chants généalogiques, louanges (tagg), offrandes, argent font partie des pratiques coutumières.
Le pouvoir du Beuleup face aux défis de notre génération
Parmi les autres critères qui entraient en ligne de compte pour être Beuleup, il y avait, selon Mamadou Ndao, qui a travaillé sur le sujet de l’histoire du Ndoucoumane, les qualités physiques et morales. Le critère de l’âge aussi intervenait très largement. Pour déterminer ce dernier critère, l’état civil des fils des familles régnantes se détenait à Kahone. Chaque nouveau-né avait sa coque de pain de singe dans la capitale du Mbey. À la fin de chaque hivernage, on mettait un grain dans chaque coque. Dès qu’un problème de succession se posait, en particulier après la mort d’un Beuleup, on faisait sortir les coques des prétendants et on comptait les grains. Celui qui avait plus de grains était aussi le plus âgé. Il devenait immédiatement le chef de la province s’il remplissait les autres critères.
Le Beuleup du Ndoucoumane, qui autrefois régnait sur le Boumi Mandakh, le Fara Malem, le Fara Boulel, le Fara Ndothie, le Fara Ngagne, le Serigne Hodar, le Serigne Ndjigui, le Fara Woudé, le Fara Wanak (chef des esclaves de la cour), le Fara Teugh, et le Bathie Guewel, tous presque des dépendances et des chefs de la cour de la province, jouissent aujourd’hui d’un pouvoir symbolique, estime Ibrahima Ndao, de la grande famille des Ndaocounda. Ce dernier pense que l’intronisation du Beuleup du Ndoucoumane est « un symbole fort dans la préservation de notre culture mais aussi un trait d’union intergénérationnel face à la menace d’une perte en tout ou en partie de notre héritage culturel face au désintérêt de la jeunesse d’aujourd’hui, dans ce monde globalisant ». Ibrahima Ndao indique que le Beuleup est « un médiateur social et a une voix qui porte ». Le roi de Kaffrine était la synthèse des qualités de son peuple, ajoute l’actuel sous-préfet de Ouadiour dans le département de Gossas. « Ces marques de la société se déclinent en ingéniosité et efficacité à toute épreuve. Ce qui signifie tout simplement qu’ils sont meilleurs dans tout ce qu’ils entreprennent avec les autres », fait-il savoir. « L’essentiel c’est de ne pas retourner dans le passé et de laisser en rade la modernité, mais il faut aller vers le futur tout en prenant tout ce qui est bon dans la tradition, pour faire face aux défis de notre temps », souligne Ibrahima Ndao. « C’est un lourd fardeau mais il faut s’enraciner puis s’ouvrir au Monde », ajoute-t-il.
Par Marième Fatou DRAMÉ